Dans l'ombre du brasier
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Hervé Le Corre nous plonge dans le chaos des derniers jours de la Commune, au printemps 1871. Paris, déjà exsangue après l'encerclement de l'armée allemande, est alors assiégée depuis trois mois, tenaillée par la famine, offrant le désolant spectacle de silhouettes osseuses faisant la queue devant ses magasins, de cadavres trouvés au matin dans ses ruelles, de ses maisons éventrées, de ses rues hérissées de barricades. Les rares habitants n'ayant pas fui se terrent chez eux, les bourgeois ayant quant à eux déserté en chargeant quelque domestique laissé sur place de veiller à ce que la canaille ne pille pas leurs salons...
Après la guerre contre la Prusse, la ville est ainsi le théâtre d'une guerre fratricide, les ouvriers parisiens se soulevant contre la nouvelle assemblée formée par Thiers, devenu chef de l'exécutif après la chute du Second Empire et dont l'une des premières prérogatives est d'écraser la Commune. En cette fin mai 1871, ladite Commune est moribonde, pilonnée par les Versaillais qui reprennent peu à peu, rue après rue, la capitale par le sud-ouest. Paris grouille de l'armée de fortune constituée par les gardes nationaux, souvent plus idéalistes que soldats, pas assez nombreux, pas assez armés, qui se désorganise en réalisant que ses espérances n'ont abouti qu'à un cul-de-sac. A la lutte en armes pour un monde nouveau succède une guerre où chacun ne pense bientôt qu'à sauver sa peau. C'est un carnage qui s'annonce...
Au cœur de ce chaos, Hervé Le Corre met en scène un trio de communards : Nicolas Le Bellec, fils d'agriculteur breton, le fougueux Adrien, tout juste sorti de l'adolescence, et Joseph Favereau, surnommé Le Rouge, autant pour ses opinions politiques que pour la rousseur de cheveux. Ils sont inséparables, se sont promis fidélité "à la vie à la mort", et ne songent pas une seule seconde à déserter. Ils iront jusqu'au bout de ce combat, fidèles à cet espoir qui a fait se lever les humbles et les opprimés, et peu importe si au bout de ce chemin, c'est la mort qui les attend : la Commune a montré au peuple l'existence d'une clarté dont il faudra, à l'avenir, alimenter la flamme.
Pour autant, "Dans l'ombre du brasier" ne se limite pas au portrait de ces valeureux, qui donnerait une idée faussée non seulement de l'ambiance qui règne dans ce Paris dévasté, mais de l'humanité en générale... Aux oasis de franche camaraderie, aux élan de solidarité qui permettront à plusieurs reprises à nos héros de sauver leur peau, à l'endurance des infirmières improvisées et des médecins qui s'échinent dans les hôpitaux de fortune à soigner, réparer, réconforter malgré la mort qui souvent gagne, il oppose les mesquineries, la bassesse, les délations, les violences injustifiées qui sont d'ailleurs le fait des deux camps.
Indifférents à la révolte des uns comme aux engagements des autres, profitant du désordre ambiant, certains, le crime ne prenant pas de congé, continuent à s'adonner à leur perversion. Ainsi ce photographe qui prend des clichés pornographiques de jeunes filles préalablement droguées, que lui "fournit" Henri Pujols, malfrat défiguré, démoniaque et en même temps pétri d'angoisses irrationnelles, qui les kidnappe à l'aide d'un fiacre conduit par un cocher au visage velu... Antoine Roques, désigné comme chef de la sûreté par le comité de la Commune, enquête sur ces enlèvements, auxquels l'insaisissabilité et la physionomie repoussante des criminels confèrent une dimension presque surnaturelle.
Vous l'aurez compris : à la fois roman historique et enquête policière, "Dans l'ombre du brasier" est un texte dense, dont l'intrigue se développe sur des pans multiples, et c'est peut-être la limite de ce récit par ailleurs excellent, mais qui n'exploite pas complètement toutes les pistes qu'il entame. Il n'en pas moins fort prenant, grâce en grande partie à l'écriture d'Hervé Le Corre, précise et imagée, à la fois vivante et élégante, dont la poésie se mêle naturellement à la violence et à l'abjection comme au souffle épique qui porte le texte de bout en bout, et rend ses personnages mémorables.
En ce début 2019 Hervé Le Corre retrouve l’époque qui lui avait si bien réussit avec L’homme aux lèvres de saphir et livre un roman tout aussi magistral : Dans l’ombre du brasier.
Mai 1871, la Commune vit ses derniers jours, les Versaillais, bien supérieurs en nombre et en équipement sont aux portes de la ville et le massacre se prépare. Dans ce chaos, le récent sergent Nicolas Bellec court d’une barricade à l’autre avec ses deux amis, Le Rouge et Adrien, un gamin de 16 ans. Il veut défendre son rêve, mais aussi survivre pour retrouver Caroline, qui aide dans un centre de soins aux blessés.
Antoine Roques a été bombardé commissaire de police, et bien que ne connaissant rien au métier, il va tout faire pour retrouver le pervers qui enlève des jeunes filles depuis quelques jours. Non loin, Henri Pujols, colosse défiguré enlève des gamines avec l’aide de Clovis, un cocher sale et mystérieux qui connaît la ville comme sa poche.
Alors que les obus tombent sur Paris, et que les portes tombent une à une, dans la fumée des incendies et au milieu des cris de rage et de douleur les destins de ces personnages vont se croiser.
Qu’est-ce qu’on prend dans la figure à la lecture de ce nouveau roman époustouflant d’Hervé Le Corre !
Pour commencer on finit exténué, tant il excelle à rendre la fatigue, l’épuisement, de Caroline, Nicolas ou Antoine qui ne dorment plus mais s’écroulent, courent d’un côté à l’autre pour sauver leur peau et celle des autres, tentent de maintenir un rêve moribond quelques jours quelques heures de plus, sont assourdis par les explosions, blessés par les éclats de verre, de pierre, d’acier, tombent, se relèvent … Exténué aussi tant on tremble pour eux, tant on espère qu’ils s’en sortiront, jusqu’à la dernière page.
Exténué, mais aussi ravi, bouleversé, enragé, et écœuré. D’autant plus écœuré que malheureusement, les lendemains qu’espèrent des personnages qui ne se font plus d’illusion sur leur présent ne sont jamais arrivés, et que nous ne sommes pas près de les voir.
En attendant, on ne peut qu’être admiratif devant la puissance d’évocation de l’auteur qui nous fait ressentir la crasse, la violence des explosions, l’espoir malgré tout, le désespoir face au manque de moyens et aux discussions stériles, les moments de joie quand le silence se fait et qu’un rayon de soleil éclaire les quais, le plaisir simple d’un café partagé avec deux amis, la solidarité désintéressée des uns, la traitrise et la mesquinerie des autres, les odeurs, les vibrations, la peur …
Et quels personnages ! Magnifiques, fragiles, changeants, doutant parfois mais tellement solides aussi. Vous tremblerez jusqu’au bout avec eux, et les emporterez avec vous une fois le roman refermé.
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