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Eurydice déchaînée
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l’avis des lecteurs
Après plusieurs livres en collaboration, Melchior Ascaride a décidé de se lancer seul avec Eurydice déchaînée signant texte et dessins. Ce roman graphique est paru en mars chez les Moutons électriques dans la collection la « Bibliothèque dessinée » fondée et codirigée par Melchior Ascaride. Cette collection est consacrée aux romans courts et à faire le lien entre littérature et bande-dessinée. Comme son titre l’indique, le roman est une relecture du mythe d’Eurydice et Orphée.
Le mythe d’Orphée et d’Eurydice est d’une des plus belles et triste histoire de la mythologie grecque. Eurydice est une dryade, compagne d’Orphée, poète et musicien. Le jour de leurs noces, elle est poursuivie par Aristée et en voulant s’enfuir meurt mordue par un serpent. Orphée décide de tout faire pour la ramener et va aux Enfers, le royaume d’Hadès pour la chercher. Une seule condition lui est imposée: Orphée ne devra pas se retourner et regarder Eurydice avant d’être sorti des Enfers. Malheureusement, à quelques mètres de la sortie, Orphée ne pourra résister à la tentation de jeter un œil vers Eurydice, la condamnant ainsi à rester aux Enfers pour toujours.
C’est là que débute le roman de Melchior Ascaride. Eurydice refuse de croire que Orphée n’a pas agi involontairement. Il voulait avoir de quoi faire une belle chanson et l’a intentionnellement abandonnée aux Enfers. C’en est trop pour elle, elle ne pourra pas le supporter et veut se venger d’Orphée mais aussi des Dieux qui lui ont laissé ce sombre destin. Sombre destin qu’elle partage avec de nombreuses femmes, déesses ou mortelles, mais toujours à la merci des hommes, toujours victimes, il est plus que temps de se rebeller!
Le roman raconte comment Eurydice va tout faire pour traverser les Enfers et arriver à son but. Sur cette route semée d’embuches, la dryade fera de nombreuses rencontres de Eurynomos, à Tirésias ou encore Charon. Les connaissances de l’auteur sur les mythes grecs apparaissent nombreuses et variées. Melchior Ascaride s’amuse à dépoussiérer les héros et dieux grecs en montrant surtout la grande misogynie de la mythologie grecque faisant écho à notre société et aux combats féministes. La seconde partie du roman est d’ailleurs plus représentative de cette misogynie au delà du cas d’Eurydice. On pense à Ariane abandonnée par Thésée, à Perséphone enlevée de force par Hadès….Si le début du récit est une suite de rencontres et de plaintes d’Eurydice, la suite devient un véritable pamphlet et une belle démonstration des injustices flagrantes dont sont victimes les femmes dans les mythes grecs.
Le livre est entièrement en bichromie bleu – noir, elle montre ainsi la froideur du royaume d’Hadès. Comme dans les précédents ouvrages de la Bibliothèque dessinée, Melchior Ascaride alterne texte et dessins, les illustrations complétant ou soulignant des passages de l’intrigue. Les personnages sont un peu plus détaillées que dans les précédentes œuvres et on note également des effets plus proches de la bande dessinée.
Eurydice déchaînée marque ainsi de belle manière les débuts de Melchior Ascaride en tant qu’auteur. Il choisit de raconter la suite d’un mythe grec bien connu, celui d’Orphée et d’Eurydice en le déconstruisant et en faisant d’Eurydice une battante prête à tout pour se venger. Eurydice devient la porte parole des figures féminines opprimées luttant contre la misogynie si présente dans les légendes grecques.
J’ai déjà eu ici l’occasion de dire tout le bien que je pensais du travail de Melchior Ascaride en tant qu’illustrateur (de grand talent), tout comme j’ai pris plaisir à dire tout le bien que je pensais notamment de ses contributions à la Bibliothèque Dessinée, petite merveille éditoriale des Moutons Electriques. Alors forcément, quand j’ai appris qu’il allait nous gratifier d’un ouvrage où j’allais découvrir son talent d’écrivain, je n’ai pas caché mon enthousiasme ; il fallait bien dire qu’à mes yeux, si le ramage se rapportait au moins un peu au plumage, j’allais me régaler.
Cette chronique est bien entendu l’occasion du verdict sur cette question épineuse ; Melchior Ascaride est-il aussi talentueux à l’écrit qu’à l’illustration ?
Oui.
Ambitieux, en plus, le bougre. Parce que non content de nous gratifier de ses toujours superbes illustrations, il les lie avec un talentueux et sublime travail de maquette intérieure ; ce qui n’a plus rien d’étonnant, à ce stade, mais fait toujours plaisir. Comme pour tous les opus de la Bibliothèque Dessinée que j’ai pu lire jusque là, ces ajouts ne sont pas de simples suppléments, ce sont des compléments, qui ajoutent des éléments supplémentaires utiles et nécessaires à la compréhension globale de l’ouvrage. Comme toujours, on se surprend à tourner le bouquin dans tous les sens pour suivre les méandres de sa narration, prêtant attention à tous les détails qui parfois racontent ce qui n’est pas dit ou font mieux comprendre ce dont il est réellement question. Et c’est un kiff total de voir ainsi liés l’utile et l’agréable.
Ambitieux aussi parce qu’il s’agit ici d’une déconstruction méthodique, maline mais surtout furieuse d’un fameux mythe grec et de sa cosmogonie générale, s’appuyant sur leur dimension prescriptrice malsaine pour mieux en tirer les enseignements d’un temps révolu par un procédé assez simple mais diablement efficace : donner la parole à celles qui en ont trop longtemps été privées. C’est en soi tout bête, mais axer toute la réécriture d’un récit ancien sur ce qu’il peut avoir aujourd’hui d’insupportable dès qu’on en examine les détails internes, c’est terriblement évocateur. Melchior Ascaride part de concepts connus et reconnus et se contente de changer le prisme devant nos yeux pour faire surgir une nouvelle métaphore, autrement plus moderne et significatrice.
Mais que ce sobre constat de ma part ne vous laisse pas préjuger d’une lecture simpliste, au contraire. Toute la beauté de cette novella, c’est bien de donner à lire une métaphore fouillée et érudite qui pousse à réfléchir au delà d’une évidence frappant d’autant plus fort qu’elle s’inscrit dans les circonstances que l’on connaît. Par le jeu de codage érudit des enjeux au fil du parcours d’une Eurydice vengeresse mais introspective, il me semble que Melchior Ascaride tient un discours conscient de la complexité nécessaire qu’implique le changement, dépouillé de considérations purement personnelles ou individuelles. Si ce récit se concentre sur Eurydice, ses griefs et ses souffrances, il a l’intelligence de les inscrire dans des schémas plus généraux ou collectifs, faisant appel à des notions vitales lorsqu’il s’agit des problèmes qu’il soulève en filigrane.
En bref, encore un petit bijou de la collection de la Bibliothèque Dessinée. Si l’honnêteté me commande – tout de même – de déplorer quelques passages un peu verbeux et quelques petites longueurs, l’ensemble est assez proche de la perfection à mes yeux, avec une plume précise et stylisée qui se prête parfaitement bien à l’ambiance mythologique modernisée ; merveilleusement soutenue par l’ajout graphique. J’aime profondément les textes sachant mélanger leurs influences et leurs intentions pour faire dire à ce qui a pu exister auparavant des choses qui étaient là mais n’ont jamais été vraiment exprimées ; c’est précisément le cas ici. Il ne s’agit pas de tordre de vieilles légendes pour leur faire dire des choses qui n’y seraient pas, il s’agit de les lire autrement sans les dénaturer, d’en extraire un propos complémentaire qui nuance notre regard dessus.
Voilà. C’était très très bien quoi.
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