Sur la route du Danube
Résumé éditeur
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l’avis des lecteurs
Europe, terre d’élection
Emmanuel Ruben a choisi de traverser le continent à vélo d’Odessa à Strasbourg et de suivre le cours du Danube. Son récit de voyage nous fait voir l’Europe de manière aussi originale que contrastée.
Refermant ce récit de voyage, je ne sais trop s’il faut d’abord admirer la performance sportive, ces 4000 km parcourus à la force du mollet le long d’un itinéraire qui réserve bien des chausse-trapes aux cyclistes ou l’érudition d’Emmanuel Ruben, qui semble avoir avalé une bibliothèque entière pour pouvoir nous détailler ainsi les paysages, les monuments, les peuples qu’il croise tout au long de son périple.
Ce dont je suis en revanche persuadé, c’est que la réussite du livre tient à la combinaison des deux.
Le choix du vélo donne un rythme et un point de vue plus propice aux rencontres – et aux surprises – qu’un camping-car ou une voiture et permet, bon gré mal gré, de réclamer plus facilement l’hospitalité quand il pleut à verse ou quand les rayons de la roue lâchent et demandent une réparation d’urgence pour pouvoir continuer sa route. Il permet aussi de «sentir» la géographie, de «vivre» les paysages et quelquefois de remettre en question la version livresque. Ou plus prosaïquement de confirmer l’intérêt stratégique d’implanter ici une colonie ou d’ériger là une forteresse pour repousser les assaillants.
Bien entendu, il ne saurait être ici question de retracer la totalité d’un parcours si riche en anecdotes et en informations – le seul reproche que l’on pourra du reste faire au livre, c’est que sa richesse est telle que l’on ne peut tout digérer en une lecture.
Je préfère vous mettre l’eau à la bouche en piochant ici et là, au fil des épisodes, quelques réflexions, quelques faits qui éclairent la diversité d’un continent à l’histoire plus que mouvementée, à commencer par cette réflexion au début du voyage, en constatant que si le Danube sert de frontière naturelle, il reste indomptable et mouvant, notamment au niveau de son delta, en fonction de caprices saisonniers:
«L’Europe est le plus dense écheveau de frontières de la planète – l’Europe n’est qu’un entrelacs de bordures, et l’Ukraine, qui est par excellence le pays des confins, fait bien partie de l’Europe».
Pour les cyclistes, il en va de même, les routes s’amusant à défier cartes et autre GPS. Et quand le parcours est à peu près sûr, arrivent les fonctionnaires. C’est ainsi, par exemple, que le zèle des douaniers moldaves permettra d’écrire qu’il est «le seul pays qui demande dix fois plus de temps pour l’atteindre et le quitter que pour le traverser». Après avoir atteint la Roumanie et découvert le plus grand mouvement de révolte depuis la chute de Ceausescu, fraternisé avec une population qui partage d’autant plus qu’elle n’a quasiment rien à offrir. Et après avoir fait l’expérience des eaux de vie et autres alcools plus ou moins forts, c’est les «muscles raides, le cuir des fesses irrité et le cerveau encore ravagé par la murge de la veille» qu’il faut prendre la direction de la Bulgarie.
C’est peut-être le moment de dire deux mots sur le compagnon de voyage du narrateur qui «a le corps parcouru de frontières». Né à Kiev, il a grandi à Odessa, Bucarest et Bakou avant de filer vers Paris, Strasbourg puis Novi Sad. Dans ses veines coule du sang serbe, russe, ukrainien, tatar et la liste n’est sans doute pas exhaustive. Bref, l’incarnation de ce continent et le guide parfait pour cette pérégrination. Même s’il lui prend ici et là l’envie de lâcher son ami en cours de route, il sera d’une aide précieuse notamment dans cet ex-Yougoslavie qui est restée «plurielle, multilingue, multiethnique, multiconfessionnelle» et «aux populations inextricablement entrelacées» comme le raconte si bien Milorad Pavic dans Le Dictionnaire khazar, sorte de bréviaire pour Emmanuel Ruben qui, on l’aura compris, aine à s’abreuver des écrits des auteurs des pays traversés.
De Voïvodine, le duo gagne la Hongrie, puis la Slovaquie et, avant d’arriver en Autriche. «Remonter le Danube au pixel près, c’est explorer toutes les époques de la frontière, toutes les formes que l’Empire inventa, depuis les Romains, pour se barricader contre un ennemi réel, imaginaire ou fantasmé. Limes romain, Militärgrenze autrichienne, ligne Arpâda hongroise, Rideau de fer soviétique, murs et barbelés d’hier et d’aujourd’hui.»
En se rapprochant de l’Allemagne et de la fin du voyage, on peut voir comme un dernier symbole le fait que la source du Danube soit elle-même sujet à controverse. Derrière le petit théâtre et le filet d’eau qui s’en échappe, on peut sans doute trouver d’autres sources en amont.
Ode au voyage autant qu’ode à l’Europe, ce livre nous rappelle qu’il est bien temps de s’approprier notre continent.
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