Le Comte de Monte-Cristo
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l’avis des lecteurs
Encore un de ces titres que tout le monde connait sans forcément l’avoir lu, ce qui était mon cas jusqu’à la proposition de Moka et Fanny d’un duel Dumas-Dickens dans le cadre de l’activité "Les Classiques, c’est fantastique". Ayant lu Dickens en début d’année (comblant en cela une autre honteuse lacune), c’était l’occasion de sortir de mes étagères (ça fait toujours bien d’exposer quelques gros incontournables dans sa bibliothèque) les pavés constituant les deux tomes du célébrissime roman d’Alexandre Dumas. Pour tout vous dire, mes connaissances quant à ce monstre de la littérature étaient franchement vagues, n’ayant même pas visionné les diverses adaptations cinématographiques ou télévisuelles dont il a fait l’objet. Je savais, dans les grandes lignes, qu’il y est question du château d’If d’où s’évade un certain Edmond Dantès pour se métamorphoser en ce fameux Comte. Et, grosso modo, ça s’arrêtait là…
Deux grandes parties structurent l’intrigue, fondées sur cette métamorphose, donnant au lecteur l’impression d’y avoir affaire à deux personnages principaux différents, quand il s’agit du même individu.
Dans la première, nous suivons donc Edmond Dantès, jeune et modeste pêcheur à l’avenir prometteur. On le cueille au début du récit de retour d’une campagne de pêche à bord du Pharaon, où il officiait comme second d’un capitaine décédé en cours de route. Edmond, responsable et compétent malgré sa jeunesse, a admirablement pris en main le commandement du bateau, ce dont se félicite l’armateur Morrel, qui lui laisse entendre, à peine débarqué à Marseille, que sa promotion au rang de capitaine est quasiment acquise. L’avenir se présente pour notre héros sous les meilleurs auspices : en plus de cette belle évolution professionnelle, il doit épouser sous peu Mercédès, belle brune à la beauté sauvage qu’il aime passionnément, et réciproquement. Mais ce bonheur n’est pas du goût de certains dont il contrecarre les propres projets, notamment ceux de Danglars, trésorier du Pharaon, ou de Fernand Mandego, épris de Mercédès qui le considère comme un frère. Les machinations de ces deux envieux viennent s’imbriquer aux intérêts personnels du procureur de Marseille -Villefort-, qui mène rondement l’affaire, et Edmond, accusé d’être un agent bonapartiste, est arrêté le jour même de ses noces, et se retrouve presque illico enfermé dans un cachot du château d’If où il passera quatorze ans.
Précisons que nous sommes en 1815. Napoléon est alors en exil à l’île d’Elbe, les autorités en place craignant qu’avec l’aide de ses partisans, il ne fomente son retour. A raison, comme le démontreront les Cent Jours. Néanmoins la fugace reconquête du pouvoir par l’Empereur ne change pas le sort d’Edmond, dont Villefort a fait en sorte qu’il soit définitivement oublié du reste du monde.
C’est une première partie très sombre, où nous sont dépeintes toutes les étapes de l’état d’esprit du prisonnier, de l’espoir et de l’orgueil que lui confère la conviction de son innocence, au doute puis à l’infinie détresse menant à la tentation de la mort.
Je vous laisse découvrir comment, depuis son cachot, Edmond se cultive, apprenant les sciences, l’histoire et plusieurs langues étrangères, ainsi que les détails de son épique évasion et de l’origine de l’immense fortune dont il devient subitement propriétaire.
Dantès, mort pour le monde, devient Monte-Cristo, comte autoproclamé d’un ilot désert de la Méditerranée.
Lorsqu’il fait son apparition dans la société des hommes, c’est sous les apparences d’un personnage aussi fascinant que mystérieux, aussi envoûtant qu’inquiétant. Le luxe inouï dans lequel vit l’homme, qui prétend posséder des esclaves -un serviteur noir et muet et une jeune femme grecque d’une extraordinaire beauté-, l’étendue des pouvoirs -rien ne lui semble impossible- que lui confèrent à la fois sa fortune et l’autorité naturelle qui émane de son assurance courtoise et de sa grande intelligence, intriguent au plus haut point.
Dans la seconde partie, Alexandre Dumas déploie avec minutie les mécanismes puis les conséquences de l’ample entreprise de vengeance ourdie par le Comte. Patiemment, méthodiquement, il a tissé un réseau d’indéfectibles fidélités -et qu’elles soient parfois celles de brigands, de contrebandiers ou d’assassins lui importe peu-, traqué les plus intimes secrets de ses ennemis, élaboré un plan aussi machiavélique que complexe, consistant à s’appuyer sur les points faibles et jusqu’à présent soigneusement dissimulés de ses cibles et à se servir des ressentiments et des haines que leurs actes n'ont manqué de susciter. Assister aux manœuvres du Comte introduit dans la bonne société parisienne où les responsables de son malheur -Villefort, Danglars et Fernand- ont acquis richesse et pouvoir, le jeune Mandego ayant de plus fini par épouser Mercédès qui lui a donné un fils dorénavant adulte, procure une jubilation d’autant plus grande que le regard porté sur ce milieu et ceux qui y évoluent est féroce. Car Alexandre Dumas étrille au passage l’hypocrisie, la mesquinerie, et la cruauté d’une société opportuniste obsédée par le maintien de sa position sociale et de la respectabilité ou des pouvoirs qu’elle lui octroie, dont les différents rouages -armée, justice, finances- sont soumis à la petitesse et à l’égoïsme de ceux qui les font tourner.
Le Comte de Monte-Cristo, non seulement richissime mais aussi charismatique, raffiné et immensément mystérieux, y devient une sorte de légende, tout en affichant en toutes occasions, malgré sa vigueur et son audace, une humilité et une courtoisie qui ne font qu’exhausser l’admiration et la sympathie qu’il provoque généralement chez ses interlocuteurs. Et en même temps, l’ironie qu’il manie avec suffisamment de subtilité pour qu’on ne sache jamais si elle est volontaire, provoque parfois un certain malaise. Sa connaissance des travers et des aspects les plus hermétiques du passé de ses victimes -dont son extraordinaire acuité permet par ailleurs de prévoir les réactions-, associée à son champ d’action apparemment illimité -tout étant à vendre si on y met le prix-, en font un personnage omnipotent, omniscient, et pour tout dire vaguement effrayant.
L’auteur, par un choix qui se révèle habile et pertinent, place le lecteur vis-à-vis de la personnalité du Comte sur un pied d’égalité avec ceux qu’il rencontre, en occultant le détail de ses émotions et de ses pensées, ne nous livrant que la description de ses expressions –ce qui n’était pas le cas avec Edmond Dantès. Eclairé en revanche quant aux antécédents du héros, lui seul comprend le sens des allusions à un teint parfois un peu plus pâle, ou à un sourire imperceptiblement inquiétant.
L’implacable machinerie mise en branle fonctionne, et à merveille, la chute est implacable, et adaptée à chacun. Au-delà du scandale dont elle entache définitivement non seulement les trois cibles du Comte mais aussi leur famille, ces dernières perdent, en plus de leurs proches, ce qui leur est le plus cher : Fernand son honneur, Villefort sa position, Danglars son argent.
Mais comme toute vengeance, elle finit par occasionner des dommages collatéraux… Jusqu’alors porté par la conviction qu’il n’était que le bras d’une Providence appelant à un juste châtiment, se réclamant de Dieu pour justifier que les fautes des pères retombent sur leurs enfants, le Comte de Monte-Cristo est finalement amené à remettre en cause la légitimité et l’équité de son œuvre vengeresse.
Succession d’épisodes riches de rebondissements, peuplés de personnages peut-être trop multiples pour se révéler tous aussi consistants -ce qui n’est à vrai dire pas très gênant-, le Comte de Monte-Cristo est un roman profus, que je qualifierais avant tout "d’aventures", même si l’on peut aussi y voir une peinture sociale de son époque, une réflexion philosophique sur l’utilité de la vengeance… et sans doute tout un tas d’autres aspects, que je laisse le soin aux spécialistes de lister.
J’ai personnellement pris à cette lecture beaucoup de plaisir, et je pourrai dorénavant faire ma belle sans mentir quand on me demandera si j’ai lu Le Comte de Monte-Cristo !
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