
Les Annales du Disque-Monde Tome 28 Ronde de nuit
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l’avis des lecteurs
Je ne saurais pas dire pourquoi j’ai pris tant de temps à écrire cette chronique (Trois mois, quand même, c’est long). En principe, elle aurait dû être la plus simple de toutes à l’échelle de ce Tour du Disque, ou en tout cas la plus évidente ; Ronde de Nuit a ce privilège assez exceptionnel, je crois, de mettre la majorité des fans de Terry Pratchett d’accord : c’est un chef d’œuvre. Un Magnum Opus. Le genre de chef d’œuvre qui donne au terme tout son poids, qui ne laisse pas craindre l’hyperbole ou la flagornerie. Le roman est juste, en lui-même et au sein de la saga dont il fait partie, si bon, exceptionnellement bon, que ça.
Je le savais pertinemment, en l’ouvrant de nouveau, que j’allais être soufflé comme toutes les fois précédentes, en redécouvrant peut-être quelques détails, mais je savais. Même pour le standard Pratchettien revisité par ma relecture critique des Annales, j’étais conscient que ce roman précis allait les remettre encore en question, faisant l’étalage insolent du talent de l’auteur au pic absolu de son travail et de ses ambitions.
Ç’a sans doute été là, l’essentiel de mon problème, finalement. Qu’est ce que je peux bien dire, à mon échelle, à force ? Et surtout face au criant pouvoir de l’évidence ? Ce roman représente, à mes yeux, l’idiosyncrasie complète, quasi exhaustive, de tous les thèmes abordés jusque là par Terry Pratchett dans le cycle du Guet, amenant Vimaire au plus fort de sa puissance symbolique ; avec toujours le même esprit de synthèse, la même efficacité. Quelque part, je me juge, plus que jamais, impuissant, incapable de vraiment lui rendre justice.
Mais, malgré le délai et la faiblesse, essayons quand même.
« Les seigneurs vont et viennent, mais la poussière s’accumule. »
Le duc et commissaire divisionnaire Vimaire est sans doute au sommet de sa vie comme de sa carrière, alors qu’il s’apprête à devenir père. Mais il reste avant tout un flic : et c’est en poursuivant un criminel aussi redoutable que cruel qu’il se retrouve victime d’un accident magique le précipitant dans une étrange boucle temporelle. Le voilà piégé dans le passé, aux prémices d’une révolution sanglante qu’il n’avait connu qu’en tant que toute jeune recrue du Guet, cette fois ci dans la peau de celui qui l’avait formé à l’époque. Fort de son expérience, il sent qu’il a les possibilités de changer les choses, pour le mieux, mais aussi et surtout pour le pire, s’il n’opère pas les bons choix, ou les bons sacrifices. Sacrée ordalie. Sans parler du bordel.
Personne doué de toute sa raison ne tenait à se trouver dans une position le contraignant à prendre les mesures qu’il estimait nécessaires. »
Bon bon bon. Par où je commence, moi ? Question éternelle, à la limite de l’insoluble, d’autant plus quand on parle d’une boucle temporelle, d’autant d’autant plus quand il s’agit de la temporalité particulière du Disque-Monde. Heureusement que Terry Pratchett lui-même avait préparé le terrain avec Procrastination. Malin, PTerry, malin. Profitons-en, et parlons de ça, alors, pour commencer.
Parce que ce qui m’a bien frappé, d’entrée de jeu, avec ce roman, c’est bien sa performance formelle et structurelle. On le sait, en Imaginaire, il n’y a pas plus casse-gueule, pour ne pas dire suicidaire, que le voyage dans le temps. Au delà de son aspect tarte à la crème, ce concept est extraordinairement fragile pour ce qu’il suggère de trous dans l’intrigue et d’incohérences majeures faisant quasi systématiquement s’écrouler les récits en usant sous leurs propres poids dès qu’on y regarde de près. Eh bah pas là. Non seulement parce qu’avec son travail de mise en place de la temporalité singulière – pour ne pas dire joyeusement absurde – du Disque au travers de Lou-Tsé et des Moines de l’Histoire, Terry Pratchett inscrit tout son récit dans une logique qui lui donne toute la crédibilité nécessaire. Une myriades de détails et de précisions disséminé·e·s tout le long du texte lui confèrent une solidité à toute épreuve.
Et surtout, Terry Pratchett se donne l’excuse implacable du symbolisme : dans le pire des cas, Ronde de nuit est une allégorie du parcours de Vimaire lui-même, au sein de son propre récit, certes, mais aussi à l’aune de l’entièreté du cycle du Guet. Ce roman fait office, pour les deux, de bilan et perspectives. On voit d’où Vimaire est parti et jusqu’où il est arrivé, à un niveau personnel, intime, autant que vis-à-vis de sa place dans Ankh-Morpork et son système, comme on voit globalement la trajectoire du Guet. Encore une fois, sans lassitude, je ne peux que saluer, sans réellement me sentir capable de le démontrer, la capacité de synthèse incroyable de Terry Pratchett qui parvient à intriquer sans redites ni redondances tous ses thèmes au sein d’un roman aussi calibré que tous les autres du Disque-Monde, tout en racontant une histoire puissante et unique, parce qu’elle est paradoxalement si multiple.
« Deux types d’individus se moquent des lois : ceux qui les enfreignent et ceux qui les promulguent. »
Ce roman raconte beaucoup, beaucoup de choses. Il pose énormément de questions. La plus importante, à mes yeux, c’est la question de l’ordre, plus particulièrement de son maintien ; et au travers de Sam Vimaire, comme toujours : quel ordre ?
On ne peut en effet pas parler de Ronde de nuit, je crois, sans parler de certaines de ses scènes les plus marquantes, les plus exceptionnelles, sans la moindre hyperbole ; au sommet desquelles on trouve, pour tou·te·s les fans de Pratchett, LA scène de l’assaut du poste du Guet dont Sam Vimaire à la charge par une foule en colère, qu’il parvient à déjouer avec un flegme et une classe incroyables. Où l’auteur, en une séquence pour laquelle je n’ai pas assez de synonymes flagorneurs, théorise le contrôle de foule par la désescalade. Cette scène est centrale pour ce qu’elle raconte de la vision politique que défend Terry Pratchett, ce qu’elle dit de l’importance d’une police se pensant et se vivant non pas au service de l’ordre politique en place, mais bel et bien du peuple, en dépit des injonctions verticales parfois aussi dangereuses que délétères. Parce que ce que fait Vimaire, dans cette scène, au delà de s’éviter des ennuis, à lui comme aux flics qui sont sous ses ordres, c’est surtout briser le cycle de la violence et du ressentiment.
La révolution qui a cours à Ankh-Morpork au cours de ce roman, elle est universelle dans sa dimension rancunière, colérique, lasse : elle ne nait de rien d’autre que de la congrégation de fatigues individuelles dans un sentiment d’injustice collective. Elle est la mise en images littéraires de la citation bien connue de Kennedy, livrée ici en gros : « quand vous rendez une révolution pacifique impossible, vous rendez une révolution violente inévitable ». Mais, encore plus fort, je trouve, et surtout plus subtile, elle est surtout la mise en mots de la manipulation de l’opinion publique par une partie de l’aristocratie Morporkienne, afin de monter la population contre le pouvoir en place afin de permettre un changement de régime ; quand bien même les injustices, les privilèges et les lois personnelles à l’origine de cette colère légitime, ne seraient pas vouées à disparaître, mais plutôt à cruellement changer de propriétaires, avec toujours les mêmes victimes, celles là même qui militent pour leur disparition.
« Les Assassins comprenaient le jeu politique municipal mieux que personne, et s’ils vous rayaient de leur liste, c’était parce qu’ils estimaient que votre départ non seulement gâcherait la partie mais mettrait en pièces la table de jeu. »
Là encore, Ronde de nuit s’inscrit logiquement dans la continuité du reste du cycle du Guet, reprenant l’idée développée dans le reste du cycle du Guet, mais plus particulièrement dans Va-t-en-Guerre, comme base de départ : le pouvoir n’est qu’un jeu dès lors qu’on en a acquis suffisamment. La révolution prenant lieu dans Ankh-Morpork, en dépit des enjeux que ses participants actifs y voient, n’est qu’un symptôme d’une lutte dont ils ne sont finalement que les pions, sacrifiables à merci. l’aristocratie morporkienne, pendant qu’une révolte a lieu, que des gens meurent sous les coups d’une police corrompue ou du moins trop aux ordres pour ne pas parvenir à ne pas l’être, donne des bals et des soirées mondaines. Quand on a le pouvoir, symbolisé dans une société capitaliste comme celle d’Ankh-Morpork par l’argent, on est au dessus du concept même de conséquence : le Capitalisme devient dès lors l’arbitre ultime du politique. Des dirigeants comme Rouille – encore lui, même à rebours – peuvent même se permettre de croire à des choses auxquelles la réalité elle-même n’adhère pas.
À cet égard, la position cruellement ambivalente du jeune Havelock Vétérini fait sens : il ne peut pas encore agir et faire avancer sa ville dans la bonne direction parce qu’il n’en a simplement pas encore les moyens. Il lui faudra du temps et des allié·e·s, obligé à préférer dans l’intervalle une posture d’attente et de placement de ses propres pions. En creux, malgré la difficulté morale à juger positivement quelqu’un qui joue finalement par les règles d’un jeu détraqué, Pratchett prouve à mes yeux que parfois, pour renverser un système, il faut jouer selon ses règles le temps nécessaire. Une leçon qu’il transmettra d’ailleurs plus tard à Vimaire, qui lui-même, au sein de cette boucle temporelle, se voit obliger d’appliquer ce précepte à son corps défendant : il cache la bête derrière le bouclier, il ne confond pas ce qui est personnel et ce qui est important.
« Tilden avait grandi dans la conviction que ceux du haut de la hiérarchie avaient raison. C’était pour ça qu’ils se trouvaient au sommet. Il manquait du vocabulaire mental pour penser en traître, parce que seuls les traîtres pensaient ainsi. »
Parce qu’encore une fois, quel ordre faire respecter, maintenir, et comment ? La figure de Vimaire, ici, s’oppose frontalement à celle du capitaine Swing, représentant principal de l’antagonisme général du roman, celui de l’ordre à tout prix. Pas la justice, pas l’égalité, mais bien l’Ordre, simplement l’Ordre, brutal par sa bêtise et sa simplicité, injure à la complexité du monde, et par ce qu’il cache sous ses atours de dignité offusquée par la moindre entorse à l’image que l’aristocratie se fait de la respectabilité. Le concept de craniométrie, clin d’œil appuyé et évident à la phrénologie, en est le symbole emphatique, aux côtés des Innommables, les Particuliers de la rue du Câble. Ce que Swing symbolise, c’est une police comme outil de contrôle politique fonctionnant du haut vers le bas, et non l’inverse, ce que symbolise bien sûr Vimaire. Il ne s’agit pas de faire vivre des idéaux et de défendre cielles qui le méritent, mais bien de préserver un modèle avec autant de rigidité que possible, sans jamais en dévier, quitte à ignorer la logique ou les contradictions qui émaneraient d’une application trop directe de la doctrine. La craniométrie est un symptôme – et un symbole – intéressant de cette déviance : il ne s’agit pas d’étudier un quelconque phénomène, existant ou non, pour en tirer des conclusions, mais bien d’avoir une grille de lecture de la réalité qui permette d’excuser toutes les décisions à prendre au bénéfice du modèle politique à défendre. Swing ne semble recourir à sa discipline « scientifique » que lorsque cela appuie sa propre vision du monde ; et si d’aventure elle devait le contredire d’une manière ou d’une autre, il n’aurait qu’à tordre ses propres préceptes ou improviser autour pour arriver à la conclusion décidée à l’avance. Il déteste Vimaire au premier regard, et c’est de son ressentiment qu’il part pour décider ce que la craniométrie dira de lui ; tout comme il voit en Carcer un outil utile à son travail, et ne tirera donc que des conclusions positives de son étude craniométrique. Swing n’est pas là pour questionner le système, encore moins l’améliorer ou le faire évoluer : il n’est là que pour l’appliquer, découper le monde par petits bouts pour le faire entrer dans la gabarit qu’il estime être la bonne réalité.
De son côté, évidemment, Vimaire, s’ouvrant à toutes les influences, comprenant la diversité et la complexité du monde, notamment au travers de son expérience du Guet moderne, fonctionne dans l’autre sens. Il adapte sa vision et ses préceptes à l’aune de ce qu’il apprend et sait de la réalité autour de lui pour en faire profiter le système, à son échelle, non pas au service de pouvoirs particuliers, mais d’un pouvoir collectif dont il se sait dépendre, qu’il ne considère pas à son service. Le monde étant capable de s’adapter à lui et aux membres particuliers de son Guet, avec par exemple des criminels qui désormais utilisent des bombes à l’anis pour désorienter Angua et son odorat de loup-garou, il sait qu’il doit lui aussi s’adapter pour pouvoir y faire face. « Nous sommes ici, et c’est maintenant », dit-il, parce qu’il sait précisément que tout change, tout le temps, partout, et que ne pas apprendre, ne pas s’adapter, c’est périr, et souvent dans la douleur.
« Le monde réagit mal envers ceux qui ne choisissent pas leur camp.
– J’aime le milieu, dit Vimaire.
– Ce qui vous fait écoper de deux ennemis. »
Et là, il me faut attaquer un point qui me semble vital dans la compréhension de ce volume. Ronde de nuit n’est pas drôle.
Oui, je sais, ça choque, dit comme ça. Alors évidemment, on parle de Terry Pratchett et du Disque-Monde, donc on rit, et même qu’on rit régulièrement, rythme et respirations obligent. Mais pour autant, il faut bien dire que l’humour m’a semblé très en retrait, dans ce volume, quand même. Du moins, il n’était guère plus que formel, à mes yeux, presque… Utilitaire. Ce que je veux dire par là, c’est que si d’ordinaire, Pratchett avait tendance à déployer son humour autant dans le fonds que sur la forme ; ici, le fonds n’est vraiment pas amusant. C’est sans conteste le roman le plus dur et le plus violemment frontal des Annales jusque-là, et sans doute jusqu’à leur conclusion.
Parce qu’une révolution, sous tous ses aspects, c’est brutal, c’est cruel, c’est stupide, et ça fait beaucoup, beaucoup de dégâts. Et avec la conscience politique et sociale qui était la sienne, je crois que Pratchett lui-même savait très bien qu’il ne pouvait pas passer sous silence l’horreur d’un phénomène pareil. Alors il a, plus que jamais, fait parler, voire même hurler, sa colère, y compris dans ses silences. Surtout dans ses silences, d’ailleurs : faire se taire Planteur JMTLG de son propre chef, à la fin du roman, au moment de la cérémonie aux Petits Dieux, c’est un des instants de blanc littéraire les plus puissants que j’ai jamais lus, et une des exploitations au long cours d’un personnage les plus brillantes qu’il m’ait été donné de lire.
Et si j’ai pu sourire plus d’une fois, autant de fois que j’ai pu saluer avec mon enthousiasme coutumier les bons mots qui peuplent les dialogues de ce roman, j’ai surtout été tendu et souffrant d’une régulière crispation maxillaire à sa lecture. Parce que ce que Ronde de nuit prouve, comme l’a déjà dit à raison Neil Gaiman, c’est bien que Terry Pratchett sous ses dehors joviaux et absurdement bon enfant, c’est bien qu’il était enragé, à juste titre. Et si j’aime autant ce roman, si je crois qu’il synthétise avec autant de pureté le talent Pratchettien, c’est bien parce qu’il prouve que lui savait plus que tout le monde que l’ironie, au bout d’un moment, suffit bien. Vient un moment où il faut juste cesser de se cacher derrière le rire, aussi sardonique et mordant fut-il, pour dire les choses telles qu’elles sont ; l’absurdité de certaines situations, aussi ridicules soient-elles, n’est finalement que l’expression d’un monde qui ne tourne pas rond, quand bien même il serait en forme de Disque.
« Ne vous fiez pas aux révolutions. Elles reviennent toujours. C’est pour cette raison que ça s’appelle des révolutions. »
Et ça me paraît pas mal, en guise de conclusion. Comme d’habitude, j’ai du passer à côté de plein de trucs. J’aurais pu – dû – parler de Rosie Paluche, de Chicard, de Jean Quille, des Rubans Noirs, de l’évocation maline de la Borogravie et de la Mouldavie en perspective de la lecture du Régiment Monstrueux, comme j’aurais pu inclure quelques autres citations bien frappantes, mais vient un moment où on sent qu’on est arrivé au bout du travail qu’on s’était imposé.
Ronde de nuit est un authentique chef d’œuvre, encore une fois, mais avec un nouveau supplément d’âme qui me cueillera toujours plus singulièrement encore que les autres volumes du Disque-Monde, le genre qui me fait accepter mon impuissance avec philosophie. Lisez le, vous comprendrez. Ou pas, je m’en fous. Moi je sais que ce roman, pour moi, il est formidable à tous les égards, c’est bien suffisant.
« On faisait le boulot qu’on avait sur les bras. »
Terry Pratchett, Sir, encore une fois, et pour l’éternité, merci. Infiniment.
Au plaisir de vous recroiser.
En attendant, que votre avenir soit rempli d’étoiles. Et d’un œuf dur. 😉
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