La promesse de l'aube
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L'amour de sa mère est ce qui, selon Romain Gary, en déterminant tous ses choix de vie, a forgé sa personnalité, dessiné les contours de l'adulte qu'il est devenu.
Et quelle mère ! Théâtrale, imaginative, fière, prompt à la répartie, d'une volonté de fer... et un seul homme dans sa vie : son fils, envers lequel elle exprimait un amour passionné et ambitieux, reportant sur lui à la fois les sentiments qu'elle éprouvait sans doute encore pour le père du garçon, et ses propres ambitions ratées, ses rêves de célébrité et de reconnaissance. Élevé pour concrétiser ces hautes aspirations, Romain s'essaye à la musique, à la danse, au chant... sans grand succès. Il semble doué pour la peinture, mais c'est un territoire interdit par sa mère : trop de peintres ont, au cours de leur vie, tiré le diable par la queue, ou sombré dans la démence... l'écriture finit par s'imposer naturellement.
Malgré les difficultés, notamment financières, jamais Mina ne baisse les bras. Son fils est son étendard contre la médiocrité du monde, qu'elle brandit avec optimisme et démesure. Elle en brûle de certitude : il sera riche et célèbre, le meilleur dans son domaine, et il aura les femmes à ses pieds. Et s'il n'a pas de talent artistique, qu'à cela ne tienne, il sera consul de France, seul pays où c'est envisageable. Elle voue en effet à la patrie de Droits de l'Homme une inconditionnelle et irréaliste admiration, a inculqué à Romain l'idée d'une nation idéale, celle de l'élégance, de l'héroïsme, de la culture. L'écrivain aura par la suite parfois du mal à faire coller cette image à une réalité moins reluisante...
De Wilno, la petite ville de Pologne où sa mère monte un commerce de faux articles de luxe parisiens, à Nice, où ils émigrent alors que Romain entre dans l'adolescence, elle s'échine à divers petits boulots, se privant pour que son fils ne manque de rien, mais ne laissant jamais transparaître ni découragement, ni morosité.
De telles attentes, un tel amour auraient pu être délétères, destructeurs, susciter le rejet, l'angoisse de n'être pas à la hauteur... Mais l'amour du fils pour sa mère est lui aussi entier, sans jugement. Même avec le recul, il voit dans l'affection maternelle la manifestation des sentiments les plus forts qui puissent exister, avec l'effet pervers que cela suppose : ayant connu, dès son plus jeune âge, l'amour intégral, ayant été le centre de l'attention d'une femme dévouée à sa satisfaction et son bien-être, il a hérité d'une promesse trompeuse, celle de la possibilité d'un amour absolu, consistant à répondre à toutes les exigences de l'autre. Lui-même se montre envers sa mère d'une loyauté sans failles, presque romanesque, giflant ceux dont elle prétend avoir subi un affront, avide de la venger des humiliations liées à leur pauvreté, et surtout se conformant sans se poser de questions à ses aspirations. L'important est de réaliser le rêve maternel, qu'il fait sien : sa réussite sera commune, leur appartiendra à tous les deux.
"(...) j'ai toujours su que je n'existais, en quelque sorte, que par procuration (...)"
... et pourtant, même avec le recul, il ne semble pas avoir souffert de cette relation fusionnelle, de cette présence dominatrice que, même à distance, il ressent presque en permanence. Sa mère a placé en lui sa seule raison de vivre et d'espérer, et de ce fardeau, il a fait une force. L'amour de Mina, son inextinguible confiance dans le destin hors du commun qui attendait son fils, l'a lui-même investi de la certitude de vivre sous une bonne étoile : "Rien ne pouvait m'arriver, puisque j'étais son happy end". Elle lui a légué une incapacité à désespérer qu'il qualifie de "désespérante", mais qui s'est révélée être la force qui lui a permis de traverser les épreuves avec un insouciant courage.
Elle a fait de lui, enfin, un battant, en lui apprenant à ne pas se contenter de ce raisonnable qui fait les lâches et les médiocres, en lui interdisant de se laisser aller au défaitisme. Investi d'une promesse à tenir, celle de l’héroïsme et de la célébrité, celle de lui apporter le premier triomphe de sa vie, il est littéralement habité par l'énergie maternelle, par cet espoir illimité de pouvoir aller toujours plus haut... Il est ainsi devenu un individu épris de grandeur et de justice pour le monde entier, comme si l'amour maternel avait ancré en lui une propension à la compassion et à l’empathie, ainsi qu'une irréaliste foi en l'homme.
"La promesse de l'aube" est un récit immensément touchant, un hommage sensible, et pourtant empreint d'une espèce de légèreté, qui émane à la fois de la personnalité excessive et optimiste de Mina, et du sens de l'auto dérision qui transpire à chaque page du texte. Car c'est avec beaucoup d'humour -cette "affirmation de la supériorité de l'homme sur ce qui lui arrive"-, et une sorte de tendresse moqueuse, que Romain Gary évoque sa relation à sa mère. Paradoxalement, on ressent aussi, en filigrane, la tristesse insondable, nostalgique, qu'a ancrée en lui cette affection inconditionnelle, en le condamnant pour le reste de son existence à une quête vouée à l’échec.
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