De beaux lendemains
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C'est l'histoire d'un combat entre la raison de la colère et celle de la résilience.
Un combat qui ne dit pas son nom, qui se joue dans la portée des non-dits, qui mûrit dans le cheminement des raisonnements intimes.
Le parti de la colère est porté par Mitchell Stephens, avocat qui au lendemain d'un accident de bus scolaire ayant causé la mort de plusieurs enfants, tente de convaincre les familles des victimes d'engager une procédure à l'encontre de l'état. Ce combat, qu'il mène comme tant d'autres avec la conviction de sa juste nécessité, est en réalité pour lui un moyen inconscient de nourrir l'insatiable rage qui le ronge, envers la vie, envers lui-même qui n'a pas su sauver son propre enfant, devenu une jeune femme perdue, toxicomane, qui l'appelle de temps en temps depuis des squats sordides pour lui réclamer de quoi acheter ses doses.
Il n'a pas trop de mal à convaincre certains parents de le suivre, pas vraiment par colère, mais pour combler ce vide intensément douloureux qu'a creusé la mort de leurs enfants, essayer de donner un sens à une existence qui n'en a plus... d'autres, qui ont compris la vanité de toute lutte, se laissent couler dans le gouffre de leur désespoir, l'accident ayant fini de briser une fragilité déjà latente...
Nicole Burnell, jeune fille que sa beauté et ses talents promettaient à un brillant avenir, rescapée de l'accident mais définitivement paralysée, représente la voie de la résilience. Elle aussi a saisi les mauvaises raisons que dissimule parfois cette volonté de trouver un coupable à un simple mauvais concours de circonstances. Elle fait le choix de laisser le drame poser sa trace, refuse qu'il devienne un instrument, l'occasion d'assouvir des rancœurs existentielles ou de résoudre des situations financières difficiles.
Dans ce roman polyphonique, qui, hormis celles de Mitchell et de Nicole, fait entendre les voix de Dolores, la conductrice du bus, et de Billy Ansel, qui, au moment de l'accident, suivait -comme il avait coutume de le faire chaque matin pour rejoindre son garage- le bus dans lequel se trouvaient ses jumeaux, Russell Banks utilise le drame collectif comme révélateur des grandeurs comme des petitesses des individus, de leurs failles comme de leurs forces.
Sous les apparences de relative cohésion et de bienveillance qui unissent la communauté de cette bourgade marquée par l'isolement et les longs hivers, affleurent ainsi les antagonismes et les ignobles secrets d’alcôves, les angoisses et les détresses que l'on tente vainement de calmer à coups d'alcool ou de reniement. Tout cela s'exprime, à la Russell Banks, sans fracas, sans fureur, mais avec une insondable mélancolie. Il se fait le porte-parole de gens ordinaires dont le destin bascule, ou plutôt semble glisser, mais chez lesquels la tragédie n’occasionne ni révolte fracassante, ni désespoir bruyant. Ils subissent à la place un délitement insidieux, un lâcher prise qui les fait, parfois, se sentir morts. La vie continue, mais elle est bancale, voire, pour certains, complètement vide.
On n'en attend pas moins de la part de Russell Banks, mais une fois de plus, il manie sa plume avec une remarquable justesse : "De beaux lendemains" ne compte pas un mot de trop, le texte est resserré sur l'intervention finalement assez courte de chacun des narrateurs, mais il parvient à extraire de leurs témoignages respectifs la substance de ce qui fait les existences, de ce qui les bouleverse ou de ce qui les détruit.
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