
La Tanche
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l’avis des lecteurs
La rentrée littéraire commençant de plus en plus tôt et dans un souci très modeste d’orienter vers certaines lectures les heureux vacanciers d’août désireux de profiter tranquillement et sereinement des premières richesses de la mi-août avant la déferlante de la fin du mois et de septembre, je vous propose donc un roman que je déconseille fortement sur le bord de la piscine, dans les transats à l’ombre ou dans tout lieu de villégiature où on aime passer du bon temps.
« La tanche » n’est pas un polar mais un horrible roman noir, la tanche ne vous apprendra pas grand-chose de passionnant sur le poisson pas plus que sur sa pêche mais il faut le lire.
« La tanche » ne possède pas des qualités littéraires qui pourrait le distinguer du reste de la production littéraire et pourtant passer à côté de ce roman serait une grave erreur.
« La tanche » parle d’un sujet de société grave et particulièrement dérangeant, la pédophilie, certainement aussi difficile à lire qu’à écrire. Inge Schilperood est rédactrice et chroniqueuse pour des grands journaux aux Pays Bas et « La tanche » est un premier roman qui a enflammé les débats là-bas avant de recevoir un accueil enthousiaste de la critique en Angleterre.
« En cette étouffante journée d’été, Jonathan sort de prison. Dans le bus qui le ramène chez sa mère, il se répète ce que lui a dit le psychologue : ce n’est pas lui qui est mauvais, ce sont ses actes. Et s’il parvient à organiser rigoureusement ses journées, il sera un homme meilleur.
Jonathan se le promet. Il va s’occuper de sa mère asthmatique, retourner travailler à l’usine de poissons, promener le chien, aller à la pêche. Il restera seul, il ne parlera à personne, il va s’occuper les mains, l’esprit, tout faire pour ne pas replonger.
Car il le sait, s’il a été libéré, faute de preuves, le psy a parlé d’un taux de récidive de 80 %. Il ne doit pas se laisser déborder à nouveau.
Or, dans ce quartier en démolition où vit sa mère, vivent aussi une jeune femme et sa fillette… »
Il m’aura fallu plusieurs jours pour venir à bout de la lecture de ce roman n’excédant à peine les 200 pages. L’auteur, horriblement mais de manière très objective nous faire entrer dans le cerveau de Jonathan et ce n’est pas évident comme chacun pourra aisément le constater. La vie de Jonathan dont les psys ont constaté une intelligence en dessous de la moyenne est banalement triste aux côtés d’une mère anesthésiée par la chaleur caniculaire de l’été, une santé moyenne et une consommation excessive d’alcool et qui semble juste heureuse de retrouver son fils pour leurs parties de cartes et les programmes TV qu’ils partagent. Les deux fonctionnent comme un vieux couple et les récents événements sont venus juste les importuner dans cette routine appréciée de la mère.
En cours de roman, nous apprendrons ces fameux faits qui ont provoqué l’incarcération puis la remise en liberté avec un suivi psy à effectuer tant les risques de récidive dans le cas de Jonathan sont importants. Il est à signaler que les actes de barbarie de Jonathan sont particulièrement bien écrits, l’auteur ne rajoutant pas une horreur visible à des actes suffisamment monstrueux à la simple mention.
La tension, qui ne se relâchera qu’à la dernière ligne, est créée d’entrée avec l’apparition de cette gamine plus ou moins livrée à elle-même pendant la journée puisque sa mère, qui fuit les services sociaux, travaille dans la journée et la laisse donc seule durant cet été de braise. Il est évident que leur rencontre, leurs liens naissants, l’innocence de la petite fille, les pulsions de Jonathan provoquent chez le lecteur une énorme appréhension quant à l’évolution prévisible de cette relation, les nerfs étant mis à particulièrement rude épreuve. Inge Schilperrord qui a été psychologue judiciaire, connait bien les dispositifs d’aide mis en place et a donc travaillé avec des cas similaires montre les combats intérieurs de Jonathan tandis qu’on sent de plus en plus que l’inéluctable peut puis va se produire. Dans ce huis-clos stupéfiant, on comprend très rapidement que le salut de la gamine ne viendra pas d’une personne tierce, seul Jonathan peut éviter le drame, éviter cette chronique d’une catastrophe annoncée. Le suspense s’éteindra avec les dernières lignes.
Horrible et nécessaire.
"La tanche", comme son titre ne l'indique pas, est un roman troublant, dérangeant. Vous vous en doutez, ce n'est donc pas vraiment de poisson dont il y est question...
Jonathan, trente ans, sort de prison. Il a été relâché faute de preuves, et parce que le témoignage de sa victime était trop confus. Si l'auteur ne met pas de mot précis sur le crime qu'il a commis, désigné comme "l'acte", on le devine assez vite : Jonathan a été accusé de pédophilie.
Il retourne vivre avec sa mère, asthmatique, superstitieusement pieuse, dans leur petite maison décrépite, une des dernières de leur quartier, en cours de démolition, à être habitée. Il reprend en main l'intendance du foyer, sort promener leur vieux chien galeux dans les dunes, s'occupe de la cuisine et du ménage, va à la pêche. Sa mère ajoute à la lourdeur de l'interminable canicule estivale et de la mortifère atmosphère qui a toujours régné dans leur foyer, la gêne de sa sollicitude inquiète et circonspecte.
Suite au non-lieu dont a bénéficié Jonathan, l'obligation d'un suivi psychiatrique a également été levée. Il veut néanmoins s'astreindre à poursuivre les exercices du manuel que le psychologue lui a laissé, conscient de son besoin de structurer ses pensées, son quotidien, pour ne pas se laisser envahir par ses pulsions, et averti par son thérapeute du risque élevé de récidive. Sa bonne volonté est mise à rude épreuve dès son retour chez sa mère : la maison voisine est occupée par une mère et sa petite fille de dix ans, peu farouche et souvent livrée à elle-même... Tout élément extérieur, toute situation apparemment anodine, peuvent représenter des agressions difficilement surmontables : un bruit un peu trop lancinant, une parole maternelle considérée comme trop inquisitrice, l'odeur trop envahissante de la peau de la petite voisine...
"La tanche" se déroule au rythme lent de la réadaptation de Jonathan au monde extérieur, de la routine qu'il s'impose pour redevenir quelqu'un de "normal", organisant ses journées selon un emploi minutieux et répétitif. C'est un véritable combat auquel nous assistons, intérieur et silencieux, d'une violence insidieuse mais pénétrante, la lutte hébétée d'un homme contre lui-même. Car Jonathan veut "réparer", avoir une deuxième chance. Pour cela, il doit apprendre l'empathie, qui ne lui est pas naturelle : habité par des émotions confuses et redondantes qu'il peine à ordonner, son esprit est indisponible à l'autre. Il doit détourner ses mauvaises pensées de lui-même, mais comment déterminer la limite entre une pensée acceptable et une pulsion susceptible de le faire basculer à tout moment ?
En dépeignant le pédophile comme un être malade, en décorrélant ses actes de sa volonté consciente, en tentant de comprendre, en les analysant, ces mécanismes qui font dérailler ces hommes qu'elles dépeint comme des victimes d'eux-mêmes, Inge Schilperoord s'attache à leur rendre leur part d'humanité. Un pari difficile, mais réussi : "La tanche" est de ces textes qui bousculent, parce qu'ils font vaciller vos certitudes...
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