
Les Annales du Disque-Monde Tome 15 Le Guet des orfèvres
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l’avis des lecteurs
À ce stade, il n’est plus question de seulement essayer de me voiler la face. Mon attachement au cycle du Guet fera qu’à jamais, je le considérerai mon favori au sein des Annales du Disque-Monde, malgré toutes les qualités objectives que je pourrais bien trouver en plus aux autres. Il n’est pas question, de toute façon, de déterminer un « meilleur », mais seulement de constater un favori. Ce cycle me parle d’une façon incomparable. Un supplément d’âme différent, des thématiques ou une façon de les aborder singulière, une nostalgie toute personnelle, que sais-je. Tout ce dont je peux être certain, ce qu’en relisant Vimaire, Carotte et tou·te·s les autres penser ou parler, je me rends mieux compte pourquoi et comment Terry Pratchett, et en particulier ce cycle, ont compté pour le moi de mes premières lectures, comme pour celui que je suis devenu.
Mon souvenir du Guet des Orfèvres était très léger, malgré tout, en grande partie parasité par les aventures les plus récentes de Sam Vimaire, et surtout par Ronde De Nuit ; j’ai même été surpris de retrouver dans le premier des scènes et citations que j’attribuais à tort au second. Mais même si ma mémoire avait été plus au plus point et claire sur le contenu du présent roman, j’aurais, je pense, été tout de même surpris . Car surpris, je l’ai été, et pas qu’un peu. Pour un ouvrage paru en 1993 en version originale, force est de constater que la majorité de ses messages frappent avec une précision et une modernité hallucinantes, résonnant particulièrement violemment avec notre actualité proche. Et je vais bien entendu me faire un plaisir de décortiquer au mieux tout ça.
‘Aaaarde-à-vous ! ‘N’avant… Marche !
« Vimaire rajusta sa cravate comme il put.
Il avait affronté des trolls, des nains, des dragons, mais il devait maintenant se mesurer à une espèce toute nouvelle : les riches. »
Le Capitaine Vimaire va se marier dans deux jours, et il en profitera pour prendre sa retraite, même s’il demeure dubitatif à l’égard de cette perspective. Seulement, Ankh-Morpork, elle, ne se repose jamais. Au contraire, elle semble s’agiter plus que jamais. Une explosion de dragon, des meurtres mystérieux, commis à l’aide d’une arme non moins mystérieuse, autant dire qu’il y a du boulot. Sans compter que ledit boulot doit désormais être accompli par la jeune équipe de recrues du Guet, issues des minorités, trolls, naines et… femmes ?.. de la ville, selon les récents souhaits de représentativité du Patricien au sein des institutions de la cité. Comme s’il était nécessaire d’avoir des sources de tension supplémentaire…
« Les individus ne sont pas spontanément des membres de l’espèce humaine à jour de leurs cotisations, sauf biologiquement. »
J’ai déjà eu l’occasion de dire que j’apprécie avant tout le Disque-Monde pour sa qualité de miroir déformant de notre monde. Et je crois que si j’aime autant le Guet, c’est parce que cette qualité y est exacerbée comme dans aucun des autres cycles des Annales. Le contexte urbain et cosmopolite est un creuset formidable pour les réflexions socio-politiques que Terry Pratchett y mène, à mes yeux, avec un brio confondant. Dans Le Guet des Orfèvres, il attaque frontalement la question ethnique, qu’il n’avait qu’effleurée jusque là, notamment dans Le Faucheur ou Les Zinzins D’Olive-Oued, utilisant notamment beaucoup d’éléments de ce dernier afin de renforcer ses continuités narratives, thématiques et cosmologiques. Il économise du temps d’exposition tout en creusant plus profondément les enjeux qu’il avait jusque là laissés en suspens, les liant dans le même temps à de nouvelles problématiques qu’il effleure seulement, pour pouvoir elles-mêmes les creuser dans les tomes suivants. Le sentiment est le même que lors de la lecture de Nobliaux et Sorcières, encore renforcé : Terry Pratchett entame chaque volume avec un thème précis à traiter en tête, et se retrouve à en soulever de nouveaux qui l’inspireront pour les suivants, dans le même cycle ou un autre, cherchant à chaque fois le meilleur angle possible, quitte à créer des ponts entre chacun d’entre-eux.
Dans Le Guet des Orfèvres, si la question ethnique, traitée selon un prisme socio-politique, domine très largement l’intrigue et les réflexions menées par les personnages et l’auteur, nous voyons doucement se dessiner, en sous-marin, la thématique de la lutte des classes qui dominera très largement les itérations du cycle du Guet à venir, notamment au travers du personnage d’Edouard Del Amort. Encore une fois, ce dernier est avant tout un symbole, le représentant de la pensée aristocratique, profondément conservatrice, volontiers rétrograde, d’Ankh-Morpork. On peut à cet égard remarquer dans la construction initiale du roman un énorme clin d’œil à la série Columbo, puisque nous entamons le récit par l’exposition du mobile et de la méthode du criminel, se situant dans les sphères les plus privilégiées de la Grande Youplà, depuis son point de vue. Vimaire lui-même, servant de référence directe, utilisera même un des gimmicks du célèbre lieutenant, feignant la simplicité d’esprit pour piéger un de ses suspects, lui faire baisser sa garde, et ainsi en obtenir une information cruciale. Quand on sait que le concept de Columbo était aussi de montrer que le crime n’appartient pas à la pauvreté mais à toutes les classes sociales, l’emprunt est aussi explicite que savoureux.
« Mais le secret de l’histoire d’Edouard del Amort, c’est qu’il n’avait jamais subi aucune influence extérieure, à moins de prendre en compte celle de tous les rois morts. »
Si Vimaire prend quelques pas de recul en terme de présence dans ce volume, il n’en perd pas autant en terme d’importance, car sa présence, bien que ponctuelle, est vitale à la réussite du roman. En effet, par ses interventions et ses réflexions, il cristallise tous les enjeux, que ce soit au niveau de la parodie, des thématiques ou de l’intrigue. Etant littéralement à deux jours de la retraite, fatigué et désabusé, issu d’un milieu pauvre, opposé à cette aristocratie qui lui est hostile par principe, dont le Patricien fait usage à son profit et celui de la ville. Il permet à Terry Pratchett d’exprimer la quasi-totalité de ses idées par son truchement. Le meilleur exemple de ceci étant sans doute la « Théorie « bottière » de l’injustice socio-économique », une parfaite illustration de la capacité de synthèse et de vulgarisation de l’auteur, à la fois drôle et percutante ; que je n’aurais pas l’arrogance de prétendre pouvoir reproduire, ni d’avoir la place pour la citer. Cependant, elle montre avec un impact singulier à quel point la richesse crée d’elle même les conditions de la richesse et permet de l’entretenir, prouvant sobrement mais de façon assez implacable l’injustice inhérente à un système aristocratique tel que celui d’Ankh Morpork (et donc le nôtre, évidemment).
En parallèle, elle permet d’explorer plus précisément la psychologie d’un personnage aussi complexe que Vimaire, tout en nous donnant des clés de compréhension pour le reste du roman et les mécaniques socio-économiques que Terry Pratchett y décortique. Le genre d’extrait que je souhaiterais simplement citer en intégralité pour que tout le monde puisse en profiter sans aucun filtre analytique qui risquerait forcément d’en diluer la force évocatrice. Tout le sel de cette relecture a été pour moi de voir la qualité intemporelle, profondément déprimante, mais non moins impressionnante de ce volume ; appliquant une lecture systémique et terriblement éclairée aux injustices et préjudices que subissent ou perpétuent une bonne partie de ses personnages, entre terribles conséquences et cruels intérêts indirects. Cette lecture trouvant trop souvent des échos troublant à des événements récents, remuant des sujets d’actualité avec près de 30 ans d’avance, pour un ouvrage publié en VO en 1993 ; tout en parvenant à ajouter ça et là des touches de nuances sur certaines certitudes et fausses évidences avec une sagesse hautement rafraîchissante, mais ne surprenant pas venant de Terry Pratchett.
« Les gens devraient penser par eux-mêmes. […] L’ennui, c’est qu’ils confondent et ne pensent plus qu’à eux-mêmes quand on leur demande de le faire. »
Tout l’enjeu de ce volume se situe donc dans l’expansion de l’horizon des possibles au sein du Guet. En le rendant encore plus cosmopolite, en étendant son champ d’études, Terry Pratchett se donne encore plus d’occasions d’attaquer frontalement ses thématiques. Ce qui suggère un certain déficit d’éléments à analyser dans ce tome par rapport à d’autre nettement moins fournis. Pas tant, à mes yeux, parce qu’il n’y aurait rien à analyser, mais plutôt parce que l’auteur est plus direct ici qu’il ne l’a jamais été dans les volumes précédents, perdant peut-être en légèreté ce qu’il gagne en force d’impact. L’ironie se fait plus mordante, avec un arrière-goût de rage, tant dans le déroulé des événements que dans les présentations des personnages. Personne n’est pur, tout le monde commet des erreurs, dit des choses regrettables ; même Carotte n’y échappe pas, étant habituellement un parangon de vertu. Encore une fois, Terry Pratchett expose l’importance de ne pas oublier que la noirceur se niche partout et a le potentiel de s’exprimer dans les paroles les plus bénignes. Au contraire, la bonté se situe avant tout dans notre capacité à écouter, apprendre et évoluer dans le sens du bien commun. Il n’est de progrès possible sans discussion ou proximité, et sans actes allant en ce sens.
Vimaire, à cet égard, constitue lui aussi un bon exemple, puisque vivant à Ankh-Morpork depuis si longtemps, malgré des paroles discutables, agit dans le sens de l’égalité et de la justice qu’il souhaite défendre, là où Carotte doit encore s’adapter à son environnement. Si Vimaire parle par moments comme un espéciste, il n’agit pas comme tel ; s’il ne comprend pas nécessairement dans quelle direction va le monde, il n’essaie pas d’aller contre, il préfère apprendre à faire avec les changements que cela implique. En plaçant la loi, la justice et les actes au dessus de tout, il déteste tout le monde à égalité, et paradoxalement, ne discrimine réellement personne, là où Carotte doit encore faire du chemin, mieux connaître ce monde et surtout, cielles qui le peuplent. Bien que s’adaptant bien à sa ville, il n’a pas encore l’expérience de Vimaire ; leurs relations professionnelles et humaines sont d’ailleurs une des joies de ce volume, échangeant ponctuellement leurs qualités cardinales, apprenant sans cesse l’un de l’autre et progressant en parallèle. Là où l’honnêteté de Carotte devient une arme face aux malhonnêtes grâce aux enseignements de Vimaire, ce dernier parvient à exploiter son cynisme différemment au contact de son caporal; trouvant un nouveau sens à la loi, correspondant mieux à ses valeurs.
« Le proverbe dit : « Qui enchaîne un troll et en profite pour lui donner quelques coups de bottes a intérêt à ne pas se charger lui-même de sa libération. » »
Mais la principale illustration du propos général du roman, et sans conteste sa plus grande réussite réside dans l’improbable duo constitué par Détritus et Bourrico, respectivement les premiers agents Troll et Nain du Guet. Et si leurs statuts ethniques et sociaux les posent d’office comme deux ennemis héréditaires, leur statut commun d’agent du guet va très vite devenir pour eux une raison de mettre de côté leurs différends. Un trope classique, qu’on pourrait facilement qualifier d’éculé, mais qui fonctionne ici à merveille car il donne à Terry Pratchett l’occasion de creuser encore un peu plus profondément son univers, installant des éléments qui reviennent ou reviendront, et de déployer ses thématiques dans un contexte évocateur pour les lecteurices. Car si nous n’avons jamais le fin mot de l’histoire à propos de l’événement de la « Vallée de Koom », il est aisé de voir ce qu’il signifie, dans la fiction comme dans notre réalité. Il n’est qu’un prétexte, une excuse pour se complaire dans la haine et l’ignorance : c’est pratique, confortable, ça permet d’éviter d’avoir à chercher à chercher de nouveaux bouc-émissaires, à réfléchir, en somme. Y compris à l’extérieur du conflit d’ailleurs, puisque si Bourrico et Détritus commencent par se détester, faute d’avoir une autre idée de comment se considérer mutuellement, sont victimes de l’exacte même discrimination que de la part des humains de la ville, née d’une simple différence physiologique. Ils trouvent donc leur solidarité dans l’adversité commune et comprennent la vacuité de leur rivalité dont ils ont hérité sans jamais la questionner réellement. Si leurs échanges à ce sujet sont souvent prétexte à des scènes humoristiques, leur réalisation commune des souffrances qu’ils partagent, en pouvant cette fois en identifier l’origine comme les mécanismes, prête nettement moins à sourire, pour eux comme pour nous.
Terry Pratchett oeuvre ici au prolongement de son travail de déconstruction de son propre univers, par de légers mais effectifs pas de côté, comme la « déssentialisation » de ses Espèces, au travers de des nouveaux membres du Guet, comme des pieds-de-nez aux conceptions classiques de la fantasy. Détritus et Bourrico donc, mais aussi Angua, qui prend de plein pied un rôle d’importance au sein du Guet, par ce qu’elle représente, ce qu’elle est, et surtout ce qu’elle fait, posant de solides bases pour ses prochaines apparitions, vis-à-vis de Carotte et de ce qu’elle lui apporte notamment. Tou·te·s les trois symbolisent autant d’attitudes générales possibles face à l’adversité, entre l’obéissance de Détritus, l’auto-dérision de Bourrico ou la défiance d’Angua, apprenant à leurs manières particulières à adapter leurs prises de décisions à ce qui semble le mieux fonctionner. Iels montrent que rien n’est jamais aussi simple qu’on pourrait le croire lorsqu’on a pas tous les éléments en main. Le meilleur exemple étant sans doute la forme d’intelligence « alternative » de Détritus, annulant son statut de simplet par une explication dont Pratchett a le secret mais qui fait sens à l’aune du Disque et peut nous permettre d’appréhender différemment la question depuis notre prisme particulier. Une grande partie des enjeux de ce roman peut se résumer par la nécessité de voir les choses par un filtre différent de celui qu’on utilise en temps normal, de se mettre à la place des autres, que ce soit dans des termes ethniques, politiques ou sociaux. Et de fait, de comprendre qu’en simplifiant les choses pour les autres, on peut aussi indirectement les simplifier pour nous.
« Les riches étaient riches parce qu’ils parvenaient à dépenser moins d’argent. »
Car en effet, si la question du racisme systémique est évoquée, bien qu’en des termes accusant le poids des années (quoique), Terry Pratchett ne s’arrête pas là et assume l’ambition d’évoquer au delà de cette question celle du système-même qui abrite en son sein cette injustice généralisée. Il le fait de façon plus discrète, préparant plutôt le terrain pour des œuvres futures, mais il le fait tout de même, opposant l’Ankh-Morpork d’Havelock Vétérini et ses Guildes, en cours de construction et celle passée, fantasmée, tenace, des aristocrates. Toute l’idée est de mettre en balance leurs cynismes respectifs et de faire la différence. Si Vétérini est effectivement un Machiavel gonflé aux hormones, le système qu’il défend et promeut est le produit de sa lucidité ; son cynisme est une arme, un outil neutre au service de l’idée qu’il se fait du bien commun, de l’adaptabilité au profit d’Ankh-Morpork et de ses habitants. Il les connait et sait comment les manipuler dans un sens qui leur convient, il n’en profite pas uniquement à son propre profit. Il n’est pas parfait, le sait, mais fait au mieux pour composer avec tous les éléments à sa disposition, notamment en intégrant des minorités au Guet de Vimaire, sachant pertinemment l’effet que cela pourra avoir malgré des difficultés initiales.
Au contraire, le cynisme de l’aristocratie Morporkienne est sélectif, à l’instar de leur lucidité. Ils ne font réellement face à la réalité que lorsque cela sert leurs intérêts ; le reste du temps, ils l’ignorent, puisqu’elle n’existe pas à leur yeux. Ils vivent dans leur propre réalité, coupée du reste de la ville – et du monde, forcément – ne daignant se joindre au reste de la population que lorsque leurs intérêts sont en jeu. Ainsi ils détestent les Guildes pour ce qu’elles représentent d’un nouveau monde en train de se construire sans eux, et pourtant n’y font rien car leurs intérêts ne sont pas vraiment menacés pour autant. Edouard del Amort décide d’agir car il n’est pas sur la même longueur d’ondes qu’eux, mais quand bien même ils sont au courant, ils ne font rien pour l’aider ou l’en empêcher ; le statu quo leur convient, contrairement à Vétérini ou Vimaire, qui souhaitent que le monde avance, tous les deux avec des méthodes et un regard profondément différents. Et pour autant, ils parviennent à s’entendre car leurs intérêts convergent. Au contraire, les aristocrates, malgré leurs différends, font tout de même en sorte qu’un maximum de choses ne bougent pas, par leur seul poids ; ils ont le luxe suprême de ne pas avoir à réfléchir ni changer pour conserver leurs privilèges, ils n’ont qu’à les défendre.
« On a parfois du mal à détruire ce qui fascine. »
Et tout cela frappe encore plus fort en considérant que Pratchett lui-même affine les frontières entre la fiction et la réalité par la façon dont il écrit ce volume. Si le style habituel demeure, aidant comme toujours à une certaine prise de distance avec la diégèse, il explose littéralement le « 4eme mur » dès le début du roman avec une réflexion sur la possibilité dudit roman à devenir une simple nouvelle, dans le cas où un personnage ne prendrait pas une certaine décision dans un sens propice aux péripéties à venir. En ajoutant à ce qui pourrait n’être qu’une pirouette les nombreuses adresses aux lecteurices, les références à notre réalité et les habituels renversements de tropes à la sauce Pratchettienne ; je crois qu’on obtient un des volumes les plus directs des Annales au moment de la publication du Guet des Orfèvres. J’en veux pour exemple la figure de Gros Fido, hybride improbable entre Martin Luther King et Malcolm X, œuvrant pour la libération de ses frères canidés du joug des humains. Si ses discours et sa trajectoire peuvent sembler farfelu·e·s, y compris dans un univers comme celui du Disque, on finit quand même par y trouver un écho particulier, résonnant au delà d’Angua et Gaspode, qui en sont les spectateurices privilegié·e·s.
À noter d’ailleurs un style d’écriture très évocateur d’un montage cinématographique, ou sériel, pour continuer la référence à Columbo ; laissant la part belle aux progressions parallèles des personnages et les effets de surprises. Pratchett joue sur les non-dits, les fausses évidences et les révélations, à la fois dans le sens de l’intrigue et celui de la comédie. On peut à cet égard noter les classiques renversements de tropes par la logique, comme celui de l’épée dans la pierre, dont quelqu’un dira qu’un Roi serait sans sans doute plus légitime en étant capable d’enfoncer ladite épée plutôt que de la retirer. Bien entendu, cette saillie un peu meta est un fusil de Tchekhov qui joue avec le personnage de Carotte ; mais il est tout aussi intéressant de noter que Pratchett, dans sa manie de jouer avec les tropes, truffe son roman de fusils dont on pourrait dire qu’ils sont chargés à blanc, décevant ou non nos attentes selon les besoins de ce si facétieux auteur.
« L’ennui avec le Destin, bien sûr, c’est qu’il ne fait pas toujours attention où il met le doigt. »
Et dire que malgré la pléthore de notes prises durant ma lecture, je craignais de ne pas avoir beaucoup de choses à dire de ce volume ; pas par manque de matière, mais à cause d’un sentiment que tout y était déjà dit. Ce volume demeurant, je crois, le plus direct dans son propos depuis le début de ce Tour du Disque. Et pourtant. Que de choses à y re-découvrir, à la lecture comme à la chronique. Je demeure choqué de sa modernité et de sa force évocatrice, comme de sa gravité. Derrière les nombreux rires se cache une réelle férocité, un besoin impérieux pour Pratchett de dénoncer des états de fait d’une terrible actualité ; à son époque comme à la nôtre, certaines idées et citations n’ayant pas pris une seule ride, ce qui est absolument insupportable.
Cependant, je demeure à égalité admiratif de la capacité de cet auteur à faire prévaloir les meilleurs aspects de la conscience vivante au travers de ses personnages et des espèces du Disque, avec bonhomie, bienveillance, mais surtout avec lucidité. Si les situations que vivent nos héro·ïne·s sont difficiles, elles prouvent par leurs résolutions que nous sommes certes capables du pire, mais aussi et surtout du meilleur. Reconnaître notre fascination pour les armes, notre tendance à confondre l’important et le personnel ou nos biais cognitifs n’est pas un constat d’échec, c’est un premier pas vers le changement et la rédemption.
Et comme à chaque fois que je retrouve au fil de ces lignes une citation qui m’a depuis accompagné sans jamais me faire défaut, je conclurai cette chronique sur sans doute une de mes favorites à l’aune des Annales toutes entières, à attribuer cette fois-ci à Carotte Fondeurenfersson :
« Vaut mieux allumer une bougie que maudire l’obscurité. »
Comme j’avais eu une semi déception avec La longue terre, pour me remettre j’ai relu le 15° volume des Annales du Disque-Monde du génialissime Sir Terry Pratchett : Le guet des orfèvres.
Les choses changent au Guet de nuit. Le capitaine Vimaire démissionne pour se marier, le Caporal Carotte prend de plus en plus d’importance, mais surtout, pour représenter la diversité de la population d’Ankh-Morpork, le guet a intégré un nain, un troll et même une femme. Ne manquerait plus que des morts-vivants.
C’est à ce moment qu’une nouvelle menace plane sur la cité, alors que certains voudraient absolument voir le retour d’un roi, et que les tensions entre les nains et les trolls sont exacerbées par quelques individus qui ont tout à gagner au chaos.
Encore un très très bon volume, très drôle dans son détournement de toutes les séries policières qui voient arriver petit à petit au côté des italiens et irlandais des latinos, des noirs, et même des femmes. Avec une transposition géniale des guerres et inimitiés qui remontent à l’antiquité, avec la mise à nu des mécanismes d’embrigadement, d’utilisation de la haine à des fins politiques … Bref, tout notre monde décrit dans celui, loufoque, de Sir Pratchett.
Et puis c’est drôle, très drôle, on rit souvent. Et l’intrigue est parfaitement menée. On a l’impression très satisfaisante que l’auteur fait confiance à notre intelligence. Il se trompe peut-être mais c’est quand même très agréable.
Bref, j’adore, à la relecture comme lors de la découverte.
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