La nuit sous le pont de pierre

Entre roman et recueil de nouvelles, "La nuit sous le pont de pierre" est une succession d'épisodes, de tableaux dont l'assemblage compose une fresque représentant la Prague du XVIIe siècle.

On y croise des gens du peuple et de la cour, des artisans, des musiciens des rues, des chiens, un rabbin ou encore des fantômes. Deux personnages y font de fréquentes apparitions : Rodolphe II, et le juif Mordecai Meisl, liés par un pacte secret. Le premier, Roi de Bohème et souverain du Saint-Empire romain germanique, est pourtant d'une inconséquence scandaleuse, ainsi que l'ont bien compris les aventuriers et autres aigrefins qui orbitent dans son entourage. Alors que l'économie du pays est exsangue, et que les caisses de l'état sont vides, il dépense la fortune qu'il n'a pas dans l'acquisition d’œuvres d'art. C'est là qu'intervient Meisl, dont la richesse s'est bâtie grâce à une chance phénoménale, et qui devient le prêteur attitré du monarque. 

C'est en louvoyant dans son ghetto juif et ses prisons, sur ses marchés ou dans les alcôves de son château, que le lecteur s'imprègne peu à peu de l'ambiance de cette Prague de la Renaissance, appréhende son contexte social et politique, au fil d'anecdotes qui parfois se font écho, mêlant Histoire et légendes, flirtant même avec le surnaturel à l'occasion par exemple de l'évocation de l'amour onirique et éthéré liant Rodophe à Esther, la belle épouse de Mordechai Meisl.

La plupart des textes ont à la fois le charme un peu désuet des fables d'un autre temps, et l'énergie que leur confèrent la théâtralité de certaines des scènes qui y sont dépeintes, la gouaille ou la faconde de leurs personnages, et surtout la facétie qui vient régulièrement pimenter un propos pourtant souvent sombre, les incursions parmi le peuple révélant son quotidien difficile, et les conditions misérables dans lesquelles vivent de nombreux citoyens.

Leo Perutz fait ainsi renaître le passé de sa ville, en évoquant ces empreintes immatérielles et pourtant pérennes que forme l’ensemble des mythes, des croyances populaires qui s'y rattachent, et dont l'héritage contribue à fonder l'âme d'un lieu. 

Si cette lecture ne me laissera pas, en raison de la dimension séquentielle de l'intrigue, et de l'intérêt inégal qu'ont suscité ces textes -j'ai préféré les immersions dans les ruelles des quartiers populaires que les visites à la Cour Impériale-, un souvenir impérissable, elle m'aura permis de passer un moment bien agréable...