Les heures heureuses

TTT - Très Bien "Au duc de La Rochefoucauld, Quignard emprunte ce viatique : « L’enfance nous suit dans tous les temps de la vie », et la forme fragmentaire qu’il pratique depuis les « Petits traités ». C’est la forme qui sied à ces miscellanées au sein desquelles voisinent Héraclite et Emily Dickinson (qui « refusa toute sa vie d’apprendre à lire l’heure sur une montre gousset ou sur le cadran d’une pendule […]. Elle disait que le carillon lui suffisait et que, pour le reste, le soleil dans le ciel disait tout »), saint Paul et Cendrillon, Thérèse d’Avila et les messieurs de Port-Royal. Et l’enfance retrouvée, jamais perdue, de Pascal Quignard : Le Havre, le jeune oncle de retour de Dachau, des tubéreuses bleues, « le mirabellier dans le jardin de ma tante Marianne »… Parmi ces éclats d’un passé qui demeure le présent, une silhouette de femme revient de page en page : « Quand le hasard, l’absence, la nuit, ce livre, font que je songe à Emmanuèle Bernheim, ma tête s’emplit de lumière […]. Mon corps se lève au fond de mon corps. Il faut sortir. En route vers la mer. » L’écrivaine Emmanuèle Bernheim est morte il y a six ans, mais en ces pages, en Bretagne, en Corse ou ailleurs, elle vit, elle rit, elle marche et, souvent, elle nage : « Nageait-elle bien ? Non. Elle nageait avec vigueur, avec puissance, avec hargne. Elle nageait avec la détresse de l’origine. C’était un morse dans la mer de Barents au cœur de l’hiver du temps et au centre du monde. »"