Les choses que nous avons vues
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l’avis des lecteurs
Quatrième de couverture
Kailegh a appartenu à la cohorte de modérateurs de contenu chargés de veiller sur les images et les textes qui circulent sur le web. Sur un ton froid et désabusé, la jeune femme répond par courrier interposé à l'avocat qui lui a proposé de participer à une action collective contre la plateforme Internet qui l'employait. En dépit de la somme de vidéos barbares et de commentaires haineux qui lui a été infligée le temps de ce travail précaire, elle refuse de se joindre à ses anciens collègues, mais souhaite raconter ce qui l'a personnellement traumatisée sur les lieux de ce travail.
Mon avis
Dans ce court mais percutant roman, rédigé après de nombreuses recherches au niveau documentation, l’auteur nous montre l’envers du décor, les difficultés à rester dans le réel lorsque vous passez vos journées à visionner des images qui circulent sur le net.
Kayleigh est une jeune femme qui a besoin de travailler. Elle est engagée comme modératrice pour une plateforme internet, elle finira par arrêter. Sous la forme d’une longue lettre, d’un monologue, cette femme blessée, presque détruite explique à un avocat pourquoi elle ne participera pas à l’action collective contre son ancien patron.
Personne ne l’ignore, il y a des employés qui sont payés (j’ai vu un reportage sur ce sujet) pour « modérer » à longueur de journées les publications sur les réseaux sociaux. Un métier comme un autre ? Non, pas du tout. C’est beaucoup plus difficile. Celui ou celle qui examine les photos ou vidéos, voire textes, reçoit en pleine face, quotidiennement, de la violence, des horreurs et il-elle doit faire le tri. Sur quels critères ? Comment être certain qu’il ne s’agit pas d’une mise en scène destinée à provoquer, une fake news (fausse information), une représentation d’une théorie du complot basé sur du vide ? Cet aspect est déjà ardu, mais il y a également les horaires compliqués, l’ambiance de travail lourde avec tout ce qui est mis en place pour éviter les fuites, les pauses presque inexistantes, le rendement obligatoire… Par-dessus tout, le plus grave est qu’il n’y a aucun garde-fou, pas de « protection mentale ». Encore moins de lieu d’échange, style « analyse de la pratique » où les salariés pourraient évacuer, en toute confiance, ce qui les a choqués, bouleversés, et ainsi prendre du recul.
Malgré tout, Kayleigh a tissé des liens au sein de l’entreprise, elle s’est fait des amis mais tout cela n’est-il pas terriblement superficiel ? Et lorsqu’elle décide de dire stop, la question récurrente, de ceux qu’elle rencontre, est « Qu’avez-vous vu ? ». Beaucoup se disent qu’il vaut mieux ne pas savoir mais ils la questionnent malgré tout. Intérêt ? Curiosité morbide, de mauvais goût ? Cela montre l’impact des informations visuelles sur nos ressentis. Comment décider de ce qui est visible ou pas ? Où se situe la limite, la censure ? Qu’en est-il de la sensibilité de chacun ? Nos pensées sont-elles influencées par ce qu’on voit sur les écrans ? Un exemple est donné dans ce livre, d’une réalité qui se déforme (lorsque des ouvriers sont sur le toit de l’immeuble en face). Kayleigh va-t-elle réussir à se reconstruire ? Retrouvera-t-elle la réalité, quels seront les dégâts psychologiques ?
De nombreux thèmes, en dehors de ceux que j’ai cités, sont abordés dans ce récit. L’auteur les évoque avec une écriture sobre, précise (merci à la traductrice). Tout est à la première personne puisque c’est Kayleigh qui s’exprime. On découvre comment la jeune femme qui se raconte a évolué, ce que ses fréquentations ou son activité professionnelle ont apporté sur son devenir. On sent son mal être et sa solitude face à ce qu’elle vit. Les règles sont dures, comme il est interdit d’en parler, c’est très difficile pour elle.
Et la question principale se pose : comment un monde « virtuel » peut-il être à ce point destructeur ? Ce recueil nous ouvre les yeux et nous incite à la prudence face à tout ce qui circule, même si, dans l’ombre, des modérateurs veillent, souvent dans des conditions de travail déplorables….
Je trouve très subtil que cet opus soit édité, en France par une maison s’appelant « Le bruit du monde » comme si elle donnait la parole à ceux qui, dans le monde, ont des choses à dire sur ce qu’ils -elles ont vu…..pour que nous les entendions …..
Je découvre une nouvelle maison d’édition, le bruit du monde, avec une romancière hollandaise, Hanna Bervoets et son court texte Les choses que nous avons vues.
Kailegh écrit à l’avocat qui va défendre ses collègues qui attaquent la plateforme pour laquelle ils travaillaient tous. Elle ne souhaite pas se joindre à l’action judiciaire, mais est d’accord pour raconter ce qu’il s’est passé pendant ses mois de travail comme modératrice. Comment elle était chronométrée et surveillée pendant qu’elle devait décider si un contenu était ou non contraire aux règles de la plateforme. Et visionner heure après heure toutes les horreurs du monde. C’est aussi son histoire d’amour avec Sigrid qu’elle raconte.
J’ai un reproche à faire à ce roman, malgré l’effet saisissant de sa lecture. Hanna Bervoets choisit de raconter son histoire sous la forme de réponse à une demande d’un avocat qui défend les employés de la plate-forme. Pourquoi pas. Mais cette défense des employés n’est utilisée que comme prétexte narratif. On ne saura pas pourquoi, ni par qui elle a commencé, on n’en connaitra ni les raisons, ni l’aboutissement, et je n’ai pas non plus compris pourquoi la narratrice ne souhaite pas s’y associer. Pour finir j’ai été un peu gêné par la fin qui m’a laissé … sur ma faim. Cela m’a donné l’impression que la romancière (j’attends que quelqu’un, quelque part, décide entre autrice, auteure … sinon je passe à l’espagnol autora), savait très bien ce qu’elle voulait raconter mais a eu du mal à trouver la bonne forme.
Ceci dit, c’est saisissant, et salutaire. J’avoue que je ne m’étais jamais posé la question du quotidien de ces travailleurs cachés, qui passent leurs journées à visionner des tombereaux d’insanités pour les modérer. Jamais interrogé sur leur quotidien, sur l’effet que cela pouvait avoir sur leur vie privée, sur leur santé mentale. Et c’est effarant. Et très bien conté, une fois passé le problème cité ci-dessus.
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