L'homme surnuméraire
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L'homme surnuméraire, c'est Serge Le Chenadec. A l'occasion d'un séjour en famille à La Baule, il réalise une bien triste vérité : il insupporte sa femme Claire, et ses deux enfants adolescents lui opposent au mieux une indifférence agacée, au pire un cinglant mépris.
Ce désintérêt, ce désamour de ses proches, ont pour effet de le plonger dans une remise en question de l'utilité même de son existence. Serge Le Chenadec se sent de trop, ne voit plus de sens à sa vie... Il a pourtant peu de besoins : patron associé d'une agence immobilière, il se contente de la routine dépassionnée dans laquelle son couple s'est installé, vivre auprès de son épouse et de leurs enfants suffisant à son bonheur...
Homme de l'immobilité, de la simplicité, c'est comme s'il était resté en arrière, ou en retrait, d'un monde où il est de bon ton de briller, de courir après la jouissance et l'épanouissement personnel, un monde où il faut s'activer, s'engager. En ce sens, Serge est ce que d'aucuns appelleraient un perdant. Même son malheur est étriqué : il n'envisage le bonheur comme possible que dans la continuité de ce qu'il a vécu jusqu'à présent, il n'a ni passion ni idéal auxquels se raccrocher...
Sa femme Claire, à l'inverse, avide de changement et de liberté, désireuse de s'éloigner de ce conjoint insignifiant, médiocre, se jette à corps perdu dans l'activisme politique et les sorties culturelles, prend un amant, Serge opposant à ce bouillonnement, dont il reste à distance, une passivité auto flagellante.
L'auteur lui-même l’abandonne brutalement pour nous mettre aux côtés d'un autre couple...
Clément et Lise sont jeunes, cultivés, un peu bohèmes, ils s'aiment, et sont de plus unis par une solide complicité morale et intellectuelle. Elle est professeur de lettres, lui est chômeur, par choix, ayant érigé l'oisiveté comme principe et art de vivre, prétendant vaguement écrire un roman... un perdant lui aussi, en somme, si on le considère à l'aune de nos critères sociétaux de productivité et de reconnaissance sociale. Cette situation, qui le contente pourtant pleinement, ne peut pas durer. Le hasard des rencontres -avec des universitaires forts d'une pseudo supériorité morale qui l'exaspère- et l'insistance de Lise le renvoient dans la vie active, où pour le compte d'une maison d'édition qui lance une collection "humaniste", il est chargé de résumer les passages de grands classiques amputés de leurs contenus jugés contraires aux valeurs d'optimisme et de bienveillance que souhaite défendre l'éditeur par l'intermédiaire de ce nouveau catalogue...
Vous vous demandez sans doute quel est le lien entre Serge et Clément ? Je vous laisse le découvrir au fil de ce récit très habilement mené, qui au-delà d'une construction narrative originale, interroge avec intelligence et humour sur le sens et la nature de la littérature.
Fustigeant le nombrilisme et les velléités élitistes des universitaires, des médias, et autres "pères la morale", Patrice Jean rappelle, à l'encontre de toute cette bien-pensance qui décide que la littérature est dans la grandeur et dans l'héroïsme, qu'elle est surtout le reflet de l'homme et donc de toutes ses facettes, les bonnes comme les mauvaises, et qu'elle est un moyen de décrypter le banal autant que l'extraordinaire. Il revendique, surtout, la subjectivité de l'oeuvre littéraire, territoire de l'émotion, du ressenti, comme étant son essence même.
Et les directeurs de conscience ne sévissant pas que dans la sphère littéraire, il nous offre par ailleurs une critique savoureuse de tous ces gourous -que l'on nomme aujourd'hui des "coachs"- , de plus en plus nombreux, qui nous expliquent comment penser, comment aimer, comment voter, comment lire, comment s'épanouir sexuellement, bref comment vivre et comment être heureux, comme si le bonheur pouvait faire l'objet d'un mode d'emploi s'appliquant indistinctement à tous les individus.
"L'homme surnuméraire" est un roman à la fois drôle -l'auteur manie notamment l'euphémisme et l'ironie avec talent- et conviant à la réflexion, aux méandres parfois complexes. J'ai moins aimé la dernière partie, qui comporte quelques longueurs et redondances, mais ce fut malgré tout une chouette découverte !
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