Ciel d'acier
Résumé éditeur
livré en 5 jours
l’avis des lecteurs
Où?
Le roman est situé au Canada et aux Etats-Unis, notamment à Kahnawake, Québec et Montréal ainsi qu’à Sausalito (CA), Chapell Hill (NC) et principalement à New York.
Quand?
Partant du 11 septembre 2001 l’auteur remonte dans l’histoire des protagonistes sur plus d’un siècle et nous mène jusqu’à l’inauguration de la Liberty Tower fin 2014.
Ce que j’en pense
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Cette «épopée familiale quasi légendaire se déroulant sur plusieurs générations», pour reprendre la définition du mot saga, est d’abord un formidable roman, avec tous les ingrédients susceptibles de nous envoûter : du sang et des larmes, de l’amour et de la rivalité, de l’injustice et de la rédemption, de l’étrange et du factuel. Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître !
Michel Moutot a choisi le 11 septembre 2001 comme point de départ de cette histoire séculaire. Le narrateur, John LaLiberté, est monteur d’acier. Quand il aperçoit ce matin là les avions s’encastrer dans les tours jumelles, il comprend immédiatement ce qu’on attend de lui : «Le World Trade Center, c’était un squelette de milliers de tonnes de métal. Je ne sais pas ce qu’il en reste, mais je sais que, pour avancer dans les décombres à la recherche des survivants, pompiers et secouristes vont avoir besoin de nous. Car, si depuis un siècle nous éditions ponts et gratte-ciel, nous construisons l’Amérique, c’est aussi nous qui les démontons, les découpons. Quand il doivent disparaître pour faire place à autre chose dans une ville et un pays qui se réinventent sans cesse, les règlements prescrivent que c’est à nous, monteurs d’acier, qu’il faut faire appel. »
En expliquant les raisons qui ont conduit la tribu des Mohawk à devenir le peuple des monteurs d’acier, en détaillant le rôle que ces «ironworkers» ont joué dans la construction des infrastructures qui ont permis le développement économique du Canada et des Etats-Unis, en montrant le tribut qu’ils ont dû payer au fil des ans, l’auteur réussit le tour de force de donner de la chair à ces ponts et à ces gratte-ciel.
Avec John LaLiberté et ses compagnons, le lecteur est convié à vivre des épopées et des drames, des combats et des trahisons, des histoires d’amour et de mort. Dès lors, le plaisir de la lecture et de la découverte ne la lâchera plus tout au long des quelque 500 pages du livre.
C’est très solidement documenté, superbement bien écrit – sans pathos et sans fioritures inutiles – et formidablement bien construit. On découvrira par exemple que les sauveteurs n’étaient pas seuls à fouiller les décombres et que la recherche des survivants n’était pas le seul motif pour atteindre au plus vite les étages inférieurs. Ou encore qu’un tel chantier doit aussi apprendre à se structurer et que certaines décisions trop hâtives ont sûrement entrainé la destruction de preuves, voire d’ADN. On saura enfin quels rites et quelles croyances – les Indiens n’ont pas le vertige – ont construit la légende des Mohawks (les plus anciens se rappellerons à ce propos de John l’Enfer de Didier Decoin, Prix Goncourt 1977). Gageons que vous ne regarderez plus les gratte-ciel de New York de la même manière après avoir refermé ce superbe roman.
Résonances
Ajoutons que si je tiens ce roman en si haute estime, c’est aussi parce qu’il vient conforter mon travail sur le 11 septembre, la documentation que j’ai amassée et les témoignages que j’ai recueillis. Dans mon premier roman, le 11 septembre joue un rôle non négligeable puisqu’il cristallise les ambitions de Fabrice Le Guen, jeune journaliste-animateur qui part à New York pour réaliser plusieurs émissions spéciales commémorant le premier anniversaire des attentats.
Si ce «Valmont» d’aujourd’hui se sert de l’événement pour impressionner, il n’en effectue pas moins des repérages et cherche lui aussi à rendre compte de ce qu’à pu être ce traumatisme pour toute une ville, un pays, voire par toute la planète.
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La ville du point de vue de ceux qui la construisent, au sens le plus concret du terme.
En une narration sur trois plans qui se recoupent et se prolongent, Michel Moutot nous emmène d’une réserve québécoise de la fin du XIXème au New York du début des années 70 ou 2000.
New York, septembre 2001. Dans le chaos des tours jumelles effondrées. Les émanations toxiques de poussière, de fumées, d’amiante et de peintures de plomb, du gaz fréon des climatisations géantes, du kérosène des avions, baignent l’inimaginable volume de gravats. Ils ont accouru là par dizaines, dès qu’ils ont eu vent de la catastrophe, munis de leurs outils et leurs chalumeaux puisque c’est à eux de mettre en terre les Twin towers. Car si depuis plus d’un siècle les ironworkers construisent l'Amérique en y édifiant ponts et gratte-ciel, ce sont eux aussi qui les démontent, les découpent. Beaucoup sont des indiens mohawks, canadiens ou américains descendus de leurs réserves près de Montréal ou de la frontière avec les Etats-Unis. New York est monté à l’assaut du ciel grâce à la sueur et au sang de leurs pères. Celui de John LaLiberté y a même laissé la vie, et certains de ses oncles, comme des dizaines d’autres mohawks, ont passé des années sur le plus grand et le plus beau chantier des années 70, le World Trade Center. C’est pourquoi il considère, comme nombre de ses pairs, que ces Twin towers sont un peu à lui.
Immergés dans ce cauchemar, ce mikado géant dont les baguettes sont des poutres de plusieurs tonnes, John et ses camarades passent des heures chaque jour, à découper l’acier, à dégager des passages pour les pompiers, sans savoir -et c’est frustrant- si ces derniers y trouveront d’abord des survivants, puis des cadavres. Ils sont exténués, déshydratés, asphyxiés mais rechignent à s’arrêter ; beaucoup n’adoptent pas des règles élémentaires de sécurité (comme le port d’un masque) qui compliquent leur compliquent la tâche. C’est une aventure épuisante, effrayante, dangereuse, mais qui les fait aussi se sentir indispensables, investis d’une mission patriotique, sacrée, presque divine. Et en effet, sans ces héros anonymes, les pompiers n’auraient pu secourir.
Un bond d’un siècle en arrière et de quelques 600 kilomètres vers le nord nous amène à Kahnawake, Canada, 1886, à la rencontre des ancêtres de John. La réputation de bâtisseur des mohawks est alors déjà établie : d’aussi loin qu’on s’en souvienne, ces membres d’une des Six Nations iroquoises ont aimé construire, charpenter le bois, mais pas seulement : depuis le début de la colonisation et du commerce des fourrures, ils sont reconnus pour être des pagayeurs et des guides à l’habileté sans égale dans le Nouveau Monde. Ce sont ainsi les seuls à savoir dompter les remous de la rivière Lachine que doivent affronter sur les gigantesques radeaux que constituent les billes de bois assemblées à des milliers de kilomètres en amont sur les rives du lac Ontario et que l’on descend par voie navigable jusqu’à Montréal. Angus Rochelle, 46 ans, est l’un de ces "rois des rapides", et son fils Manish est bien parti pour lui succéder. En attendant, il est embauché à la construction du nouveau pont qui, sur le Saint-Laurent, nécessite -contre dédommagement à la tribu- d’empiéter sur les terres de la Réserve.
Retour à New York, cette fois en 1968 avec, comme un pendant au récit sur John, celui de la construction du WTC où officie son père Jack LaLiberté, dit Tool. Son grand-père a en son temps participé à la construction de l’empire State Building, et il était hors de question que ce nouveau grand projet new-yorkais se fasse sans lui. Sa famille, qui ne pourrait pas vivre en ville, reste à Kahnawake pendant qu’il travaille sur Manhattan, ne rentrant qu’une semaine sur deux. Les terres iroquoises chevauchant la frontière entre le Canada et les Etats-Unis, un traité prévoit que les membres de cette nation le droit de passer d’un pays à l’autre à leur guise, et de travailler où ils veulent. Ils ont gagné leur place dans ce Nouveau monde par leur travail, leur sueur et leur courage, puisqu’il était impossible de vaincre l’envahisseur. Sur le chantier, il côtoie les Newfies, descendants des colons irlandais de Terre-Neuve, haut du panier des ironworkers de New York depuis quatre générations, les Jersey Boys de l’état voisin et leur look de mauvais garçons, les costauds de Nouvelle-Angleterre, et quelques autres venus du sud. Tous sont heureux de travailler au grand air, au-dessus de la foule, fiers de bâtir et d’être bien payés.
Le thème du roman de Michel Moutot est passionnant, et la narration en alternance sur trois époques le rythme agréablement. J’ignorais tout de ces Mohawks dont la légende veut qu’ils n’aient pas le vertige (un mythe en réalité, qu’ils se plaisent à entretenir, même si certains doivent parfois le faire à l’aide de lampées d’alcool avant d’affronter les hauteurs). L’empreinte journalistique de Michel Moutot se révèle par son sens des anecdotes aussi étonnantes qu’instructives, qui parsèment son intrigue. J’ai entre autres retenu le triste sort des oiseaux migrateurs se fracassant sur le World Trade Center en construction, car il n'est pas éclairé la nuit, dont on ramasse et jette les cadavres dans des sacs poubelle avant l'ouverture du chantier, ou l’épique sauvetage des 860 tonnes d’or constituant la réserve de change de la banque Nova Scotia de Toronto, enfouis sous les décombres du WTC.
Le revers de la médaille, c’est que son texte manque parfois de la force émotionnelle que l’on attend d’une fiction, le ton s’apparentant davantage à celui d’un documentaire qu’à celui d’un roman.
A lire tout de même, pour la dimension instructive.
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