Les Pouvoirs de la parole

Sûr de sa perfection, le discours religieux pense parler de l'homme, et en parler bien. Mais Rousseau se plaint que l'homme n'y soit pas écouté. Il n'empêche que Rousseau lui-même a été entendu : de 1762 à 1848, des apologistes, sermonnaires et théologiens catholiques comme Christophe de Beaumont, Partz de Pressy, Bergier, Fauchet, Lamennais, Frayssinous et tant d'autres, obscurs ou célèbres, ne cesseront de commenter la « Profession de foi du vicaire savoyard ». Qu'elle lutte contre l'oeuvre de Rousseau, qu'elle y trouve des analogies avec sa manière de croire, qu'elle y puise, même, son inspiration, c'est toujours et aussi sur sa propre croyance que la foi de l'Église s'interroge, c'est sa propre incroyance qu'elle rencontre, compagne indésirable dont elle ne saurait se séparer sans se détruire. Le discours religieux est en définitive moins sourd qu'il n'y paraît à une parole comme celle de Rousseau, qui va s'insérer, de fait, dans les débats violents du jansénisme et de l'Assemblée du clergé, des prêtres réfractaires et des évêques constitutionnels, dans les controverses entre protestantisme et catholicisme, et dans les polémiques entre théologiens de la nature et thuriféraires du surnaturel. Dans son effort même pour réécrire le discours immuable de la vérité mis en cause par la philosophie, l'apologétique ouvre sans cesse le cercle fermé du langage religieux.