Numéro 11
Résumé éditeur
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l’avis des lecteurs
Voilà un roman à la construction a priori un peu foutraque, mais ce serait mal connaître Jonathan Coe que d’y voir un manque de maîtrise. Si "Numéro 11" nous fait naviguer d’un personnage et d’une époque à l’autre parfois sans transition ni fil logique apparent, nous n’y sommes, grâce au talent de conteur de l’auteur et à la cohérence thématique de son texte, jamais perdu.
2003. Rachel, la narratrice, est une enfant scolairement précoce mais naïve et un peu immature. Le roman s’ouvre sur l’épisode d’un séjour estival chez ses grands-parents à l’occasion duquel elle fait plus ample connaissance avec une voisine effrayante et mystérieuse qu’elle surnommait jusqu’alors "la folle aux oiseaux". D’un point de vue national, c’est l’été de la perte, pour une génération d’Anglais, de son innocence. Un été marqué par la mort suspecte et irrésolue de David Kelly, inspecteur de l’ONU et informateur d’un journaliste de la BBC ayant enquêté sur la falsification d’un rapport du gouvernement Blair sur les armes de destruction massive en Irak. C’est aussi l’été où Rachel prend conscience que son amie Alison, qui l’a accompagnée chez ses grands-parents, est noire -en réalité métisse, sa mère étant blanche-, ainsi que le lui font remarquer certains adultes.
Quelques années plus tard, nous retrouvons Alison, jeune artiste qui cumule les critères d’exclusion, puisqu’elle est noire, homosexuelle et handicapée (suite à une maladie, elle a été dotée d’une jambe artificielle). Sa mère Val, qui a connu une brève heure de gloire comme chanteuse d’un unique tube désormais daté, espère renouer avec la célébrité mais doit se contenter de flirter avec la précarité, les restrictions budgétaires publiques réduisant peu à peu les heures de son emploi de bibliothécaire à peau de chagrin. Aussi, quand on lui propose de participer, pour pallier un désistement, à une émission de téléréalité qui « recycle » (le but étant surtout de les tourner en ridicule) quelques stars du passé aux côtés de jeunes vedettes ayant le vent en poupe, elle saute sur l’occasion.
Nous croiserons également au fil du récit Laura, enseignante à l’université et veuve d’un passionné du monstre du Loch Ness ou Pilbeam, surnommé par ses collègues le « flic de la situation » qui met sa redoutable intuition au service d’une enquête sur des meurtres d’humoristes. Nous retrouverons Rachel en professeure particulier de la progéniture d’un couple richissime. Nous aurons même quelques nouvelles de l’inoubliable clan Winshaw, si férocement mis en scène dans « Testament à l’anglaise », en la personne de la fille d’Hillary tentant de suivre les traces de sa mère dans le monde de la presse à scandales.
Chaque évocation d’un personnage, des situations qu’il subis, du contexte dans lequel il évolue, est pour l’auteur l’occasion d’exercer son cynisme, sa férocité et son humour envers l’envahissement par la marchandisation et la course au profit du moindre pan de nos vies. L’accès aux soins pour les malades est déterminé par leur pouvoir d’achat ; l’enseignement est devenu un produit financier censé rapporter des dividendes et non plus élever les esprits ; les banques alimentaires n’ont jamais accueilli autant de bénéficiaires alors que la frange aisée de la population n’a jamais été aussi riche, s’adonnant à des débauches d’argent aussi absurdes qu’indécentes.
L’influence des médias au sens large du terme et le manque de discernement du public face à cette influence sont aussi les cibles d’une critique acerbe, de la manière dont la télévision manipule voire réécrit la réalité pour la faire coller à ce qu’en qu’attend le spectateur, à l’utilisation des réseaux sociaux comme exutoires à la haine et/ou à l’angoisse face à l’incapacité à comprendre le monde.
On sort de cette lecture avec des sentiments quelques peu contradictoires, à la fois réjouis par la férocité du trait et la facilité avec laquelle on a embarqué dans ces histoires aux côtés de héros à la singularité palpable, et en même temps un peu désespéré par le portrait que ce roman dresse d’une société où l’iniquité grandissante est occultée par l’abrutissant intérêt que ses victimes prêtent à une industrie du divertissement opportunément distrayante…
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