Les enfants du silence
Résumé éditeur
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l’avis des lecteurs
J’avais noté cette idée de lecture chez Cristie à l’occasion de son challenge coréen, et avait gardé en tête l’idée qu’il s’agissait d'une non-fiction. Ce n’est pas le cas, mais sans doute cette confusion est-elle venue du fait que l’auteure s’est inspirée, pour écrire "Les enfants du silence", d’un authentique fait divers. Sa brève postface laisse par ailleurs entendre qu’elle a collé au plus près des témoignages qu’elle a recueillis pour les besoins de son livre.
Nous y suivons Kang Inho, quadragénaire qui suite à la faillite de son affaire, se voit contraint de renouer avec son métier d’enseignant pour pouvoir faire vivre sa famille. Il quitte ainsi Séoul pour Mujin, ville côtière qui semble en permanence envahie par la brume, où sa femme lui a trouvé par le biais d’une de ses connaissances un poste dans une école spécialisée pour enfants sourds. Inho ne parle pas la langue des signes, mais cela n’a pas représenté un obstacle à son embauche. Son arrivée à l’école Ja-ae renforce la contrariété qu’il éprouve à se trouver à Mujin. Ses premiers contacts avec ses supérieurs sont humiliants et brutaux, et l’atmosphère est plombée par un drame récent mais évoqué à demi-mots : un élève de l’école, qui s’est inexplicablement retrouvé dehors en pleine nuit, est mort écrasé par un train. Bientôt Kang Inho assiste à de violentes scènes de réprimandes, où pleuvent les coups et les insultes ; un soir, il entend des bruits suspects provenant des toilettes, mais passe son chemin.
Encouragés par la gentillesse et les sincères efforts de ce nouvel enseignant pour communiquer avec eux, certains enfants finissent par lui confier les raisons de la terreur permanente qui semble hanter plusieurs d’entre eux, victimes de la part des deux frères dirigeant l’école et du directeur de l’internat de maltraitance et d’abus sexuels. Ce cauchemar dure depuis des années : ces enfants qui vivent en permanence à l’école Ja-ae sont pour la plupart coupés de familles souvent très pauvres ou de parents eux-mêmes handicapés et vulnérables, n’ayant ni les moyens matériels ni les ressources psychologiques pour s’occuper d’eux. Et les rares tentatives amorcées par d’autres professeurs pour alerter les autorités se sont soldées par le silence et une inaction décourageante.
"Les enfants du silence" est le récit du combat mené pour faire entendre les voix de ces enfants et tenter de leur rendre justice.
Pour cela, Inho fait appel à Yujin, une ancienne camarade d’université qu’il a retrouvée à Mujin, mère célibataire depuis son divorce, et surtout engagée dans une association d’aide aux victimes. Leurs premières démarches, auprès de la police, de représentants du ministère de l’éducation ou de la municipalité, se heurtent à l’embarras, et à une totale indifférence face à la souffrance des victimes. Tout le monde se renvoie se balle, refusant d’entamer quelque action visant l’école Ja-ae et son irréprochable réputation. C’est le recours aux médias, auxquels ils se voient par conséquent contraints, qui permet que l’affaire soit finalement portée en justice.
Pour autant le combat est loin d’être gagné. Ces enfants et ceux qui prennent leur défense sont seuls face à un système corrompu, où les influences politiques et sociales confèrent une impunité tacite mais puissante. Les accusés, membres importants de la communauté, font partie intégrante d’une élite évoluant au sein d’un réseau protecteur, englobant la police, les responsables territoriaux, et même certaines autorités religieuses.
A l’inverse, les élèves, considérés comme quantité négligeable, sont des citoyens de seconde zone, que leur handicap et la méconnaissance de ce dernier font considérer comme inférieurs. Les dirigeants même de l’école les qualifient de peuple étranger -parce qu’ils parlent une langue différente-, les accusant d’être atteints d’un complexe de persécution et pourvus d’une personnalité dont le mensonge est le fondement. Le début du procès se déroule d’ailleurs sans qu’ait été prévue la présence d’un interprète pour transcrire les débats en langue des signes…
L’affaire révèle ainsi les inégalités et les injustices d’une société coréenne à deux vitesses. Face à ceux qui soutiennent les enfants et s’indignent de ce qu’ils ont subi, une grande partie de la population semble appuyer les accusés, refusant d’admettre avec une rage insensée la possibilité de leur perversion parce qu’ils sont les représentants d’un système qu’il est inimaginable de remettre en cause. Et ils sont davantage terrorisés par la honte que l’affaire risque de faire jaillir sur la communauté, que choqués par l’ignominie des actes qu’ils ont commis. Quelle cruelle ironie ! Leurs tortionnaires reprochent aux enfants sourds de vivre dans le mensonge, alors qu’ils ont eux-mêmes fondé leur existence sur celui qui consiste à présenter au monde une façade trompeuse, par laquelle les autres se laissent lâchement séduire. Mais que vaut la réparation des torts subis par quelques handicapés face à la pérennité d’un système dont se satisfait la majorité ? La paix d’une ville vaut-elle d’être sacrifiée pour ces rebuts d’une société fondée sur les valeurs de l’argent et du pouvoir ?
Et que dire d’un système judiciaire qui permet de régler les affaires de pédophilie par un accord amiable avec les responsables des victimes, dont on achète littéralement le silence, personne, ni aucune institution n’ayant dès lors la possibilité de prendre le relais pour représenter la voix de ceux que l’on muselle ainsi, les condamnant à taire, à vie, leur traumatisme, leur refusant leur statut de victime ?
Témoignage certes indirect, "Les enfants du silence", porté par une écriture essentiellement factuelle, n’en est pas moins un texte à la fois frappant et désespérant, heureusement éclairé de la petite lueur d’espoir qui émane de son existence même, mais aussi de la force et de l’intégrité qui poussent certains individus à se battre pour les plus faibles, en dépit des obstacles et des conséquences. Ainsi Inho, qui avec cette affaire révèle l’empathie, le courage et la droiture qui sommeillaient en lui, ou la courageuse Yujin, qui refuse toute compromission face à l’injustice, parce que, si elle a "renoncé à changer le monde (…), elle se bat pour l’empêcher de la changer".
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