L'alligator blanc

Extrait :Le bayou de Camargue est en train de disparaître. Les proies sont moins nombreuses, plus méfiantes aussi. La brûlure du soleil, plus agressive. L'eau salée le cerne. Son paradis est en train de se dissoudre, l'alligator le sent. Certes, les hivers sont de plus en plus doux. Il ne gèle plus. La tiédeur de l'air ne l'oblige plus à s'enfouir dans la terre. Mais quelque chose de désagréable se produit. La mer jusque-là lointaine s'approche insidieusement. Autour de lui, les arbres blanchissent et se courbent. Leur feuillage tombe. Nulle frondaison ne le protège désormais de la chaleur accablante de l'été. L'eau salée sourd petit à petit des terres blanches, qui se craquèlent et s'ouvrent, tuant les poissons et les grenouilles qui cherchent en vain des échappatoires, faisant fuir les oiseaux privés de nourriture. Monter sur des terre-pleins pour échapper à l'eau salée le rend plus vulnérable. Sa carapace blanche reflète le soleil. Les brûlures sont insupportables. Il lui faut se tapir dans une boue moins hospitalière, parce qu'elle se fait salée elle-aussi.Le sel chasse les ragondins. Ils sont de moins en moins nombreux à traverser l'étang. Son pays se racornit. Moins de végétation, moins d'oiseaux, moins de rongeurs. Le paradis se transforme un enfer. Où l'alligator blanc doit-il se réfugier ?