Est-ce ainsi que les femmes meurent ?
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l’avis des lecteurs
Dans la nuit du 13 mars 1964, Kitty Genovese, qui rentre du bar où elle occupe un emploi de serveuse, est violée et assassinée, à quelques mètres de son appartement...
Trente huit témoins auraient assisté à la scène. Certains ont entendu les appels au secours de la victime, d'autres ont vu une partie de l'agression, et pas un seul d'entre eux n'a agi pour faire cesser le calvaire de la jeune femme, jusqu'à ce que l'une de ses voisines fasse fuir l'agresseur et appelle une ambulance. Mais il est alors trop tard...
Dès le début de ma lecture, j'ai réalisé avoir déjà lu cette histoire... Et en effet, il s'agit du même fait divers dont s'est inspiré David Ryan Jahn pour écrire son roman "De bons voisins", que j'ai lu l'été dernier.
Ceci dit, les deux auteurs ont une approche différente de cette sordide affaire. Quand David Ryan Jahn détaille l'agression pour en faire une sorte de polar, en extrapolant sur les raisons qui ont conduit les témoins à la passivité, Didier Decoin mène une sorte d'enquête a posteriori, dans le but de comprendre pourquoi (et non comment, comme le décrit Jahn dans son récit) les voisins de Kitty l'on laissée se faire massacrer sans bouger..
Pour cela, il choisit comme narrateur Nathan Koschel, l'un des riverains qui était absent la nuit du drame. Celui-ci assiste au procès de Winston Moseley, l'assassin de Kitty, rapidement arrêté après le drame, et qui a avoué d'autres meurtres avec un détachement glaçant. Les faits ayant mené à la mort de Kitty Genovese sont ainsi précisément reconstitués.
Mais ce qui met le feu aux poudres, et porte ce fait divers sur le devant de la scène médiatique, c'est l'indignation d'un journaliste du New York Times, qui pointe du doigt l'attitude des habitants d'Austin Street. Il tentera sans succès de les interroger : les voisins de Kitty font profil bas, et ne cherchent d'ailleurs même pas à se défendre de ses accusations. Lorsqu'ils passeront à la barre (ils seront peu nombreux), cités comme témoins à charge par l'accusation, ils expliqueront leur passivité de diverses façons (untel, qui a tenté de contacter la police, a fini par perdre patience et raccrocher*, tel autre a cru que les cris de Kitty étaient ceux d'une ivrogne, celui-là a contacté sa petite amie pour lui demander conseil, et lui a obéi lorsqu'elle l'a incité à ne rien faire...).
"Est-ce ainsi que les femmes meurent ?" ne donne finalement pas de réelle explication sur ce qui s'est passé le 13 mars 1964, et ne nous permet pas de connaître les mécanismes qui ont poussé tous ces individus à se taire, ou à refermer leurs rideaux. Si ce récit pose des questions certes fort intéressantes (la peur peut-elle justifier la lâcheté ? Laisser faire le mal est-il aussi condamnable que de le faire ?), il m'a laissé sur ma faim. L'auteur semble hésiter entre enquête et fiction, et ne parvient pas à faire en sorte que son texte soit réellement abouti. Je trouve que le parti de David Ryan Jahn, qui a fait nettement le choix de la fiction, est plus cohérent, tout en incitant le lecteur à se poser les mêmes questions.
Finalement, c'est l'épilogue qui se révèle ici le plus intéressant, dans la mesure où nous y sont présentées les conclusions d'études scientifiques menées suite à cet événement (on parlera dorénavant du "syndrome Genovese"), qui éclairent en partie l'attitude des voisins de Kitty Genovese. Elles indiquent que plus un événement a de témoins, et plus la responsabilité de ces témoins se diffuse : chacun pense que l'autre va intervenir, et se décharge ainsi de sa propre obligation d'agir...
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