Tribulations d'un précaire
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l’avis des lecteurs
Je continue les lectures retardataires, avec ce petit ouvrage dont tout le monde a déjà dit le plus grand bien. Je pourrais certes m’abstenir d’en rajouter un couche, pas forcément utile, mais sait-on jamais, il y a peut-être un ou deux de mes nombreux fans qui n’en a pas encore entendu parler. Voici donc Tribulations d’un précaire, de Iain Levison.
Iain Levison vit aux US. Il a une licence en lettres. Qui ne lui sert strictement à rien. Et il cherche du boulot. Il en trouve toujours, mais jamais pour longtemps, car comme il le dit lui-même : « Au cours des dix dernières années, j’ai eu quarante-deux emplois dans six états différents. J’en ai laissé tomber trente, on m’a viré de neuf, quand aux trois autres, ça a été un peu confus. » Ses Tribulations d’un précaire offrent un bref aperçu de ces quarante-deux emplois.
Voici donc un petit bouquin, apparemment anecdotique, puisqu’il ne raconte que les déambulations d’un sans nom, d’un sans grade, d’un de ces milliers de gens, pas vraiment misérables, sans destin extraordinaire, juste un nouveau prolétaire qui essaie de s’en sortir. Rien de bien romanesque a priori.
Ben si. Premièrement parce qu’il est très bien écrit, avec un humour formidable, et se lit, ou mieux, se déguste avec un immense plaisir. Ensuite parce que Iain Levison ne se contente pas de raconter de façon très drôle ses pérégrinations (ce qui, insistons, suffirait à en faire un bon bouquin tant il écrit bien). Non, l’animal est affuté, lucide, et analyse parfaitement le nouveau monde du travail, ses rapports de force, sa précarisation. Sa description de la survie des nouveaux prolétaires américains est bien entendu, à peu de choses près, transposable en Europe. Il nous montre tout un monde qui, sans être dans la misère totale, ne peut que survivre, sans faire aucun projet, sans prendre le temps de vivre, si ce n’est lors de pauses volées furtivement à la faveur d’une panne.
Il décrit aussi avec une justesse sans pitié les truandés du grand mensonge du « travailler plus pour gagner plus » cher à notre petit président. Les battants, les entreprenants, qui ne se rendent pas compte que, juste pour gagner un peu plus que le minimum vital, juste pour se sentir supérieurs aux pauvres précaires, acceptent un travail qui les détruit totalement, pour un taux horaire ridicule, mais avec le mirage d’être libres, quand ils ne se sont qu’aliénés.
Et dire qu’on entend ici et là que la lutte des classes est terminée ! A tous ceux qui le pensent, je conseille la lecture de ce petit roman témoignage implacable et horriblement drôle.
Je l’avais raté à sa sortie, et pourtant j’avais adoré Tribulations d’un précaire. A l’occasion de la sortie de son numéro 100, Liana Lévi réédite dans la collection piccolo Un petit boulot de Iain Levinson. Un vrai régal, et l’occasion pour ceux qui l’avaient raté comme moi de se rattraper.
Une petite ville américaine, dans un coin où il fait froid l’hiver. Une usine, l’unique de la ville qui ferme. Et toute la ville plonge. Jake le narrateur était responsable d’un quai de chargement. Il n’est plus rien. Sa copine est partie, il croule sous les dettes et a vendu tout ce qui était vendable. Comble, il doit presque 4000 dollars à Ken Gardocki, le bookmaker de la ville. Que faire quand on a tout perdu ? Accepter l’offre de Ken qui lui propose d’effacer sa dette et de rajouter un bonus s’il descend sa femme. Jake accepte, et se met au boulot, avec la conscience professionnelle qui a toujours été la sienne.
On ne peut s’empêcher de penser au Couperet du grand Donald Westlake. Même cause : perte de travail pour cause de compression et de recherche de rentabilité toujours plus grande, mêmes effets, le narrateur se met à tuer. Ensuite les buts recherchés sont différents, même si la justification reste semblable : puisque des gens que je n’ai jamais vu ont le droit de détruire ma vie, de façon absolument légale, qu’est-ce qui me retient de détruire moi aussi d’autres vies ?
Arrivé là on pourrait penser que, forcément, Iain Levinson pâtit de la comparaison. Et bien non ! Son roman est un vrai petit bijou d’humour noir, bâti sur une rage et une révolte qui font du bien à lire. On sait que le système capitaliste dans la version la plus libérale, celle qui nous est imposée aujourd’hui, celle que tout le monde (télé, radios, politiques et commentateurs économiques achetés ou imbéciles …) présente comme aussi inévitable que le temps ou la gravité est une construction humaine indéfendable, celle qui fait passer le profit d’une infime minorité devant le bien commun, est une véritable saloperie absurde. On le sait, mais ça fait du bien de le lire, écrit, et fort bien écrit, noir sur blanc.
Finalement, tout ce que veut le narrateur c’est un boulot. Il aime travailler et travailler consciencieusement. Et c’est toute la force amorale du roman de montrer que, entre venir faire chier deux pauvres types qui essaient de faire leur boulot dans un magasin merdique, juste parce qu’on en a le pouvoir, ou relancer un pauvre gars qui ne peut plus payer ses dettes … Et tuer son prochain sur contrat, il n’y a finalement pas une très grande différence. Montrer qu’une fois qu’on a accepté de ne pas se poser la question de la finalité de son boulot, une barrière est franchie, et que les suivantes ne sont pas si hautes.
Tout ça avec une vivacité, un humour noir et une truculence absolument réjouissants. Un vrai petit bijou que je suis bien content de découvrir, même à retardement.
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