Juifs et Musulmans

Un grand merci à Babélio pour ce beau livre remporté lors de la MC consacrée à ce type d’ouvrage, j’ai déjà eu l’occasion d’en gagner un autre sur le même sujet lors d’une précédente opération. J’ai nettement préféré celui-ci, beaucoup plus accessible. Il s’agit du catalogue d’une exposition du musée de l’immigration consacrée aux relations triangulaires entre les juifs, les musulmans et la France de 1830 à nos jours. Il est très richement illustré de divers documents dont de nombreuses photos et partagés en chapitres chronologiques qui retracent les différentes phases. Le livre se concentre sur les pays du Maghreb et particulièrement sur l’Algérie. Il ne parle pas des migrations des populations juives de l’Europe de l’Est. Il s’agit d’un ouvrage de référence vraiment très riche et complet dont je ne peux donner qu’un aperçu vu sa densité. Il passionnera tous ceux qui s’intéressent à l’histoire des migrations et des religions. Il casse aussi un certain nombre de stéréotypes courants de nos jours mais qui ne sont pas fondés si on les analyse historiquement.

En 1830, la France conquiert l’Algérie, puis établit des protectorats au Maroc et en Tunisie plus tardivement. Ce qui explique que les juifs algériens, marocains ou tunisiens n’aient jamais eu les mêmes statuts. Avant cette date, les deux communautés s’entendaient bien, partageaient une langue commune, une cuisine, une musique et une culture. Les juifs avaient un statut de citoyen de seconde catégorie mais étaient protégés en tant que religion du Livre. La situation a peu évolué au Maroc et en Tunisie où ils ont gardé le même statut que les musulmans. En Algérie, les Français se sont appuyés sur l’importante communauté juive algéroise dans leur conquête. Il y avait plus de juifs que de musulmans parmi les interprètes et ils ont rapidement eu plus de droits. En 1870, les juifs d’Algérie ont accédé à la nationalité et à la citoyenneté française de plein droit grâce au décret Crémieux, tandis que les musulmans étaient considérés comme des indigènes. C’est une première séparation, les juifs d’Algérie commencent lentement à émigrer en France. Lors de la grande guerre, les deux communautés participent à l’armée, souvent dans des régiments mélangés. De nombreux musulmans émigrent à ce moment-là comme ouvriers pour remplacer les hommes partis au front, ils n’ont pas le statut de citoyen. Les deux communautés habitent souvent dans les mêmes quartiers et partagent toujours une culture commune.

La situation se dégrade durant les années 1930 avec la montée de l’antisémitisme en Europe. Il y a aussi eu des émeutes à Constantine en 1934, mais elles sont instrumentalisées par l’extrême-droite et ne corresponde pas à un sentiment populaire. En 1940, Vichy abolit le décret Crémieux et les juifs d’Algérie redeviennent des indigènes, mais surtout des indésirables. Les autorités se tournent vers la communauté musulmane et lui font de nombreuses promesse, qui ne seront jamais tenues évidemment. Certains juifs essaient de se faire passer pour musulmans pour éviter les persécutions avec des succès variables car les autorités surveillent de près la Mosquée de Paris, créée en 1926, justement dans le but de surveiller cette communauté qui subit aussi de nombreuses discriminations depuis son installation dans les années 1920.

Lors de la libération, on redonne la citoyenneté aux Algériens, cette fois sans distinction de communauté. C’est toutefois trop tard, la décolonisation est en marche et peu de musulmans souhaitent être intégrés à la nation française, contrairement aux juifs. Les musulmans du Maghreb se tourment vers la lutte pour leur indépendance nationale tandis qu’une partie de la communauté juive, que ce soit en France ou en Afrique du Nord penche vers le nouvel Etat d’Israël. Les années 1950 voient l’indépendance de la Tunisie, du Maroc et le début de la guerre d’Algérie. Après les accords d’Evian, les juifs algériens sont rapatriés avec les Européens. Malgré ce terme pour la plupart des Européens, il s’agit d’une installation en France, bien plus qu’un retour dans un pays de coeur qu’ils ne connaissent souvent pas. Dans le même temps, les musulmans perdent leur statut de citoyen pour devenir des Algériens, des Tunisiens ou des Marocains et de ce fait des immigrés. Après avoir vécu dans des bidonvilles, ils habitent dans des cités en construction, les familles s’installent et on comprend que ces personnes ne rentreront pas, une forte communauté d’Afrique du Nord s’installe pour longtemps en France. Même si les deux communautés commencent à vivre dans des quartiers séparés, il reste encore de nombreux lieux de rencontre où on continue à partager la langue et la culture, même si les jeunes juifs maitrisent de moins en moins la langue arabe.

1967 voit la guerre des Six jours qui marquent une séparation plus nette encore entre juifs et musulmans venus du Maghreb, séparation qui ne fera que s’accentuer au fil du temps avec l’occupation des territoires palestiniens, les intifadas et l’émergence du terrorisme islamique. Le conflit a été importés de Palestine mais a contribué à séparer ces deux communautés pourtant liées par deux millénaires de culture commune.

Le livre est passionnant, explorant les différents aspects de cette histoire, sur plan politique, culturel et religieux dans de petits articles de 2 ou 3 pages richement illustrées. On nous parle de musique, de cinéma et beaucoup d’histoire. C’est un grand coup de coeur pour moi.