Ederlezi : Comédie pessimiste
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"Ederlezi" est l'histoire d'une dynastie. Une dynastie tzigane de nomades et de chanteurs, de pauvres hères toujours joyeux, à qui l'on ne sait quel Dieu ou quelle fée a inoculé la musique dans la peau.
Une dynastie indissociable d'un village, Strehaia, vers lequel ils finissent toujours par revenir (même si c'est en se réincarnant après avoir péri dans des contrées lointaines) en dépit de la bougeotte qui bouillonne dans leurs veines. Blotti dans un coin de montagne où les échos du monde arrivent avec retard, dépourvu de mairie et d'église, il semble concentrer dans le lacis de ses ruelles miséreuses une proportion démesurée de personnalités hautes en couleurs, toutes issues des clan des Baïramovitch, Baïrami et Baïramovski.
Le premier du nom qui donnera à Strahaia sa lignée de chanteurs est un Baïramovitch, Salko la Ploska, grand voyageur polyglotte, musulman puis chrétien, qui ressuscitera plusieurs fois. Sa descendance et ses multiples ramifications compteront leur lot d'ivrognes, d'infidèles, de délinquants, mais la façon dont est dépeint tout ce petit monde, avec tendresse et surtout beaucoup d'humour, nous le rend irrémédiablement sympathique.
Parmi eux, nous suivons plus particulièrement Azlan Tchorelo, alias Azlan Bahtalo, alias Azlan Chavoro Baïramovitch, et son orchestre qui, entre Bohème et Yougoslavie, Serbie et Macédoine, anime mariages et enterrements, fêtes de circoncisions... Les soirées se terminent souvent mal, une œillade trop appuyée à l'une des invitées de la noce ou la folie soudaine de l'un des musiciens déclenchant des bagarres inévitablement suivies d'une humiliante expulsion. Mais nos compères ne s'en soucient guère. Amoureux des femmes, du raki, et de la musique, épris de liberté, ces poètes irrévérencieux étreignent l'existence à bras-le-corps, avec une exubérance contagieuse.
"Si je continue à boire comme ça, je vais mourir avant la fin de ma vie".
Ils ne sont pourtant pas épargnés par le malheur, visés par la barbarie des hommes qui s'invite sur leur route, ou s'obstine à venir les débusquer au fin fond de leur village. Azlan et ses compagnons subissent ainsi les vicissitudes auxquels les exposent leur singularité et leur refus de toute soumission à une morne "normalité". Et comment imaginer faire entrer dans le moule l'univers d'"Ederlezi", ses fables et sa magie, ses femmes serpents et ses sorcières, ses superstitions et ses miracles ? Comment concevoir la possibilité d'enfermer la verve de ses héros, artistes errants et philosophes ne se prenant jamais au sérieux, ainsi que leur réjouissant sens de la formule et de l'auto-dérision, dans le carcan d'un quotidien banal ?
"La réalité n'est qu'une illusion provoquée par le manque d'alcool".
"Ederlezi" est un roman sarabande, une chanson qui mêle gouaille et mélancolie, ce qui est sans doute la meilleure manière de rendre hommage à l'orchestre d'Azlan, dont le répertoire, amalgame de cultures populaires, emprunte au yiddish, à la musique de fanfare, au registre paillard, à la tradition tzigane... et la liste n'est pas exhaustive ! Le récit, se présentant comme une succession d'épisodes mettant en scène une multitude de personnages, a un aspect décousu qui finalement est assez représentatif de son propos : ce que l'on en retient, c'est que ça pétille et virevolte, et que d'avoir été pris par la main pour participer à la ronde, c'était drôle et émouvant à la fois...
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