L'échiquier
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l’avis des lecteurs
Le livre en train de s’écrire
C’est durant le confinement que Jean-Philippe Toussaint a écrit son livre le plus intime, où il évoque ses souvenirs d’enfance, son père, ses amis à son œuvre littéraire. Le tout en 64 chapitres, comme autant de case de «L’échiquier».
«Les échecs — leur symbolique, leur romantisme, leur abstraction rassurante — ont toujours été intimement mêlés pour moi à l’écriture. Ils sont le sujet de mon premier roman, Échecs. Et, depuis que j’ai donné ce même titre, Échecs, à ma traduction de la nouvelle de Zweig, les deux textes se rejoignent dans mon esprit dans une boucle temporelle vertigineuse. Je commence ainsi à prendre conscience que, si je continue à tirer sur ce fil — le fil du jeu d’échecs —, c’est toute la pelote de ma vie qui pourrait se dévider, se débobiner et se dérouler dans ces pages.» Et voilà comment, durant les journées de confinement Jean-Philippe Toussaint décide de meubler son temps en divisant sa journée en deux, la traduction de Échecs de Stefan Zweig d’une part et l’écriture de réflexions autour de sa passion pour ce jeu d’autre part. C’est cette seconde partie qui a donné ce livre riche de souvenirs et qui va bien au-delà du projet initial. Car effectivement, très vite la pelote de sa vie s’est dévidée… Une pelote que l’on voit se dérouler au fur et à mesure dans ce livre en train de s’écrire.
Son point de départ pourrait se trouver dans un hall d’école, pavé alternativement en plaques blanches et noires. Des cases sur lesquelles les pièces seraient constituées des membres de la famille, des amis d’enfance, des auteurs qui ont accompagné l’auteur de La salle de bain. À la place du roi et de la reine, on placera son père Yvon, «directeur du Soir de Bruxelles, une personnalité reconnue, bien introduite auprès de la classe politique et habituée des plateaux de télévision» et avec lequel il jouera longtemps aux échecs. Jusqu’à ce qu’il soit plus fort que lui et qu’il mette fin à ces échanges, se refusant à perdre. Un père qui aura la lucidité de voir en son fils un futur écrivain. Sur sa mère, qui tenait une librairie-galerie, il est plus discret, mais aussi plus tendre, tout comme pour ses deux grands-mères et pour Madeleine, celle qui deviendra son épouse.
S’inspirant de Georges Perec – il s’agit d’aller d’une case à l’autre sans jamais y revenir – le romancier passe de la famille aux amis, les Bonhomme, Garrec, Caratini, Lehrer. Ou encore Dominique D. un camarade de classe fantasque dont il apprendra la mort tragique. Un drame qui frappera aussi Gilles Andruet, le champion d’échecs qui le fera progresser et dont il ne voudra pas croire qu’il a été assassiné.
Hommage émouvant aux amis disparus, ce livre évoque aussi les grands maîtres, Fischer et Spassky, Karpov et Kasparov, Youssoupov ou encore Kortchnoï que l’auteur a failli pousser au nul, sans doute l’une de ses réussites majeures.
Bien entendu, la littérature échiquéenne ne pouvait manquer dans ce livre. Zweig, cela va de soi, tout comme Perec, mais aussi Nabokov et sa Défense Loujine, Borges et même Lewis Carroll.
Dans cette vraie-fausse autobiographie, Jean-Philippe Toussaint joue beaucoup et propose au lecteur de jouer avec lui. Avant de finir sur une note plus grave, comme il l’a confié à Livres-Hebdo : «Dans le jeu d’échecs le rapport à la mort est évident, il faut tuer le roi, le temps se réduit comme peau de chagrin, le temps de la partie c’est le temps de la vie. Il y a de même dans le travail d’écriture cette acuité au temps qui passe. Je crois qu’il faut être hypersensible à la mort pour bien écrire.» Est-il utile d’ajouter que ce livre est très bien écrit ?
TTTT - Bravo "Le premier essai autobiographique d’un romancier qui s’est longtemps, astucieusement, raconté est composé du même nombre de chapitres qu’il y a de cases dans un jeu d’échecs. Soixante-quatre. Certains sont courts, d’une écriture blanche et fulgurante, d’autres s’étirent, emportés par les méandres du souvenir et la lueur soudaine qui précise les contours de figures effacées. Jean-Philippe Toussaint a longtemps été joueur (champion du monde junior de Scrabble !), les échecs ont dévoré sa jeunesse — « leur symbolique, leur romantisme, leur abstraction rassurante ont toujours été intimement mêlés pour moi à l’écriture ». Sa première tentative romanesque racontait l’histoire d’un championnat du monde qui « durait dix mille parties, qui durait toute la vie, qui était la vie même ». Les règles qu’il se fixe avec L’Échiquier pourraient contenir et séquestrer le romancier, elles lui offrent au contraire de merveilleuses lignes de fuite, un miroitement de facettes qui composent à la fois un journal intime des mois de pandémie, un traité sur les stratégies du jeu et celles du roman, un portrait de l’écrivain au travail, un précis de géographie intime, un relevé d’angoisses et un livre de souvenirs tout simplement, parce qu’il en est temps : « Je voulais aussi évoquer dans ce livre l’affleurement de la vieillesse qui commence à m’envelopper comme une brume inexorable. »"
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