Célestopol – 1922
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Depuis mars dernier, Emmanuel Chastellière nous invite à retourner à Célestopol. En effet, Célestopol 1922 est le deuxième recueil de nouvelles qui prend cadre dans la plus célèbre des cités lunaires.
A travers treize autres nouvelles, l'auteur explore de nouvelles facettes de la cité. Que ce soit pour la toute première fois ou la seconde, on est toujours aussi subjugués par le charme slave de cette utopie.
Célestopol célèbre la démesure d'un homme qui a voulu faire de ce lieu, un antre pour les arts et les sciences. Refuge pour lui-même car il se met, ainsi, hors de portée de la terrible et orgueilleuse tsarine, mais aussi pour tous les esprits éclairés intéressés de venir voir de plus près cette curiosité. Célestopol dégage un véritable art de vivre qui prend parfois forme dans l'intimité des salons tels celui de la célèbre maîtresse du duc Nikolaï, Tuppence Abberline où se croisent des personnalités brillantes comme Marie Curie et des figures inconnues, éprises de liberté et d'indépendance, à l'image de Be-Yeong, qui par sa franchise et sa vivacité, dans "Le revers de la médaille" a su attirer la sympathie d'une femme tout aussi fascinante. L'art étant au premier plan, il est donc normal que nos pas nous conduisent à l'opéra Romanova. C'est un bijou architectural que l'on doit à l'illustre architecte français, Charles Garnier et qui représente la seule touche occidentale au milieu de ce patrimoine russe. Dans "Une nuit à l'opéra Romanova", la soirée s'annonce mouvementée. En effet, Arnrun et Wojtek sont chargés d'assurer la sécurité d'un prestidigitateur de renom, Selim le Magnifique qui se produit justement à l'opéra. Le spectacle est subjuguant et le magicien, magistrale. Lorsque le clou du spectacle arrive, tout le monde est suspendu car Selim a décidé de conclure en utilisant le fameux miroir magique dit maudit. La foule s'attend donc à un dénouement mortel. Mais voilà que sur la surface du miroir apparaît une rue commerçante bien connue de Célestopol, plus surprenant encore de voir le magicien traverser le miroir pour revenir cinq minutes plus tard avec un bouquet de fleurs, acheté au fleuriste du coin. Puis, l'envie lui prend d'aller emprunter le tableau de Léonard de Vinci, Salvator Mundi, nouvellement exposé au musée afin que tous puissent l'admirer. Un chef d'oeuvre prêté pour l'occasion par l'archiduc François Ferdinand qui, sous la plume d'Emmanuel Chastellière, est bien vivant en 1922. Mais alors que le magicien s'apprête à ramener l'oeuvre d'art, celle-ci lui échappe des mains pour prendre son envol. S'ensuit alors une rocambolesque poursuite dans laquelle Arnrun s'est engagée afin de remettre la main sur le tableau fuyard. Un brin décoiffant, cette aventure est digne de celles menées par le plus gentleman des cambrioleurs, Arsène Lupin.
Mais sous le vernis de la belle Célestopol se cachent des quartiers plus sombres situés sous la ville que les élites ignorent volontairement. Bouillonnants de vie, les oubliés s'y croisent souvent sans se connaître. Parmi eux, l'auteur nous attache aux pas de certains pour nous faire partager des moments forts de leur vie. Par exemple, dans "Mon Rossignol", on fait la connaissance d'Alissa, une idéaliste qui veut renouer avec une ancienne relation pour aider la cause des travailleurs afin notamment d'améliorer leurs conditions de travail. Mais peut-elle réellement espérer se faire entendre des requins qui détiennent le pouvoir ? Entre luttes sociales, corruption et petite criminalité, les rues de Célostopol ne sont pas toutes sûres, surtout avec cette bande de voyous qui fait sa loi dans les bas quartiers. Pour faire écho aux célèbres Apaches qui ont mené la vie dure aux forces de l'ordre à Paris dans les années 20, Emmanuel Chastellière a imaginé un groupuscule similaire dont les membres se font appeler les Cheyennes. On croise d'ailleurs leur chemin à plusieurs reprises dans cet ouvrage. Ainsi, dans "Un visage dans la cendre", ils font la misère à un petit voleur du nom de Kokorin qui, pour tenter de leur échapper, s'est réfugié dans les couloirs abandonnés du métro. Seulement ils sont tenaces et lorsqu'ils ont flairé une proie, ils ne la lâchent pas si facilement. Anastasia dans "La fille de l'hiver" va, elle-même, en faire les frais. En effet, persécutée par ces derniers, elle représente un contrat juteux s'ils arrivent à la ramener à leur commanditaire. Véritables pieds de nez pour le duc Nikolaï, ils sont un fléau qui entache la sécurité de la cité lunaire et sèment beaucoup trop de cadavres sur leur passage.
Dans la plupart des nouvelles de ce second volet de Célestopol, le duc Nikolaï brille surtout par son absence. Son nom est bien évidemment sur toutes les lèvres car il est tel un dieu omniscient qui veille sur la ville. Seulement, on le croise très peu si ce n'est à la fin dans la nouvelle déjà citée, "La fille de l'hiver" car il renoue avec son passé qui lui revient au visage comme un boomerang sous les traits de sa cousine, disparue 20 ans plus tôt. Reflet de ce passé enfoui et honni, Anastasia est de retour aussi authentique que différente. Qui est-elle ? Que veut-elle ? A Nikolaï de le découvrir mais est-ce bien raisonnable de remuer le passé ?
Tantôt éblouissante, tantôt inquiétante, Célestopol est un cœur qui bat à l'unisson de tous ces destins que nous conte Emmanuel Chastellière. 1922 est bien une folle année pour tous ses héros. D'une nouvelle à l'autre, on est étourdi par leurs aventures, parfois improbables, souvent incroyables. De chacun de ses textes se dégagent une vraie poésie où la magie des contes russes s'invite au gré des envies de l'auteur comme lorsque le chat Baioun ou le Vourdalak entrent en scène pour nous plonger dans une douce rêverie.
N'oublions pas que Célestopol est une ville résolument moderne où la technologie s'exprime déjà par l'existence d'automates très performants. Ils ont donc dépassé le stade de simples machines. En tout cas, c'est la réflexion que l'on se fait en côtoyant le majordome du duc, Ajax. On prend vite conscience de l'humanité qu'il dégage, notamment dans "Sur la glace" où il rencontre un patineur déchu qui va l'ébranler au plus profond de son être au point de lui faire ressentir des émotions typiquement humaines. En plaçant des automates au rang de personnages, l'auteur pose la question de leurs droits et de leur statut au sein de cette société comme l'illustre la nouvelle, "Paint Pastel Princess". Certains humains comme Léon se battent pour faire changer le regard des gens sur ces robots. Et si le vrai progrès ne passait pas tout simplement par là ?
Toute la diversité que brasse la cité lunaire induit ce questionnement sur les fondements de cette société que le duc a construit en pointant le doigt sur des questions morales et sociales.
La pluralité des histoires proposée par Emmanuel Chastellière dans ce nouveau recueil renouvelle notre intérêt pour Célestopol. De plus, la carte dessinée par Olivier Sanfilippo et placée à la fin de l'ouvrage apparaît comme un nouvel appel au voyage. Il n'y a donc plus qu'à espérer que l'auteur reprenne vite sa plume pour nous offrir un nouveau billet pour la lune, peut-être pour y vivre cette fois-ci un séjour plus long sous la forme d'un roman. Qui sait !
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