Kinderzimmer
Résumé éditeur
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l’avis des lecteurs
J'ai eu un peu de mal au départ, avec cette écriture qui me donnait l'impression de me racler l'esprit, flux continu constitué d'une alternance d'ellipses et de longues successions de verbes imposant des affirmations brutales, de phrases brèves, d'un enchevêtrement d'images, de faits, de paroles, de prières, accumulation donnant au texte une dimension pressante, oppressante... Un peu d'appréhension aussi, à l'idée que cela tourne à l'exercice de style, au dépens du propos.
Puis l'immersion s'est produite, presque à mon insu, au fil de la voix de la narratrice...
"Kinderzimmer" relate le séjour de Suzanne, alias Mila, au camp de Ravensbruck, où elle a échoué comme déportée politique. Elle égrène ses souvenirs d'anecdotes tragiques, évoquant la maladie, l'extrême saleté, l'intense promiscuité, l'omniprésence de la mort, et surtout cette faim qui tenaille incessamment, et la lutte quotidienne qui en découle, pour gagner une miette de pain, se mettre n'importe quoi dans le ventre, lutte qui exacerbe les mauvais instincts, replonge dans des réflexes d'animal... Mais qui fait naître aussi de beaux gestes de solidarité.
La gageure, c'est de rester vivante, jour après jour, heure après heure.
Se battre pour sa propre existence, c'est déjà presque l'impossible... C'est pourquoi, quand Mila sent qu'une vie bat dans son ventre, elle préfère l'occulter et le taire.
Comment imaginer pouvoir donner la vie dans cet univers de mort ?
Et pourtant, l'enfant naît, et commence alors une autre lutte, pour le nourrir, le protéger des maladies, des rats, du sadisme de certaines gardiennes.
Valentine Goby, à travers la voix de son héroïne, tente d'exprimer l'indicible, d'imaginer, sans le recul que confère la connaissance de l'Histoire, ce que fut la découverte des camps par ceux qui y furent détenus. Comment exprimer le retentissement dans les esprits, dans les tripes, de l'horreur qui leur fut dévoilée ?
Y parvient-elle ? Nous ne le saurons sans doute jamais... il n'empêche qu'elle a su faire de "Kinderzimmer" un roman fort et touchant, dont l'aspect le plus poignant est à mon sens ce décalage qu'elle nous fait subtilement deviner, entre le vécu et le récit, et l'impossibilité pour les victimes des camps de concentration de faire véritablement partager leur expérience.
“Je vais te faire embaucher au Betrieb. La couture, c’est mieux pour toi. Le rythme est soutenu mais tu es assise. D’accord ?
– Je ne sais pas.
– Si tu dis oui c’est notre enfant. Le tien et le mien. Et je te laisserai pas.
Mila se retourne :
– Pourquoi tu fais ça ? Qu’est-ce que tu veux ?
– La même chose que toi. Une raison de vivre.”
En 1944, le camp de concentration de Ravensbrück compte plus de quarante mille femmes. Sur ce lieu de destruction se trouve comme une anomalie, une impossibilité : la Kinderzimmer, une pièce dévolue aux nourrissons, un point de lumière dans les ténèbres. Dans cet effroyable présent une jeune femme survit, elle donne la vie, la perpétue malgré tout.
Attention, ce roman est un vrai coup de poing, une claque qui ne laisse pas indemne son lecteur. C’est sur les conseils de mon libraire que j’ai acheté et dévoré ce roman mettant en scène Mila, une déportée dans le camp de Ravensbrück.
Comme tant d’autres, Mila est déportée dans ce camp de travail qui ne comporte que des femmes. Mila, qui faisait passer des messages politiques, a été dénoncée. C’est d’abord l’interminable voyage en train durant lequel de nombreuses femmes meurent, étouffées, assoiffées, desséchées puis l’arrivée au camp.
L’auteur décrit avec précision la vie au quotidien de ces prisonnières. Le tri à l’arrivée: les valides sont orientées vers les baraquements, les vieilles, les moins solides sont d’office éliminées.
C’est ensuite la découverte des lieux: les châlits dans lesquels les femmes s’entassent, la soupe trop claire qui ne nourrit pas mais rend malade, les odeurs obscènes de pourriture de corps humain. Valentine Goby ne nous épargne rien. Elle décrit le travail harassant, le lever aux aurores, les femmes qui stationnent debout dans la cour dès 4 heures du matin pour être comptées et recomptées jusqu’à ce qu’une d’entre elles tombe de fatigue et soit traînée comme un chien. La peur, la faim, la soif mais aussi l’instinct de survie qui rend les femmes cruelles parfois entre elles.
Et puis il y a l’histoire de Mila encore plus terrifiante que toutes les autres car en entrant dans le camp Mila le sait, elle est enceinte. Comment protéger le début de vie qu’elle porte en elle? Comment se sentir devenir mère dans ce camp qui nie la chair, qui nie l’humain, qui nie la vie? Que font les nazis de ces bébés nés dans les camps? A travers le récit de Mila, l’auteur nous dévoile un pan de l’histoire des camps mal connue: l’existence des Kinderzimmer, des sortes de pouponnières dans lesquelles les enfants nés dans le camp sont gardés. L’espérance de vie ne dépasse pas trois mois, en effet l’infirmière en chef préfère d’abord nourrir en priorité ses chatons avec le lait maternisé destiné aux bébés!
Les scènes que décrit Valentine Goby sont parfois insoutenables presque irréelles. La cruauté n’a pas de limites. Chaque enfant qui naît est condamné à court terme. Mila va tout faire pour sauver son enfant: le destin lui donnera un coup de pouce inattendu. Le bébé de Mila devient sa raison de vivre, un espoir dans les ténèbres, quelque chose à laquelle elle va s’accrocher de toutes ses forces.
En lisant ce roman, j’ai été émue, indignée, révoltée. J’ai parfois eu les larmes aux yeux, une boule dans la gorge en pensant à ces petits êtres condamnés à souffrir. Je me suis d’abord concentrée sur ces Kinderzimmer, antichambres de la mort. Et puis c’est drôle comme l’inconscient nous joue des tours: mon cerveau n’avait pas fait tilt mais Ravensbrück, le camp dans lequel se déroule l’histoire de Mila, est le même camp dans lequel ma grand-mère a été déportée. A travers le récit de Mila c’est un peu le récit de ma grand-mère que j’ai pu entrapercevoir. Les quelques bribes qu’elles a bien voulu nous confier sont là, dans ce roman: l’appel de 4 heures du matin, les robes numérotées, les châlits surchargés, la dysenterie, le sabotage dans les usines. La lecture fut donc d’autant plus forte pour moi.
Kinderzimmer est un roman qui résonne ainsi encore plus fort pour moi, qui touche ma chair et mon cœur. Une lecture qui ne laissera personne indifférent….
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