Leur âme au diable
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l’avis des lecteurs
Le pitch
En juillet 1986, des hommes cagoulés braquent deux camions-citernes remplis d’ammoniac liquide destiné à une usine de cigarettes. Ils laissent derrière eux 7 morts. Les flics Nora et Brun, qui ne se rencontrent qu’au dernier quart du livre, enquêtent. Jusqu’à l’obsession, pendant vingt ans. Un grand roman sur le capitalisme moderne.
Pourquoi je vous le conseille ?
Parce qu’on en apprend de belles sur une industrie florissante, qui tue en toute légalité. Pour l’humour cynique. Pour ces personnages noirs, obsédés, malsains auquel on arrive à s’attacher en dépit de tout. Pour l’écriture nerveuse qui colle à l’action. Pour motiver ceux qui souhaiteraient arrêter de fumer.
UNE MACHINE DE GUERRE PROSPÈRE ET CORROMPUE. Un roman-fleuve passionnant et plein de colère qui dissèque les mécanismes d’influence de l’industrie du tabac dont les produits causent chaque année 7 millions de morts dans le monde. Et tous les moyens sont bons pour que la marchandise se vende. Lobbying, corruption, chantage, meurtres, et j’en passe. D’un cynisme éprouvant et édifiant, on découvre les coulisses d’un empoisonnement massif autant que légal, car trop rémunérateur pour être combattu par les Etats.
UNE ÉCRITURE NERVEUSE. Les 600 pages se lisent d’une traite grâce à l’écriture comportementale, directe, sans artifice de Ledun. Un style qui privilégie les phrases courtes, les dialogues, les ellipses, la variété des points de vue.
DES PERSONNAGES POSSÉDÉS. J’ai retrouvé une touche d’Ellroy dans le style nerveux et direct, dans la volonté de nouer événements historiques réels et fiction, mais aussi dans le profil des personnages que l’on suit sur une longue période. Exaltés, obsessionnels jusqu’à la rupture et la perdition. Tentés par tous types d’excès, drogue, sexe, alcool… ils ne vivent que pour ou par leur quête désespérée, coût que coûte, s’oubliant eux-mêmes quelque-part en chemin. Un roman très noir en cela aussi.
Marin Ledun abandonne la veine humoristique de ses derniers romans, et celle intimiste des précédents, pour revenir à ses premières amours avec cette charge contre l’industrie du tabac : Leur âme au diable.
Cela commence en juillet 1986, avec le braquage de deux camions contenant de l’ammoniac destiné à un fabriquant de cigarette (oui il y a de l’ammoniac dans les cigarettes, entre autres). Bilan sept morts. Simon Nora ne sait pas que l’enquête qu’il démarre va changer sa vie et le hanter pour les 20 années à venir. Non loin un autre flic, Brun, recherche Hélène, vingt ans, qui ne donne plus de nouvelles à sa famille. Lui non plus n’en reviendra jamais.
Ils vont croiser la route de David Bartels lobbyiste de l’industrie du tabac, Anton Muller son âme damnée, Sophie Calder à la tête d’une équipe de société d’événementiel sportif avec ses hôtesses – prostituées. Ils vont se battre durant 20 ans contre des intérêts qui les dépassent complètement, contre une industrie qui a des moyens inimaginables. Dans la lutte de David contre Goliath, contrairement à la légende, ce n’est généralement pas David qui gagne.
Assurez-vous que vous êtes en forme avant d’attaquer les 600 pages du dernier roman de Marin Ledun. Rien ne vous sera épargné, et vous risquez de finir déprimé tant il refuse de céder à la moindre tentation de happy end. Oui, ce sont ceux qui ont le plus d’argent qui gagnent à la fin, on est dans notre sale monde, pas dans une uchronie, les lobbyistes, les corrupteurs et les corrompus, les intérêts privés ont toujours le dessus sur l’intérêt collectif et la santé publique.
A moins d’être d’une naïveté confondante, on ne peut pas dire que ce soit une grosse surprise. On le savait donc. Mais le voir ainsi décortiqué sans pitié fait quand même mal au ventre. Dans un style « à la Manotti », direct, sans gras, phrases et chapitres courts, l’auteur nous balade à travers toute l’Europe. Il nous fait témoins de toutes idées géniales de l’affreux Bartels et de ses complices pour contourner les lois antitabac qui commencent à émerger et continuer à convaincre les foules que fumer est synonyme de liberté, d’émancipation et même, pourquoi se gêner, de santé.
Si j’avais un petit (tout petit) bémol, c’est qu’à force de recherche l’efficacité et le rythme, il oublie parfois de nous intéresser aux personnages et qu’on se soucie peu de leur devenir, pour ne s’intéresser qu’au jeu d’échecs très inégal entre les flics et un procureur d’un côté, et l’industrie du tabac de l’autre. Et tant pis pour les pions, fous, cavaliers et tours sacrifiés durant la partie.
Pour le reste, une lecture fort instructive, qui réussit à présenter de façon passionnante ce qui a sans le moindre doute représenté des quantités impressionnantes de travail de documentation et de réflexion pour saisir les tenants et aboutissants. Un travail titanesque que l’auteur a eu le talent de digérer et transformer en œuvre romanesque, pour que le lecteur moins vaillant, comme vous et moi, puisse lui aussi déprimer. Merci Marin Ledun !
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