Bernie Gunther Tome La trilogie berlinoise
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Le pitch
Allemagne, 1936 – 1947. En toile de fond, la montée en puissance du nazisme, jusqu’à l’apogée du IIIᵉ Reich puis sa défaite et sa ruine. Bernie Gunther, ex-commissaire de la police berlinoise, est devenu détective privé. Désabusé et courageux, perspicace et insolent, Bernie est à l’Allemagne nazie ce que Philip Marlowe est à la Californie de la fin des années 1930 : un homme solitaire, témoin de son époque. Bernie enquête dans les milieux interlopes où ses personnages croisent Heydrich, Himmler et Goering. Trois romans immersifs tout à fait instructifs. L’été de cristal (March Violets, 1989), La pâle figure (The Pale Criminal, 1990) et Un requiem allemand (A German Requiem, 1991).
Pourquoi je vous le conseille ?
Parce que la trilogie cherche des coupables à une époque et dans un pays où des criminels de guerre sont à l’oeuvre. Une sacrée mise en perspective décrite à la hauteur d’un détective qui doit naviguer dans la noirceur de l’époque. Car ce point de vue tout à fait original nous ouvre la porte du quotidien des allemands pendant les années brunes. Pour l’humour discret de notre héros désabusé.
LE DETECTIVE. Pour Bernie, le parfait détective hardboiled (dur-à-cuire) selon les apparences. Un détective philosophe, hermétique à la propagande nazie et tenu pourtant d’enquêter dans l’atmosphère sombre et oppressante du Berlin des années brunes.
LE CONTEXTE HISTORIQUE. Pour la greffe réussie d’un détective – figure classique du genre polar s’il en est – sur l’histoire du régime nazi. Où les enquêtes sur des crimes et actes de délinquance doivent se mener à l’ombre d’un régime des plus criminels. Cette authenticité historique liée à la personnalité de Bernie offre une saga d’une grande originalité.
LE STYLE. Pour le style acerbe et piqué d’humour qui permet de faire passer la noirceur des intrigues, par ailleurs fort bien menées. Intrigues mêlent astucieusement des personnages et des faits réels particulièrement dramatiques à une pure fiction.
L’ouvrage regroupe trois romans de Philip Kerr mettant en scène son personnage Bernie Gunther, et qui se déroulent à Berlin de 1936 à 1947.
Bernie en est le narrateur, et sa voix, qui révèle une personnalité bien trempée, est l'une des caractéristiques les plus marquantes des textes. Cet ancien inspecteur criminel a démissionné de ce poste en 1933, incapable de tolérer les purges opérées par Goering au sein de la police. Après avoir été responsable de la sécurité à l’hôtel Adlon (siège du Bureau des affaires étrangères du Parti national-socialiste), il a monté sa propre agence de détective privé, bénéficiant du vaste réseau d’amis et de connaissances qu’il s’était constitué lors de sa carrière dans la police, et de la célébrité acquise pour avoir été le seul capable de mettre fin aux agissements d’un meurtrier en série. Il enquête sur tout sauf sur les divorces depuis qu’un client ne supportant pas de voir ses soupçons de l’infidélité de sa femme confirmés l’a envoyé à l’hôpital. Lui-même est un coureur de jupons, prompt à laisser traîner les yeux dès lors qu’il croise une femme aux formes généreuses. Il doit, davantage qu’à son physique, son pouvoir de séduction à une désinvolture souvent narquoise et à son sens de la dérision. A l’occasion grossier, il affiche une franchise et une indépendance d’esprit qui peuvent, par les temps qui courent, se révéler dangereuses.
"L’Eté de cristal" le présente d’humeur maussade suite à la perte de sa précieuse assistante qui s'est mariée à un pilote membre du parti nazi. Il est alors essentiellement occupé par des affaires de disparitions inexpliquées de plus en plus nombreuses, touchant des citoyens juifs, jusqu'à ce qu'il soit engagé par Hermann Six, riche et puissant industriel dont la fille et le gendre viennent d’être assassinés. Gunther est chargé de retrouver le bijou de très grande valeur qui a été dérobé dans le coffre a priori inviolable de la maison du couple. Mais sa curiosité l’incite à franchir les limites de la mission qui lui est confiée, au point de le mêler aux enjeux de la rivalité opposant Himmler à Goering, et de devoir se confronter aux nouvelles figures d’un crime organisé officiant sous couverture de structures institutionnalisées.
Le détective enquête dans une ville que l’accession au pouvoir du gouvernement national-socialiste a rendue obscure et sinistre. La Gestapo y fait régner la terreur à coups d’arrestations arbitraires. Être présumé homosexuel ou sympathisant communiste, avoir omis de pratiquer le salut hitlérien sont des délits qui peuvent vous envoyer en camp de concentration (Dachau ou Buchenwald, entre autres, sont déjà en activité) ou croupir au fond du Landwehr, le canal qui traverse Berlin. La contestation est étouffée par la peur ; la grande majorité des citoyens se bouche les oreilles et ferme les yeux. D’autres, surnommés les Violettes de mars, rejoignent sur le tard le parti nazi. L’approche des Jeux Olympiques, qui se tiendront dans la capitale allemande, laisse néanmoins un bref répit : pour dissimuler sa nature répressive, le nouveau régime allège la censure qui a depuis plusieurs mois fait disparaître de nombreux ouvrages des librairies, et suspend les manifestations trop probantes de son autoritarisme.
"La Pâle Figure" débute dans l’insupportable touffeur de l’été 1938. Gunther a dorénavant un associé, Bruno, ancien collègue de la police qu’il a débauché avant que son manque de sympathie pour le nouveau régime finisse par lui nuire. Ils sont sollicités par Frau Lange pour identifier un maître chanteur qui a pris pour cible son fils homosexuel, dont l’amant est un célèbre psychothérapeute que Gunther tente d’approcher en se faisant admettre dans son sanatorium, ce dont il profite pour se refaire une santé.
Comme dans le précédent opus, l’enquête se déploie rapidement sur de multiples ramifications. La Kripo -police criminelle-, qui sait qu’elle doit à son ex inspecteur la résolution d’un de ses dossiers les plus difficiles, sollicite l’aide de Gunther pour une sombre affaire de meurtres d’adolescentes qui piétine. C’est ainsi qu’après avoir exercé ses talents d’investigateur pour Goering dans le précédent opus, notre héros, en réintégrant les rangs de la criminelle, se retrouve sous les ordres (bien qu’indirects) de son rival Himmler, devenu chef de toutes les polices allemandes. Navigant entre Nuremberg et Berlin, il croise parmi les autres personnages réels qui s’invitent dans la fiction Julius Streicher, directeur du journal antisémite Der Stürmer à l’origine d’un complot visant à attiser la haine des juifs, ou encore Otto Rahn et Karl Maria Wiligut, dignitaires du régime hitlérien férus d'occultisme.
Sur fond de crise des Sudètes et d’invasion de la Tchécoslovaquie -dans l'indifférence totale des Alliés-, le récit exprime l’effort croissant que réclame la seule capacité à survivre dans l’Allemagne nazie, notamment pour les juifs envers lesquels la persécution prend de nouvelles dimensions, comme le démontre la Nuit de Cristal. Bernie Gunther, bien qu’abhorrant le régime hitlérien et exprimant une lassitude croissante face à la propension de l’homme à l’ignominie, subit lui-même l’influence de la violence et de l’immoralité qui régissent dorénavant la société allemande, en manifestant sa brutalité face à certains suspects.
"Un requiem allemand" clôt la trilogie. Neuf ans le séparent du deuxième opus. Ravagée par 75 000 tonnes d’explosifs, Berlin ressemble à une acropole réduite à ses décombres, où circuler équivaut à affronter le risque permanent de prendre un mur sur la tête. Ruinée par la vanité des hommes, elle est devenue une ville de femmes, ainsi que celle de vainqueurs qui imposent leur tyrannie à coups de violences et d’humiliations. Les Russes y règnent en maîtres, leur Kommandantur assurant l’impunité à ses agents et soldats, qui en profitent avec excès, à coups de viols et de pillages.
Les Berlinois tentent de survivre entre pénuries et salaires rendus dérisoires par la dévaluation abyssale du Reichsmark. Tout le monde s’adonne au marché noir ou à de sordides expédients pour compléter des rations alimentaires insuffisantes. Bernie Gunther a ainsi découvert que sa femme, serveuse dans un bar fréquenté par les GI, se prostituait à l’occasion pour améliorer leur ordinaire. Ce qu’a vécu Bernie entre 1938 et 1947 est dévoilé par bribes, au fil du récit. On apprend entre autres qu’il a passé une grande partie de la guerre dans un camp de prisonniers soviétiques, où il a appris le russe. Il a depuis repris ses activités de détective, qui cette fois l’amènent à Vienne, à la demande de l’un de ses anciens collaborateur se trouvant en mauvaise posture : accusé du meurtre d’un soldat américain, il est condamné à mort. Prétendant être victime d’un coup monté, il charge Bernie de prouver son innocence.
Son enquête le met entre autres sur la piste de nazis réfugiés en Autriche -qui malgré sa participation aux crimes du régime hitlérien, affiche une posture de victime- et de juifs traquant les criminels de guerre. A un moment, la multiplicité des acteurs et des organisations, officielles ou non, qui dans ce contexte de post conflit s’espionnent, s’affrontent, ou parfois s’associent, m’a perdue, et j’ai trouvé l’intrigue plutôt confuse.
La force de ce titre réside dans son atmosphère très sombre, tranchant avec le ton vif et narquois qui traversait, malgré un contexte déjà sinistre, les précédents opus. Cette atmosphère reflète l’état d’esprit du héros, plombé par l’horreur des exactions commises par ses compatriotes et par les conditions de vie marquée par les privations et les humiliations que subit la population berlinoise.
En immersion dans la capitale allemande grâce aux descriptions toujours précises que livre le narrateur à l’occasion de ses déplacements, le lecteur suit précisément, au cours des neuf années que balaie la trilogie, l’évolution de l’ambiance et de la physionomie de la ville en une chute aux accents crépusculaires mêlant effondrement moral et dévastation urbaine.
"D’habitude, je n’écoute pas les émissions du Parti. Je leur préfère le son de mes pets."
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