
Le voyageur en noir (Le passager de la nuit)
livré en 5 jours
l’avis des lecteurs
Voilà que la série de SP signés Mnémos de ce début d’année touche à sa fin. Et clairement, des trois, c’était celui qui nous intéresse aujourd’hui qui m’a le plus fait de l’œil. Au delà du nom de son auteur, sanctifié à plusieurs reprises dans les lignes de ce blog, c’était avant tout le fait de voir ce titre marketé comme sa seule incursion en fantasy qui m’a rendu particulièrement curieux. Parce que bon, si je crois dur comme fer que la fantasy et la science-fiction ne sont que deux points plus ou moins éloignés d’un gradient commun en fonction de l’échelle avec laquelle on raconte les choses ; le fait est que ça ne s’écrit pas du tout de la même manière, et que ça demande des qualités complètement différentes pour être écrit correctement.
Donc, si je n’ai absolument aucun doute sur le talent de John Brunner et que cela ne changera probablement jamais, la question était donc : est il aussi doué et percutant pour écrire de la fantasy qu’il l’était pour sa science-fiction ?
Et la réponse est : euh…
Compliqué. Parce qu’il faut bien dire que j’ai eu du mal, avec ce bouquin. Pour le dire de façon un poil abrupte ; c’est un peu le bordel. Que ce soit conceptuellement, narrativement ou thématiquement, en dépit de toute l’attention que j’ai pu porter à son ouvrage, je suis un peu perdu au moment d’affirmer si j’ai bel et bien compris l’intention qui était celle de Brunner au moment d’écrire cette histoire. Même génériquement, j’aurais du mal à complètement ranger Le Voyageur en noir dans la fantasy pure et dure, le faisant plus volontiers glisser du côté de la fable ou du merveilleux. En tout cas je ne trouverais pas ça illogique, au vu du déroulé de ce patchwork de scènes et saynètes, fix-up frénétique, constitué d’autant de leçons de morales à peine déguisées ; où des gens peu recommandables se voient infliger des punitions karmiques par le personnage-titre, envoyé plénipotentiaire d’une mission cryptique au service d’on ne sait trop qui. Sorte de mauvais génie désabusé mais professionnel, notre protagoniste exauce les vœux des gens qu’il croise au fil de ses pérégrinations aléatoires, toujours d’une manière à mettre en lumière leurs pires défauts d’une façon aussi cruelle et dramatique que possible, sans qu’on soit jamais sûr qu’il en soit directement responsable.
D’un côté, donc, on a une succession assez réjouissante de mini-contes narquois et mordants illustrant les aspects les plus médiocres de l’espèce humaine, avec un karma punitif systématique choisissant vraiment bien ses cibles : c’est cool. Mais de l’autre, et bien, précisément, on a un peu que ça à se mettre sous la dent, ce que je ne peux pas m’empêcher de trouver frustrant. Alors bon, une fois qu’on a fait la paix avec l’absence de réelle intrigue, ou du moins d’un fil solide et facile à suivre, on peut je pense complètement trouver son compte à simplement suivre les aventures un peu foutraque de ce mystérieux voyageur en noir tout-puissant mais fatigué de sa charge ; le problème pour moi, c’est que le choix de refus d’un réel narratif par John Brunner rend l’ensemble assez difficile à parcourir. La multiplication des chapitres très courts et des toutes petites histoires avec plein de personnages et de situations, ç’a tendance à vite me fatiguer le cerveau ; il me faut des choses claires et durables sur lesquelles poser mon attention pour réussir à me concentrer sans trop m’épuiser.
Alors heureusement, quand même, le talent de John Brunner ne se dément pas non plus, à mes yeux ; certains de ses choix ne sont juste pas les plus aisés pour moi, mais l’essentiel demeure. Ce Voyageur en noir n’est pas qu’une longue suite de règlements de comptes un brin cyniques et cathartiques ; c’est aussi, je crois, une gigantesque allégorie, nourrissant d’ailleurs mon sentiment que ce roman s’intègre plus aisément au genre de la fable qu’à celui de la fantasy. Et c’est à mettre à son crédit, puisqu’en le prenant ainsi, la plupart des décisions prises par l’auteur font bien plus sens et le dédouanent de certains manquements impardonnables dans le cadre d’un récit de fantasy. Dès lors qu’on prend cette histoire toute entière pour une métaphore géante de la condition humaine sous la coupe de ses représentants les plus médiocres et abjects rangés sous l’étendard du « chaos », alors on peut complètement se moquer de sa magie aux règles vaporeuses, de sa chronologie absconse ou de ses personnages fonctions interchangeables. Comme qui dirait : it’s not a bug, it’s a feature. Alors certes, ça ne rend pas le bouquin plus facile à parcourir pour un esprit comme moi, qui aime beaucoup trop le principe de maintien de certaines unités dans ses récits de fiction, mais au moins, ça donne du sens à l’ensemble, et ça explique ce qui pouvait sembler bizarre.
À l’arrivée, ça nous donne un petit roman assez réjouissant. Certes, je n’ai pas ressenti la même puissance littéraire et intellectuelle que dans Tous à Zanzibar ou La Ville est un échiquier, ni même un plaisir similaire ; mais c’est le prix à payer pour l’audace un peu punk de l’auteur qui a clairement tenté quelque chose dans ce Voyageur en noir. Je pense que c’est à mettre à son crédit ; j’ai plus été déstabilisé, mis en difficulté, d’une certaine manière, que déçu ou dégoûté. J’ai souri plus d’une fois, et je n’ai cessé de me débattre avec des sentiments semblant contradictoires au fil de ma lecture, ce qui est, je pense, le signe d’un travail au moins partiellement réussi : quand je n’aime pas, je n’ai pas de doutes. Tous les choix de John Brunner dans ce roman ne m’ont pas plus, mais il a vraiment fait des choix ; et ça, ça me plait.
Grand auteur de science-fiction, John Brunner est connu pour ses univers dystopiques et cyberpunk. Ses œuvres les plus marquantes sont Tous à Zanzibar (1978) et L'Orbite déchiquetée (1969). Chacun de ses textes a été l'occasion de mettre en lumière des sujets toujours d'actualité comme l'emprise des médias avec la mise en place de la censure, la puissance des multinationales, la guerre, l'écologie ou encore le péril technologique.
Après la réédition de certaines de ses œuvres comme les intégrales Les Planétaires et La Tétralogie Noire ou encore L'Orbite déchiquetée, les éditions Mnémos récidivent en ce début d'année 2024 en nous proposant, cette fois-ci, avec Le Voyageur en Noir son unique récit de fantasy.
Lu dans le cadre d'un partenariat avec les éditions Mnémos, je remercie Estelle Hamelin pour l'envoi de ce service de presse.
On y suit les pérégrinations d'un certain voyageur en noir toujours muni d'un bâton lumineux. En effet, celui-ci est chargé par une entité anonyme de rétablir l'ordre en éradiquant la magie car cette dernière est source ici de chaos et constitue à ce titre un danger. La tâche semble de longue haleine, alors arrivera-t-il à mener sa quête jusqu'au bout ?
Dans Le Voyageur en Noir, John Brunner prend la fantasy à contre-pied. En effet, il ne s'agit pas ici d'un roman d'apprentissage dans lequel le jeune héros doit apprendre à maîtriser ses pouvoirs afin de libérer son monde d'un quelconque oppresseur. Pas plus que l'on assiste entre ces lignes à une lutte entre magie blanche et magie noire.
En fait, dès les premières lignes du livre, on sent l'auteur de science-fiction derrière ce récit de fantasy car il a mis beaucoup de rationalité dans le traitement de la magie. Celle-ci étant surtout tournée vers un usage personnel dans l'univers imaginé par John Brunner, on comprend donc d'autant mieux sa vision pessimiste car elle va à l'encontre de l'intérêt collectif. On en prend, d'ailleurs, la mesure dans la deuxième partie intitulée, Abattre la porte des enfers où l'on goûte à la destinée tourmentée de la cité d'Ys et de ses habitants qui voient s'abattre sur eux bien des calamités. Ceux-ci ont péché par excès en invoquant des puissances néfastes pour sauver la ville de sa déchéance plutôt que de se retrousser les manches et en payent donc le prix.
Mais plus que d'implorer magiciens ou élémentaux, la population réclame aussi, à cor et à cri, l'intervention d'un dieu qui tel un messie sera à même de les guider et de leur trouver des solutions à leurs problèmes. Ainsi, dans la première partie, La marque du chaos, le voyageur en noir exauce non sans humour leur vœu puisqu'il extrait Bernard Brown de son époque pour lui faire endosser ce rôle divin. Une manière de prouver au peuple que seule la réflexion et l'astuce peuvent régler la situation.
En outre, le voyageur en noir prend ici les traits du génie qui intervient pour exaucer les vœux. Seulement les gens ignorent à qui ils ont affaire et professent des désirs à tort et à travers sans l'avoir mesuré au préalable. Or, ceux-ci prennent des tournures inattendues et bien souvent désagréables. En cela, l'auteur souligne l'inconséquence humaine qui cherche toujours un coupable dans autrui et n'assume généralement pas ses actes. Figure du magicien ou jedi, le voyageur en noir endosse au fil des pages bien des rôles, du simple observateur à l'acteur. Le regard qu'il pose sur ce monde en perdition est désabusé car nul ne semble jamais apprendre de ses erreurs. C'est donc avec beaucoup d'ironie et de lassitude qu'il porte sa mission d'ordonner le monde.
Comme dans beaucoup de ses textes, on retrouve certains de ses thèmes de prédilection, notamment son rapport à l'écologie et à la problématique de la pollution comme dans Ces choses qui sont des dieux où toutes sortes d'immondices, des cadavres d'animaux ou d'humains aux déchets végétaux sont jetés dans Métamorphia rendant la consommation de l'eau impropre tout en enrichissant une sorcière malhonnête.
Ainsi, dans Le Voyageur en Noir, la magie personnifie la société archaïque que le personnage principal cherche à remplacer par un monde plus progressiste fondé sur la raison et la science.
Divisé en cinq parties, la rédaction de cette œuvre ne s'est donc pas faite d'une traite. Ainsi, en se ménageant de longues pauses entre chacune d'elles, John Brunner a choisi de laisser mûrir sa réflexion en permettant à sa fantasy de se nourrir de la science-fiction qu'il n'a pas cessé d'écrire.
En rééditant ce texte, les éditions Mnémos nous donnent accès à un grand nom de la science-fiction qui s'est essayé à la fantasy et évitent ainsi que ce patrimoine culturel ne s'éteigne à jamais. Alors, on les remercie !
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