Vallée du carnage
Résumé éditeur
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l’avis des lecteurs
Violent, brûlant, époustouflant.
Le dernier roman de Romain Lucazeau est hors norme (nous en avions l’habitude, avec lui). Cette fois-ci il nous transporte dans une uchronie futuriste, cruelle et sanglante (en revanche, la violence ne faisait pas partie de ses univers littéraires : c’est une première).
Parlons tout d’abord de l’uchronie : le point de divergence (le moment où l’Histoire de ce monde s’est écartée de la nôtre) a eu lieu dans l’Antiquité. Des civilisations se sont maintenues au fil des millénaires. Les Han contrôlent l’est de l’Asie, Carthage a vaincu Rome et règne sur la méditerranée, et entre les deux, la Perse forme la troisième grande puissance. Ces blocs disposent de l’arme nucléaire et de technologies militaires futuristes (et certaines sans doute similaires à ce que nous connaîtrons sous peu).
La Perse, qui est au cœur du roman, est un empire férocement viriliste et impérialiste. Orode, le « Roi des Rois », a massacré et asservi les peuples de l’Est. Son hubris le pousse à toujours plus conquérir, toujours plus soumettre, toujours plus jouir de ses victoires, et amener sa Perse au firmament des États. Il regarde son flanc ouest. Dans cet Occident honni sont encensés la liberté et l’individualisme. Ces principes méprisés restent menaçants pour une dictature persane basée sur une organisation implacable, avec un pouvoir fondé sur la force, l’obéissance et la destruction de l’Autre sous toutes ses formes (physique ou morale). Orode n’hésite pas : « Carthage doit être détruite ».
Huit personnages sont les narrateurs. Ils ont tous un rôle clef dans cette guerre totale, du simple résistant au Roi, de l’esclave sexuel au conseiller, de l’ancien général désabusé à l’ingénieur en chef, de l’héritier du Roi à l’adolescent-guerrier. Ils possèdent leur propre personnalité, de la plus noire à celle dont on espérerait une rédemption. Chacun d’entre eux sombre ou a sombré dans le passé dans la violence, même les personnages les moins « négatifs », ceux qu’on aimerait aimer. La démonstration est implacable : la violence entraîne la violence et l’innocence ne survit pas. Même si ce thème n’est pas nouveau, le constater dans un univers différent du nôtre renforce l’idée que ce mal est inhérent à l’être humain.
Quand débute le roman, une guerre d’usure se déroule à Ectabane, la dernière cité libre au nord de la Perse. La ville en ruine a des réminiscences de théâtres d’opérations très contemporains où l’envahisseur envoie sans discontinuer des bataillons de soldats servir de chair à canon contre des résistants exténués et cependant déterminés à défendre leur terre (comme le sud-est de l’Ukraine). Le ton est donné.
Les combattants d’Ectabane, traqués sans cesse, ont vu trop de leurs camarades tomber, de corps éclater, de sang gicler, pour ne pas lentement glisser sur la pente de la déshumanisation. Car la déshumanisation est un des thèmes de ce roman, au-delà de l’horreur de la guerre. Cette déshumanisation va jusqu’à la réification : si les Perses ont massacré les Mongols, ils ont aussi asservi les survivants, puis transformé chirurgicalement le corps de quelques esclaves sexuels (nous sommes dans une uchronie où les royaumes antiques se sont maintenus, avec leur civilisation : les esclaves sexuels sont une évidence pour eux). Les esclaves sont humiliés et dominés aussi bien par les dirigeants que par les simples exécutants du régime, dans une banalité du quotidien qu’aucun Persan ne remet en question. Et Carthage ? Elle insuffle des idées de liberté et d’individualisme, tout en clonant et endoctrinant des adolescents pour les amputer et les transformer en arme de guerre, à travers une opération qui les condamne à court terme. Comme souvent, la religion (ici, le dieu Baal) est manipulée pour justifier auprès de ces adolescents leur sacrifice.
Vous avez compris, à ce stade, que certaines scènes sont terribles. Et pourtant, on les lit car la prose est à la hauteur. Peu d’écrivains sont capables de plonger autant dans la noirceur humaine et malgré tout nous inciter à continuer le roman. C’est d’autant plus remarquable que la narration choisie, à la deuxième personne du singulier (« toi, tu es le combattant, tu fais ceci puis tu fais cela »), prend aux tripes. Nous sommes les personnages, l’auteur nous parle et nous décrit ce que nous pensons quand nous décidons d’exterminer un ennemi, puis ce que nous faisons quand nous le massacrons dans la sauvagerie. Ça secoue parfois.
Mépris des autres peuples, mépris des femmes. Le pire de ce que l’humanité a connu à travers son histoire, rassemblé en un seul lieu et une seule époque, mais avec une technologie avancée qui permet des massacres à plus grande échelle.
Alors, pourquoi une uchronie ? Dans ce monde, l’histoire des idées est très dissemblable à ce que nous avons connu, et ses peuples n’ont pas parcouru le long cheminement intellectuel qui a conduit aux principes tels que les Droits de l’Homme, l’interdiction de l’esclavage, le droit international humanitaire, ou autre. Aucune crainte d’une opinion publique internationale. Aucun frein ne restreint les exactions d’une Perse restée sur une exaltation de la force, aucune limite éthique à Carthage à élever des enfants-clones pour les amputer et leur greffer des armes de haute technologie (même si ce projet est clandestin, ce qui change peu l’analyse). En sous-texte, si les guerres que nous voyons aujourd’hui à la télévision sont féroces, elles auraient pu être pires. Quoique. C’est à débattre quand on regarde l’actualité.
Bien d’autres commentaires seraient à écrire sur Vallée du Carnage (et pourtant, je ne vous ai rien raconté de l’intrigue, seulement le point de départ). Preuve d’une richesse thématique rare et d’une profondeur dans l’analyse de l’âme humaine. Si les plus sensibles éviteront cette lecture, pour les autres : vous souhaitez une expérience qui vous prend aux tripes et vous invite à réfléchir sur le cycle incessant de la violence ? Lisez ce roman.
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