Summer

Voilà un roman comme on les aime par ici, sombre, poisseux et mystérieux. 

"Summer", un prénom idéalement porté par la jeune Wassner, fillette puis adolescente solaire et adorée de tous. Sa disparition inexpliquée, l’année de ses dix-neuf ans, plonge ses proches dans le désespoir, notamment son jeune frère Benjamin, le narrateur. L’adolescent de quatorze ans qu’il est alors disparait, en quelque sorte, en même temps qu’elle. Il faut dire qu’il n’a jamais été très visible. Avec ses cheveux sombres, ses traits soucieux, son torse rachitique et ses jambes maigres, ses tics et sa dyslexie, il a toujours détonné dans cette famille à la beauté élégante, arborant une blondeur lumineuse. 

Vingt-quatre ans après le drame, il est rattrapé par le traumatisme qu’il a ancré en lui. Il tombe en dépression, se désocialise, incapable de sortir sauf pour aller chez son psychothérapeute. Ses nuits sont peuplées de cauchemars dans lesquels sa sœur lui parle sous l’eau, le suppliant de venir la chercher.

Il convoque alors ses souvenirs, clichés projetant la magnificence familiale, la villa au bord du lac Léman animée par la succession de fêtes où tout était civilisé et chaleureux, le défilé des femmes en robes de cocktail et des hommes à l’assurance virile, ses parents régnant sur ce microcosme pailleté ; images de la peau nue et des longues jambes luisantes de sa sœur et de ses amies, sublimées par leur jeunesse, leur richesse, le soleil des étés lacustres. Et il se revoit lui, vilain petit canard parmi les siens, hanté de la vague angoisse de n’être pas des leurs, investi dans "sa lutte épuisante et permanente pour dissimuler le quelque chose de visqueux et d’hirsute qu’il avait l’impression d’abriter au fond de lui-même" comme s’étant, par contraste, par la conviction de ne pouvoir être la hauteur, transformé en monstre à ses propres yeux.

Avec l’enlèvement de Summer, s’ajoute la culpabilité de n’être pas celui qui a disparu. 

Peu à peu, il pénètre l’envers du décor, réinterprète avec le recul des scènes dont il n’avait alors pas compris la signification, il en réévalue la portée, se détache -dans la douleur- de la naïveté qui lui faisait alors considérer certaines réactions étranges de sa sœur comme des manifestations de l’impénétrable et angoissant mystère féminin. Investi par un magma de réminiscences dont il doute parfois de la véracité, tantôt troublantes et sensuelles, tantôt glauques, cauchemardesques et baignées par l’atmosphère organique et parfois écœurante qu’installe l’omniprésence du lac et de ses odeurs, il crève la bulle du mythe, découvre son aveuglement et les bases mouvantes, trompeuses, sur lesquelles il avait bâti sa mémoire et son existence.

Benjamin doit se débattre avec le poids de secrets qu’il semble avoir été le seul à ignorer, en effet décalé dans ce monde dont les sacrosaintes apparences dissimulent faux-semblants, perversion et silence toxique.

Sa voix nous pénètre, ses hantises nous assiègent : à lire !