Retour à Montechiarro

Une magnifique saga familiale et historique, sublimée par la lecture convaincante de Philippe Caulier, c’est typiquement le livre que je préfère en version audio. Sa voix posée nous permet de nous immerger dans cette longue histoire qui se passe sur trois périodes différentes de l’histoire italienne. Tout d’abord, celle du Risorgimento où un comte toscan, Bonifacio Della Rocca se rend à Venise pour régler une dette, il rencontre Asmodée Edern, une sorte de Juif Errant qui traverse les siècles et influence le destin de ceux qu’il choisit. Le comte se retrouve marié à une princesse, Laeticia, qui ne l’aime pas mais a besoin de lui pour fuir sa mère. Elle en aime un autre et abandonne son mari après la naissance de son fils.

La deuxième et plus longue partie se déroule entre 1919 et 1943, elle est consacrée à Agnese, la petite fille de Bonifacio, obligée d’épouser Salvatore Conigli, fils d’un notable et membre des troupes fascistes. La situation de la jeune femme ne fait que s’aggraver, elle ne parvient pas à sauver son domaine, son mari se révèle cruel et obsédé par le pouvoir, il la maltraite ainsi que ses deux filles. C’est un personnage veule qui ne pense qu’à se faire remarquer par le Duce, en vain, ce qui accroit sa méchanceté. Il s’en prend à Ulysse, un libraire homosexuel ami d’Agnese. La jeune femme rencontre Sébastien Morgan, un photographe belge antifasciste, qui parvient à manipuler Salvatore, ils s’aiment mais la jeune femme refuse de tromper son mari aussi ignoble soit-il, leur relation reste platonique, mais Sébastien consacre sa vie à tenir ses promesses à la jeune femme.

La dernière partie se déroule en 1978, peu après l’assassinat d’Aldo Moro. Laeticia, qui ignore tout de son histoire familiale, sa mère refusant de lui en parler, est engagée comme modèle par Sébastien pour un projet en Toscane. Elle rencontrera Giovanni et ils renoueront les fils cassés de la trame familiale grâce au photographe et à Asmodée.

La période fasciste est la plus développée, Salvatore est une caricature du Duce dans son village, il ne recule devant aucune infamie pour devenir Podesta (un chef de village), allant jusqu’à commanditer l’assassinat de son père, qui n’était pas une référence morale non plus. Les hommes sont violents, avides et ne pense qu’à s’élever dans la hiérarchie sociale, du moins dans la deuxième partie. Les femmes subissent, Agnese a baissé les bras depuis longtemps et elle ne peut aider ses filles durant des années. Elle est présentée comme un personnage solaire mais elle est trop passive pour cela, acceptant toutes les brimades de son mari et refusant de suivre son ami. La seule femme indépendante reste la jeune Laeticia, qui apprend à couper le joug imposé par sa mère. Au contraire, Sébastien est un personnage lumineux qui aimera Agnese à travers les années, malgré sa trahison qu’il apprendra à la fin de sa vie. Il tient sa promesse et essaie de sauver ce qu’il reste de l’héritage de son amie, en sauvant ses filles.

Le contexte historique est très documenté et donne une épaisseur à cette saga. L’histoire italienne est traversée par la violence qui ressurgit à chaque génération sous une forme différente, mais tout aussi mortelle. La politique tient un grand rôle dans l’intrigue.

La Toscane et ses paysages sont presque le personnage central du livre, il sont décrits de manière très lyrique. Il y a quelques longueurs, mais ce roman touffu (730 pages) passe très bien en audio. L’écriture est fluide, avec un vocabulaire très recherché, les phrases ont un rythme musical qui nous emporte dans le passé de l’Italie. Il y a une dimension fantastique avec Asmodée qui traverse les siècles.