
Mirror Bay
Résumé éditeur
En stock
l’avis des lecteurs
C’est toujours un plaisir pour moi que de changer un peu de braquet, de temps en temps, que le résultat soit satisfaisant ou non ; tenter des choses inattendues sur un coup de tête c’est a minima la garantie de se recalibrer un peu. J’ai tenté cette lecture de Mirror Bay uniquement parce que j’en ai lu un avis enthousiaste de la part de quelqu’un dont les goût sont suffisamment proches des miens pour que je me dise que les statistiques étaient de mon côté.
Et de fait, je comprends son enthousiasme. Je ne peux pas dire que je le partage à 100%, mais la proportion est quand même très bonne. Disons que ça se joue à pas grand chose pour que je sois absolument convaincu ; je ne suis que très content, là où j’aurais pu être extatique.
Essayons de développer cet énième – tout petit petit – pinaillage.
À la mort de son oncle Vernon, Wilder, alors jeune adolescent s’installe avec ses parents dans le cottage laissé par le défunt sur la côte, le temps d’un été. Il fera sur place la connaissance de Nat et Harper, deux personnalités aussi fortes qu’atypiques, laissant une trace indélébile dans sa vie, poussant même le trio à se promettre de ne jamais se séparer, de toujours faire en sorte de pouvoir se retrouver ; et ce malgré leur éventuels différends ou l’ombre menaçante du Rôdeur, figure criminelle locale ayant traumatisé bon nombre de gens en photographiant de jeunes enfants pendant leur sommeil, une lame sur la gorge.
Il est toujours assez compliqué de résumer un bouquin comme celui-là, à la frontière générique entre le polar, le thriller psychologique et le roman fantastique, quand tous ces éléments s’entremêlent sans cesse ; tout élément dévoilé dans le but d’expliquer ou simplement de verbaliser la joyeuse tambouille proposée par l’autrice devient instantanément un risque de spoil, ce qui dans ce genre de récit, à mes yeux, est à même de prodigieusement gâcher le plaisir de la découverte à coup d’anticipations malvenues. Parce que bon, j’ai beau ne pas être un intégriste de la virginité narrative sur le principe, j’avoue qu’à une échelle purement personnelle, savoir exactement à quoi m’attendre quand je découvre une œuvre, c’est le meilleur moyen de m’en parasiter l’appréhension. Si je pense toujours être capable d’apprécier la manière dont les éléments ont été mis en place et exploités, il n’empêche que j’ai été privé de la majorité de la compréhension, d’une vision pleinement personnelle de l’œuvre en question. C’est aussi pour ça que j’aime bien ignorer un maximum de ce que je vais explorer : la vision qui en ressort est autant que possible la mienne. Que j’ai tort ou raison sur certaines de mes subséquentes interprétations est complètement accessoire ; et même, le plaisir que j’ai à en apprendre plus au contact d’autres personnes ayant une appréhension différente de la mienne n’en est que décuplé.
Une tangente un peu longue pour dire que dans Mirror Bay, il y a une quantité non négligeable d’éléments à potentiellement spoiler. Et si du point de vue du pur résumé et de l’explication de textes, ça complique salement les choses, je suis d’autant plus content d’y être allé à ce point là à l’aveugle, dans une pure perspective de lecteur. Parce que Catriona Ward, dans ce roman, se livre à un exercice de jonglage littéraire d’une intensité rare, du moins de mon point de vue assez néophyte quand il s’agit de polars, le genre qui à mes yeux domine tout de même les deux autres dans le triptyque générique décidée par l’autrice. Ce que j’ai particulièrement aimé, ici, c’est le côté presque ludique du travail de Ward. Dans un roman de ce type, il me semble que le jeu est souvent de scruter les indices plus ou moins subtils laissés par l’auteurice afin d’en anticiper au mieux la conclusion ; on aura beau faire toutes les contorsions et commettre toutes les originalités formelles ou conceptuelles possibles, la question majeure à laquelle un ouvrage de cette espèce doit répondre est la plus classique et la plus viscéralement prenante de toutes, qui aura donné son nom à un sous-genre précis, mais probablement le parent proche de tous les autres : whodunnit.
Or, ici, Catriona Ward n’a de cesse, dans une tradition particulière qui, j’avoue, réussit quasiment toujours à me séduire, de changer les questions dès qu’on pense avoir la moindre réponse. Régulièrement, au fil de ma lecture, alors que je pensais enfin avoir compris la finalité thématique et narrative du roman, l’autrice me tirait le tapis de sous les pieds pour en changer avec une intelligence remarquable. Remarquable parce que sachant éviter une certaine gratuité prétentieuse ou creuse ; il y a de l’idée derrière tout ça. Il ne s’agit absolument pas de multiplier les bouleversements et renversements clichés, mais plus simplement et redoutablement de modifier notre perspective sur la situation dramatique – au sens théâtral du terme – qu’il nous est donné de lire. L’histoire, en somme, est toujours la même, elle nous la raconte juste d’une façon un peu différente à chaque fois, en fonction des points de vue convoqués. Et là, on pourrait se dire que ce n’est finalement que Rashōmon revisité avec un cœur narratif modifié. C’est possible, je n’ai pas vu ni lu Rashōmon, je sais juste de quoi il s’agit. Mais d’une, je pense que reprendre de bons concepts pour en faire quelque chose d’autre c’est absolument acceptable en Art, surtout de nos jours où tout peut être considéré comme dérivatif sans que ce soit vraiment problématique, et de deux, parfois, il s’agit plus de réussir à faire quelque chose d’efficace et de singulier qu’autre chose. Ce que Catriona Ward fait sans l’ombre d’un doute.
Puisque si j’ai absolument dévoré ce bouquin tout en ménageant des temps de repos entre chaque occurrence pour ne pas m’infliger moi-même d’indigestion, c’est qu’il fonctionne particulièrement bien. Toute la malice de l’autrice ayant été, à mes yeux, de ne pas uniquement se concentrer sur ce jeu de suspense et de révélations contradictoires en cascade, ménageant très habilement des espaces de respiration et d’approfondissement des enjeux purement personnels de son intrigue ; de fait, elle ne s’intéresse pas tant aux éléments premiers de cette histoire qu’à leurs conséquences. C’est sans doute ça qui m’a séduit le plus, cette attention portée à ce qui d’habitude, autour de ce genre d’histoire, n’est qu’accessoire, sur lequel on porte habituellement un regard voyeuriste, en quête de spectaculaire ou de morbide, plus qu’autre chose. Cette affaire du Rôdeur aurait pu constituer un macguffin absolument acceptable, magnifié par tous ces renversements, du moins pour les amateurices de ce genre, moi compris : un bon gros crime bien morbide dans un coin paumé, avec des drames familiaux et sociaux en arrière-plan, ça fait bien souvent une trop bonne histoire pour être ignoré. Sauf que là, pas vraiment. L’histoire en elle-même, elle est là, mais la sublimation se trouve ailleurs. Et à la fin, on se retrouve avec un roman très fort sur notre rapport à ces drames affreux, sur notre habituation quasi criminelle à l’appropriation de ces affaires à des fins spectaculaires et mercantiles.
Et c’est là que je trouve ce roman particulièrement balaise, formellement et conceptuellement parlant. Avec une base somme toute classique, pour ne pas dire éculée, Catriona Ward part dans une idée complètement meta, voire meta-meta – (meta)², oserais je – déplaçant un à un tous les marqueurs attendus de son roman vers des repères complètement imprévisibles, déstabilisant son intrigue en même temps que son lectorat pour réussir à exprimer quelque chose aux antipodes des attentes initialement suscitées. Alors après, évidemment, ça plait ou non, ce côté déconstruction, mais personnellement, non seulement j’ai été embarqué, mais en plus, j’ai pu apprécier à quel point j’ai été baladé du début à la fin, arrêtant d’essayer d’anticiper la finalité du bouquin une fois m’être fait avoir deux ou trois fois, acceptant juste que l’autrice était trop fort pour moi, et qu’il valait mieux que j’accepte humblement de faire la balade en sa compagnie.
Et c’est là que je pinaille, comme d’habitude, parce que c’est plus fort que moi. Franchement, 90% de ce bouquin est à mes yeux une masterclass de maîtrise littéraire et dramatique. Le floutage constant de la narration, le doute permanent quant aux informations fournies en bataille avec la certitude qu’on comprend tout ce qui se passe dès lors qu’on y réfléchit un peu, c’est indubitablement très très fort. C’est d’autant plus fort qu’avec son discours meta, Catriona Ward non dit frontalement que la fin d’une histoire en général, et de celle-ci en particulier, n’est absolument pas l’essentiel de cette dernière ; ce avec quoi je suis absolument d’accord. Une bonne fin ne fait absolument pas un bon roman, et une mauvaise fin ne fait pas un mauvais roman : le plus important, c’est bien le rapport de cette fin au reste dudit roman.
Ici, je trouve que la fin, en soi, est plutôt bonne, elle constitue un rapport intelligent et cohérent avec tout ce qui l’a précédée. Si je dois confesser une très relative, certes, mais une déception quand même quant à cette dernière, c’est qu’elle ne vient pas, selon moi, couronner le reste du récit. Là où j’ai été emporté et soufflé page après page, avec un usage précis du vocabulaire et de la syntaxe pour rendre compte de certaines réalités subtilement cachées du récit, par une intensité narrative absolument impeccable, un sens du timing quasi parfait dans le rythme des avancées et renversements de l’intrigue, je n’ai pas pu m’empêcher de trouver la fin un peu molle. Pas mauvaise, pas ratée, juste… meh. Je ne pourrais pas dire « tout ça pour ça », parce que ce serait, je pense, comprendre de travers, voire même à l’opposé, le sens entier du roman qui la précède, mais cette fin, formellement, ne m’a juste pas semblé à la hauteur. Comme si Catriona Ward, épuisée de tous ses efforts jusque là, n’avait pas réussi à mobiliser le dernier souffle nécessaire à parachever son œuvre. Un dernier renversement plus bizarre que vraiment surprenant, une conclusion un brin précipitée, des éléments un peu discordants, un usage du fantastique me posant un peu question ; j’ai eu l’impression d’avoir raté quelque chose.
Tout en me disant que c’est peut-être un peu fait exprès, parce que ça colle trop bien avec le reste du roman et des intentions que j’ai sembler y déceler pour être complètement fortuit. Je suis dubitatif, je l’avoue.
Mais il n’empêche que c’était vraiment très très bien. Ça se lisait tout seul et c’était hyper malin, dans le concept comme dans l’exécution. Si je chouine un poil sur la conclusion, c’est uniquement parce que le build-up jusqu’à cette dernière était un sans-faute à mes yeux, et que ne sachant absolument plus à quoi réellement m’attendre, j’ai peut-être trop espéré de cette chute implicitement annoncée. Demeure que ce Mirror Bay était une sacrément bonne surprise. Du genre à me rappeler que vraiment, il y a de belles choses à découvrir absolument partout, un peu comme à l’époque de ma lecture du roman Les refuges. Et ça, c’est quand même un plaisir sans borne ni lassitude.
Livraison soignée
Nos colis sont emballés avec soin pour des livres en excellent état
Conseil de libraires
et des sélections personnalisées pour les lecteurs du monde entier
1 millions de livres
romans, livres pour enfants, essais, BD, mangas, guides de voyages...
Paiement sécurisé
Les paiements sur notre site sont 100% sécurisés