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l’avis des lecteurs
Le roman du fastfood
La narratrice de ce premier roman original raconte son enfance marquée par les arrêts au fast-food sur la route des vacances et son travail dans cette même chaîne une dizaine d’années plus tard. Deux récits en parallèle et un contraste saisissant.
Toute la famille monte dans la Berlingo. C’est l’heure des vacances! Après une année à trimer à l’usine, elles sont bien méritées pour Jérôme, fier de pouvoir emmener Sylvie, son épouse et ses deux enfants, la narratrice et son frère Nico en Bretagne. Un voyage qui est aussi synonyme de sortie au restaurant. Et comme les moyens sont limités on choisira le moins cher, le fast-food. Mais pour les enfants, c’est un peu le paradis. Il y a même des jouets en prime!
Ce souvenir vient contraster avec une autre histoire de fast-food, une dizaine d’années plus tard. On y retrouve la narratrice, mais employée cette fois dans cette même chaîne. Sa formatrice a beau s’appeler Chouchou, il n’y a désormais plus rien de tendre dans cet endroit aux règles strictes, à la discipline de fer.
«Après trois semaines au drive, je suis désormais en salle, le royaume dont personne ne veut, constitué du lobby intérieur où mangent les clients, de la terrasse, des toilettes et du local poubelle. Je suis en salle parce que je viens d’arriver et que les nouveaux servent à être là où personne ne veut travailler. Je comprends que je vais rester à ce poste. Lorsque je sers un des plateaux posés sur le comptoir, je sais que les équipières de l’autre côté se sont battues pour être derrière le rectangle en béton du comptoir, planquées.»
L’envers du décor, c’est l’enfer. Avec sa hiérarchie du côté des exploités. Claire Baglin a eu la bonne idée de raconter cet esclavage moderne en le mêlant à la chronique familiale. Dans une ville de deux mille habitants le long d’un axe routier, «nous vivons au deuxième étage et, chaque soir, lorsque j’ouvre la fenêtre de ma chambre, ce roulement continu de camions me rappelle que je suis dans une ville de passage et que, dans la logique de ce mouvement, je partirai moi aussi.»
Aux cadences de l’usine et aux négligences concernant la sécurité viennent répondre les directives des manas (les managers) et leur surveillance constante, la pression du coup de feu ou encore les exigences de clients peu respectueux. Avec des deux côtés cette envie de bien faire qui peut ressembler à une soumission. Mais il faut bien faire bouillir la marmite.
C’est non sans une dose d’humour – celui du désespoir – que la primo-romancière dépeint l’aliénation par le travail. En détaillant les situations, en racontant les épisodes marquants au sein de son établissement, Claire Baglin n’a guère besoin de forcer le trait pour toucher juste. On ressent sa colère sans qu’elle ait besoin de l’exprimer. Depuis L’établi de Robert Linhart et À la ligne, les feuillets d’usine du regretté Joseph Ponthus, je n’avais pas lu un tel réquisitoire contre l’exploitation de l’homme par l’homme.
Claire Baglin fait entrer le fastfood en littérature…
En une succession dynamique de courts paragraphes, le roman alterne entre souvenirs d’enfance focalisés sur la figure d’un père ouvrier et ceux de l’expérience professionnelle de la narratrice dans un fastfood dont l’enseigne n’est jamais précisée.
Le choix des épisodes cantonne l’intrigue au monde du travail, comme s’il constituait l’essence même de la vie des protagonistes, impression confortée par les parties consacrées à Jérôme, le père, qui évoquent la dimension aliénante, obsédante, d’une activité professionnelle dont il ne parvient même pas à se détacher pendant ses vacances.
Pour cet ouvrier et sa famille, le travail est aussi ce qui les positionne dans la société, les assigne à un rang dont il faut subir les frustrations qu’il induit : la hantise du manque d’argent et donc l’obsession de l’économie, la nécessité constante de se restreindre ; la conscience, pour les enfants, d’être par exemple moins bien habillés que les autres. La réalité pathologique de l’accumulation compulsive d’objets par la mère, ou ce que révèle de leur condition les expéditions paternelles dans les déchetteries pour y récupérer des trésors qui garderont indéfiniment leur statut de réparables, ne seront en revanche compris qu’avec le recul.
La parole semble elle-même réduite aux considérations du père sur son travail, et aux dialogues qui tournent autour du prix -toujours trop élevé- des menus que proposent les restaurants où l’on s’arrête exceptionnellement sur la route des vacances, ou quand on en revient. Le fastfood représente alors pour la narratrice et son jeune frère l’étape rêvée et intensément désirable, l’exception qui permet, le temps d’un repas, d’être comme tout le monde.
Fastfood où l’on retrouve donc notre héroïne dans un présent qui ne contient que lui, comme si là encore, le travail était le lieu central de la vie. Sauf que cette fois, on est en plein dedans, immergé dans l’action. Et on en retire une sensation vaguement cauchemardesque, essentiellement liée à la nature absurde de ce que l’on ne parvient même pas à qualifier de métier, opéré dans un restaurant qui n’en mérite pas le nom. Car comme le rappelle la narratrice, on n’y cuisine pas. La mission consiste à garantir une température élevée et un aspect conforme à ce que connait le client, c’est-à-dire identique à ce qu’il peut trouver dans tous les sites de la chaîne.
Ce qu’il faut sans doute davantage retenir que le terme "restaurant", est celui qu’on lui accole pour désigner ce genre d’endroit : "rapide". Le lieu, qui évoque une fourmilière, a d’ailleurs son temps propre, à la fois continu et comme constitué d’une succession d’instants saccadés, un temps qu’amorce le bip des pointeuses (qui ne signale que les arrivées) puis qu’alimentent des gestes répétitifs ou des tâches dont le contenu est strictement défini et proscrit toute initiative personnelle. Il est par ailleurs interdit de souffler même quand il n’y a rien à faire, la consigne est alors de "mimer l’activité".
L’individu y est anonymisé, son identification réduite à sa fonction, par ailleurs mouvante : un jour au drive (poste envié dans la mesure où les mains y restent intactes), un autre aux "frites" (où, à l’inverse, les doigts se couvrent de stigmates dont certains ne partiront jamais) ou en salle, lieu abhorré pour la pression qu’on y subit.
La plume, directe et précise, traduit le rythme des tâches et des échanges, révèle en quelques mots les caractéristiques de cet univers professionnel, ses méthodes d’encadrement infantilisantes et uniformisantes, son langage lapidaire, abrégé, qui participe au ravalement de l’individu à une simplicité réductrice.
Au fil de ces allers-retours entre l’enfance de fille d’ouvrier et l’infernale expérience du fastfood, Claire Baglin tisse des correspondances qui interrogent sur la perpétuation d’une aliénation que ses victimes ne semblent à aucun moment remettre en question, effet pervers d’une emprise psychologique, physiologique et matérielle ne permettant pas de prise de distance.
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