Thérèse Desqueyroux
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..Voilà comment François Mauriac, par la magie de ces petites phrases qui démontrent à quel point Thérèse Desqueyroux fut chère à son cœur, et à quel point il fut touchée par sa vulnérabilité, parvient à nous attacher à une empoisonneuse. Comme si lui-même s'était à son insu laissé séduire par son propre personnage.
Mais qui est Thérèse ? Il serait injuste de la limiter au résultat de l'inspiration que fit naître chez l'auteur la vision de Blanche Canaby -au procès de laquelle il assiste- dans une salle de Cour d'assises : à partir de l'image marquante de cette femme accusée d'avoir voulu empoisonner son mari, François Mauriac imagine sans doute l'un des plus émouvants portraits de femmes de la littérature (enfin, c'est en tous cas mon avis).
Le récit s'ouvre sur la sortie de Thérèse du tribunal, et le cri de victoire de son avocat à son père, venu la chercher : "non lieu !" Le père est soulagé, cette sordide histoire risquait de compromettre sa carrière politique. Lors du trajet à pieds qui leur permet de rejoindre la calèche qui ramènera Thérèse au sein du foyer conjugal, les deux hommes échangent des considérations sur l'affaire comme si elle n'était pas là, nous laissant augurer de l'immense solitude qui entoure la jeune femme, impression que ne démentira pas la suite du roman.
Sur le chemin du retour, elle s'illusionne, pleine de bonne volonté, sur un nouveau départ aux côtés de ce Bernard Desqueyroux qui ne lui ressemble pas. Elle s'imagine lui confier en toute sincérité les chemins tortueux qui l'ont amenée à augmenter la posologie de son traitement médicamenteux, au risque de provoquer sa mort... Pour cela, elle se laisse aller à ses souvenirs, remonte jusqu'à l'enfance, y tâtonnant à la recherche d'indices expliquant la femme qu'elle est devenue.
Thérèse a toujours été différente. Adolescente issue d'une famille de riches propriétaires terriens aux idées progressistes, Thérèse fut une élève intelligente, exigeant d'elle-même une certaine supériorité spirituelle. Et c'est avec un peu de condescendance qu'elle considérait la candeur et la bienveillance de son amie Anne de La Trave, rendues faciles par la force de sa ferveur religieuse.
A l'aune de sa vie de mère et d'épouse, son enfance lui apparaît comme un paradis...
Car la chute de Thérèse a commencé avec le mariage. Une union convenue, une histoire de transmission de patrimoine, avec le demi-frère d'Anne. Cela aurait pu être pire : Bernard est un homme instruit, sans doute un peu moins rustre que ces hommes de Landes à l'âme simple, qui ne se posent guère de questions hormis celles touchant à la terre, à la chasse et au domaine, davantage attachés à leurs pins qu'à leurs épouses... Mais l'incompréhension entre les deux époux est pourtant totale. La complexité psychologique de sa femme est pour Bernard un mystère inapprochable et incongru.
L'ampleur du fossé qui les sépare est confirmé à Thérèse par sa rencontre avec Jean Azevedo.
Anne, sa belle-sœur, s'est éprise de ce dernier, au grand dam de ses proches : il est hors de question que ce juif, certes riche mais dont la rumeur prétend qu'il porte dans son sang la tare tuberculeuse de sa famille, intègre le clan Desqueyroux. On demande à Thérèse d'intervenir, elle seule saura convaincre son amie de toujours.
Thérèse découvre alors en Jean Azevedo un jeune homme brillant, ambitieux, qui lui fait entrevoir la possibilité d'une autre vie... elle réalise qu'il existe des chemins hors des sentiers battus tracés à son intention, des ailleurs où peut-être, elle pourrait laisser s'épanouir cette différence qu'elle sent, de façon presque inconsciente, en elle. Il n'est pas question, entre ces deux-là, d'amour ni d'attirance sexuelle (Jean repartira d'ailleurs bien vite à Paris, indifférent aux émois suscité par son passage) : c'est juste qu'une porte a été entrouverte devant Thérèse, et son impuissance à la franchir la rend malade de désespoir. Un désespoir sourd, invisible aux yeux du monde. Elle-même appréhende difficilement ce qu'elle attend exactement de l'existence. Le mal-être qui la ronge est profond mais insidieux, sa conviction de n'être pas faite pour cette vie de mère au foyer est à peine consciente.
Thérèse est une prisonnière, dont le refus de se plier aux rôles de mère et d'épouse que lui imposent les carcans d'une société patriarcale la font considérer comme un monstre. Son geste -cet empoisonnement lent, pratiqué de manière presque anodine- est davantage un réflexe de survie, une tentative naïve et instinctive pour se libérer, que le résultat d'une volonté délibérée.
Ses aspirations paraîtraient aujourd'hui bien naturelles, même banales. Le drame de Thérèse Desqueyroux, c'est finalement d'être un esprit libre et moderne, dans un milieu et à une époque où la femme n'est considérée que comme un instrument de perpétuation...
A l'occasion de cette lecture, La Coterie des Sagouines s'est agrandie : Miss Sunalee nous a rejoint. Son billet ICI.
Et vous pouvez -enfin, non : vous DEVEZ- découvrir ICI pourquoi Athalie a elle aussi été émue par Thérèse...
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