Veiller sur elle
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Quatrième de couverture
Au grand jeu du destin, Mimo a tiré les mauvaises cartes. Né pauvre, il est confié en apprentissage à un sculpteur de pierre sans envergure. Mais il a du génie entre les mains. Toutes les fées ou presque se sont penchées sur Viola Orsini. Héritière d'une famille prestigieuse, elle a passé son enfance à l'ombre d'un palais génois. Mais elle a trop d'ambition pour se résigner à la place qu'on lui assigne.
Mon avis
1986, une communauté religieuse, quelque part en Italie. Les frères veillent l’un des leurs, même s’il n’a jamais prononcé de vœux alors qu’il est là depuis quarante ans. C’est la fin, à quatre-vingt-deux ans, il va mourir. Mais qui était cet homme ? Sous ses yeux fermés, dans sa demi-conscience, les souvenirs affluent et il les partage…
Ses parents ont fui la Ligurie, il est né en 1904 d’un père sculpteur. Il l’observe, l’écoute, s’imprègne de chaque geste, fasciné par son métier. Sa mère l’a nommé Michelangelo, comme si ce prénom pouvait lui donner un statut, de la force, à lui, qui est né avec un handicap (il est de petite taille). Mais le plus souvent, il est Mimo.
La première guerre mondiale arrive et c’est la mort du paternel. Sa Maman l’envoie en Italie, chez un oncle, sculpteur lui aussi, à Pietra d’Alba. Mais là-bas, le jeune garçon n’est pas aimé. Le tonton aime la divine bouteille et supporte mal que le rejeton soit meilleur que lui. Parce que, oui, déjà, à peine adolescent, son talent se dessine… Mais que c’est difficile avec son nanisme de s’imposer, d’être « reconnu ».
Un jour, il doit se rendre chez les Orsini, une famille fortunée non loin de l’atelier. Par un curieux coup du destin, il rencontre Viola, la fille de la maison. Une âme libre, qui n’a pas l’intention de se laisser voler sa vie, ses choix, malgré les conventions, la bienséance. Une amitié naît alors sous les yeux du lecteur attendri. Une de ses amitiés improbables mais vraies… Ces deux-là se « portent », se protègent, se cachent des adultes, se « nourrissent » l’un de l’autre. Ils peuvent parler et se taire ensemble, ils se comprennent….
« Nous ne sommes pas des aimants. Nous sommes une symphonie. Et même la musique a besoin de silence. »
Les adultes, les bien -pensants vont-ils tolérer une telle relation ? Qu’est-ce que l’avenir leur réserve ? Mimo rencontrera-t-il le succès qu’il mérite, lui dont l’art est toute sa vie ? Les carcans qui les enferment peuvent-ils disparaître ? Les personnalités des deux amis sont belles. Ils sont à la fois rebelles, attachants, volontaires, rayonnants. On accompagne ces deux destins, on espère avec eux, on souffre aussi.
Ancré dans un contexte historique très riche (l’auteur glisse de temps à autre des événements ayant existé) dans un pays bouleversé par la montée du fascisme, ce récit est magnifique. Porté par un souffle épique, accompagné d’un vocabulaire de qualité, recherché mais sans emphase, le texte nous porte et nous emporte. L’écriture de l’auteur est lumineuse, délicate, tout fait sens. Quand il parle de sculpture, on a envie d’aller visiter un musée et de voir cette oeuvre sur qui Mimo veillera jusqu’à la fin de sa vie….
« Imagine ton œuvre terminée qui prend vie. Que va-t-elle faire ? Tu dois imaginer ce qui se passera dans la seconde qui suit le moment que tu figes, et le suggérer. Une sculpture est une annonciation. »
Coup de coeur !
Le sculpteur qui meurt au pied de son chef d’œuvre
Meilleur de livre en livre, Jean-Baptiste Andrea signe un chef-d’œuvre avec «Veiller sur elle». En racontant l’histoire d’un sculpteur de génie, de sa rencontre avec Viola, fille d’une riche famille et sa traversée du XXe siècle, il nous offre un roman riche, ample, inoubliable. Un Prix Goncourt 2023 amplement mérité!
L’histoire de Michelangelo Vitaliani est de celles qui ne s’oublient pas. Une histoire riche, une histoire totale, c’est-à-dire qui vous enrichit en la lisant. Mais au-delà de l’histoire, Veiller sur elle est aussi la démonstration d’un écrivain désormais au sommet de son art. Après nous avoir ébloui dès son premier roman, Ma Reine, l’odyssée de Shell, un garçon «différent» en 2017, puis avoir confirmé ses promesses avec Cent millions d’années et un jour (2019) et Des diables et des saints (2021), trois romans multirécompensés, voici donc un magnifique quatrième roman qui s’ouvre sur… la fin. La fin, en 1986, d’un homme entouré de moines et dont il a partagé la vie durant des décennies. Un homme qui, au moment de rendre son dernier souffle, va prendre le temps de nous raconter sa traversée du XXe siècle.
Michelangelo est né en France en 1904. Ses parents avaient quitté leurs Abruzzes natales pour la France qui manquait de bras. Tailleur de pierre, son père était mort et sa mère, persuadée que son fils deviendra un grand sculpteur, le renvoie auprès de son oncle Alberto afin qu’il perfectionne son art. Le voilà dans son pays, «royaume de marbre et d’ordures.»
C’est en pleine Première Guerre mondiale qu’il débarque à Pietra d’Alba, «taillée dans la lumière du levant, sur son piton rocheux.» Aux côtés d’Alinéa, un compagnon guère mieux loti que lui, il sert d’assistant corvéable à merci à cet homme qui passe une grande partie de son temps à rechercher de l’ouvrage. Car la situation n’est guère favorable en ces années de guerre et d’immédiate après-guerre. C’est auprès du Comte Orsini qu’il est le plus souvent appelé, notamment pour des travaux de réfection. Et c’est là, après une malencontreuse – ou heureuse – chute de toiture qu’il se retrouve dans la chambre de Viola, la fille du châtelain.
Le moment de surprise passé, la jeune fille va s’intéresser à ce jeune garçon et décider de faire son éducation. «Elle me tendit la main, et je la pris. Comme ça, franchissant d’un seul pas d’insondables abimes de conventions, d’empêchements de classe. Viola me tendit la main et je la pris, un exploit dont personne ne parla jamais, une révolution muette. Viola me tendit la main et je la pris, et c’est à cet instant précis que je devins sculpteur. Je n’eus pas conscience du changement, bien sûr. Mais c’est à ce moment, de nos paumes alliées dans cette cabale de sous-bois et de chouettes, que me vint l’intuition qu’il y avait quelque chose à sculpter.»
Lors de leurs rendez-vous clandestins réguliers, Viola va partager avec lui les ouvrages de la bibliothèque paternelle et le faire réviser ses connaissances. Un jeu auquel Mimo, son surnom, s’adonne de bonne grâce, bien conscient de sa chance. Une belle formule vient le résumer: «Elle m’ouvrit un monde de nuances infinies.»
Bien entendu, leur relation, à mesure qu’elle s’intensifie, ne va plus pouvoir rester secrète et entraîner la désapprobation de la noble famille qui ne veut pas d’un roturier, mais aussi de l’entourage du jeune homme qui voit en Viola une sorcière dotée de pouvoirs maléfiques. Mais Mimo et Viola ont signé un pacte. Il l’aidera dans son projet de voler, elle l’aidera à déployer son génie de sculpteur.
Si rien ne se passe finalement comme prévu, leurs vies respectives continuent à se dérouler reliées l’une à l’autre. Une carrière de sculpteur qui va décoller et une aile volante qui s’écrase, de nombreuses relations éphémères pour l’un, un mariage pour l’autre. Un chef d’œuvre, une piéta si troublante que le Vatican décida de la cacher, faisant par là même grandir le mystère et la légende de cette œuvre.
Jean-Baptiste Andrea nous fait aussi traverser l’Histoire du siècle avec l’arrivée des fascistes au pouvoir et la Seconde Guerre mondiale. Des temps troublés qui vont aussi osciller entre compromission et résistance, drame et espoir.
Et dans les conseils que donne Mimo a l’enfant venu admirer son chef d’œuvre, je ne peux m’empêcher de lire le secret d’écriture de ce superbe roman: «Écoute-moi bien. Sculpter, c’est très simple. C’est juste enlever des couches d’histoires, d’anecdotes, celles qui sont inutiles, jusqu’à atteindre l’histoire qui nous concerne tous, toi et moi et cette ville et le pays entier, l’histoire qu’on ne peut plus réduire sans l’endommager. Et c’est là qu’il faut arrêter de frapper.» Et reconnaître le chef d’œuvre quand il est là, n’est-ce pas mesdames et messieurs les membres du jury Goncourt?
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