Le royaume détraqué

TT - Bien "Il suffit d’évoquer la scène d’un accident d’attelage mené par des cyberhuskies aux silhouettes chromées, aux jappements métronomiques et dont le maître est un cyborg pour poser l’ambiance. On aurait tout aussi bien pu commencer par présenter celle d’un jeune adolescent en train de plonger la tête dans un liquide répugnant concocté par lui-même pour transcender l’humiliation que d’autres lui ont fait subir dans les toilettes du collège. Paysage désertique et rocheux à la Mad Max versus ville de province de l’Est de la France : étonnamment, ces deux décors cohabitent à quelques pages près ! Turan, Aristide, Joris et Lya cherchent leurs marques dans un monde balayé par une cyberapocalypse causée par un techno-virus tandis que les jumeaux, Maxime et Maxine, Siméon et Jamal forment une bande de quatre « bizarres » misant sur leur solide amitié pour résister au climat quotidien.

Une grande partie de la saveur du Royaume détraqué réside dans l’originalité de ce mélange des genres. Thibault Bérard semble beaucoup s’amuser à convoquer ses souvenirs de cinéphile en poussant sans vergogne tous les curseurs de la science-fiction ! De nombreux clins d’œil servent joyeusement l’intrigue sans jamais l’étouffer. Les personnages – dont le particulièrement réussi Jamal, prince à sa manière – font émerger de beaux moments d’émotion notamment autour de la création d’un projet artistique commun, et les passages sur la vie néohumaine offrent une subtile réflexion sur l’amitié, l’amour et l’art. Mais surtout, Maxine, la narratrice, et son « bizarre petit cerveau » rassemblent tout ce joyeux petit monde, et quand, enfin, les deux univers si lointains se croisent, l’issue en est assez jubilatoire."