Les derniers hommes du Kalahari - À la rencontre des Bushmen
Résumé éditeur
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l’avis des lecteurs
A la recherche de titres sur les minorités ethniques d’Afrique (continent à ce jour minoritairement représenté dans le cadre de l’activité correspondante), j’ai porté mon choix sur le récit de Rupert Isaacson, pour la raison très prosaïque que c’est l’un des seuls que j’ai trouvé en librairie.
L’auteur, blanc, vit à Londres, mais ses deux parents sont nés en Afrique -sa mère en Afrique du Sud, et son père en Rhodésie, l’actuel Zimbabwe. Son enfance a été nourrie par les récits maternels emplis de nostalgie (son père à l’inverse n’évoquait jamais ses origines) sur l'Afrique, sa culture, ses légendes et ses contes. Adulte, devenu journaliste, il éprouve le besoin de réaliser le rêve qui en a découlé, celui de partir à la rencontre des Bushmen, peuple mystérieux qu'il pressent à l'origine de tout dans le lieu d'où vient sa famille. De nombreux scientifiques les considèrent même comme le premier peuple de la Terre, et peut-être comme nos ancêtres à tous. Il persuade un éditeur de le laisser écrire un livre sur la demande de restitution de terre des Xhomani, l’un des groupes qui les composent, et sur la détresse des autres groupes du Kalahari*.
Alors sur le point de s’éteindre, les Bushmen sont devenus un mythe intangible, impossible à circonscrire. Certains de ceux qui pourtant habitent près de leur territoire, ignorent leur existence même. Les différents clans vivent aujourd’hui majoritairement dans le désert du Kalahari, entre l'Afrique du Sud, le Botswana et la Namibie. Cela explique en partie que la quête de Rupert Isaacson est longue, et semée d’embuches. Il faut plusieurs voyages (du milieu des années 80 à la fin des années 90), parfois à plusieurs mois d’intervalle, et sur des zones différentes, pour trouver les Bushmen. Ses démarches sont par ailleurs compliquées par l’impossibilité de tenir les plannings prévus : "on se retrouve toujours à faire des allers-retours pour accompagner quelqu'un, à devoir attendre untel parti se réapproprier en marijuana...". Bref, il se transforme la plupart du temps en chauffeur de taxi. Du coup, le récit prend lui-même un aspect décousu qui ne laisse émerger qu'une masse d'histoires entremêlées et nouées entre elles, et rend difficile une perception d’ensemble. En reprenant les nombreux passages signalés par post-it quelques semaines après ma lecture, j’ai par conséquent eu du mal à en dresser un tableau cohérent. Je vais tout de même essayer…
Le récit se focalise principalement sur le mode de vie actuel des Bushmen, ainsi que sur leurs revendications territoriales et les multiples difficultés qui les accompagnent. On en sait donc très peu sur leur histoire, faute de trace, sans doute, mais aussi parce qu’ils ont subi plusieurs épisodes d’extermination (par d’autres tribus africaines puis par les colons européens) et d’expropriation de leurs terres ancestrales. De même, la construction de routes permettant d'occuper des régions jusqu'alors inaccessibles, de clôtures pour les délimiter et contenir le bétail, ont représenté pour eux une catastrophe, en décimant le gibier qui leur servait de nourriture.
En 1930, la création du Gemsbok National Parc (à cheval sur le Botswana et l’Afrique du Sud) a entre autres pour objectif de protéger les Bushmen, au même titre que la faune sauvage et le gibier dont se nourrit ce peuple traditionnellement chasseur-cueilleur. Avec l'apartheid, ils sont reclassés comme des hommes, mais des hommes de la "mauvaise espèce", et expulsés en 1970 du Parc, désormais réservé aux blancs. Avec Mandela, le clan refait surface, et demande une restitution de ses terres d’origine. Pour la première fois, les Bushmen sont pris au sérieux. Toutefois, de nombreux facteurs s’opposent encore à leurs revendications. L’ordre ancien résiste avec force, et d’autres groupes, très hostiles aux hommes du Kalahari, demandent également des terres en guise de réparation : les coloured, descendants métis de colons allemands, ou encore les hereros, dont les ancêtres guerriers, après avoir combattu contre l’envahisseur germanique dans les années 1900, ont été chassés dans le Kalahari désertique pour y mourir, un petit nombre y ayant survécu.
Le comble, c’est que lorsque dans les années 70, ils se sont désignés comme Bushmen pour compléter les cartes d'identité classant les individus selon leur race rendues obligatoires par l’apartheid pour les non blancs, ils se sont vu répondre que c'était impossible, puisque cette ethnie avait disparu. Ils ont donc été classés comme coloured, ce qui est à l’origine d’une absurdité qui aujourd’hui les pénalise : n’étant pas catégorisés comme des Bushmen, leur demande de restitution de terre est jugée illégale…
Il ne reste aujourd’hui plus qu'une région, en Namibie, où ils peuvent chasser et cueillir à volonté, mais ils sont là aussi en butte à l’agressivité d'éleveurs qui grignotent leur territoire, souvent encouragés par des gouvernements qui appliquent leurs politiques de réparation de manière bien arbitraire… La plupart des Bushmen survivent dans un état de mendicité, victimes des mauvais traitements, de la faim, et des effets secondaires du désespoir que sont la violence ou l'alcoolisme.
On les a incités, à une époque, à devenir des fermiers, pour ensuite les priver d’approvisionnement en eau, le but inavoué étant de les faire partir, sous le prétexte qu’ils ne vivent plus selon leurs traditions, élevant du bétail et troublant ainsi l'équilibre écologique de la réserve. En réalité, il s’agissait surtout d’avoir le champ libre pour exploiter les ressources diamantifères de la région. La chasse du gibier qui entre dans leur alimentation étant devenue illégale, la plupart, certains au sein de réserves privées, tentent de gagner leur vie en fabriquant des objets pour les touristes, ou en posant en peau de bête pour les visiteurs.
Certaines ONG allouent des fonds pour leur donner des terres où on leur impose de faire de l’écotourisme, mais la plupart des projets s'enlisent, par manque de réelle volonté politique et d’accompagnement sur du long terme. Les gouvernements n’engagent aucune action, humaine ou financière, pour apprendre aux Bushmen à valoriser les territoires sans s’y déplacer. Ils ont plutôt tendance à vouloir les en expulser… Les Sans ne sont pas quant à eux fermés au développement, mais ils le veulent chez eux. Ils réclament que des fonds gouvernementaux soient débloqués pour former des docteurs, des infirmières et des enseignants Bushmen, afin que les gens puissent apprendre et se faire soigner dans leur langue natale. Pris entre deux cultures, victimes des persécutions, du racisme, de la sécheresse, ils se sentent brisés. Ils ont perdu, avec la misère, la boisson et l’agressivité qu’elle leur confère, la force qu’ils tiraient d’une spiritualité puissante, omniprésente.
La quête qu’entreprend Rupert Isaacson est d’ailleurs avant tout celle d’une authenticité, d’un savoir intact. Et cela aussi complique sa démarche. Que savent encore les Bushmen de leurs connaissances et de leurs rituels ancestraux ? Les mauvais traitements dont ils sont victimes depuis des siècles ont provoqué l’effondrement presque total de leur culture. Seuls quelques anciens se rappellent encore leur langue. Pourtant, lors de ses voyages, des rumeurs circulent sur une mythologie secrète et surnaturelle qui serait toujours à l’œuvre, des rituels de guérison, des signes à déchiffrer dans le comportement de certains animaux, de sorciers qui se transforment en lion…
C’est donc une histoire de résistance, de lutte pour la survie mais aussi pour la préservation d’une identité. Il s’agit, urgemment, de trouver le difficile équilibre entre le maintien des traditions -sans que cela suppose de devenir des bêtes de foire- et l’adaptation à la modernité. Il y a tout de même un espoir, car malgré les siècles de génocide, l'effondrement et la perte de tout ce dont ils avaient besoin pour vivre, les Bushmen sont toujours là, "(…) des chasseurs continuent de parcourir les dunes et les prairies, arc à la main, pour suivre les traces d'animaux comme le faisaient leurs ancêtres, des femmes continuent d'aller entre les plantes et les arbres, de chanter tout bas en remplissant leurs tabliers en cuir ou en coton déchiré des produits du veld"…
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