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l’avis des lecteurs
Quand la vie vole en éclats
Avec ce bouleversant témoignage Caroline Laurent raconte le choc subi par les révélations de Camille Kouchner et les mois qui ont suivi. Un livre précieux, manuel de survie pour temps difficiles et engagement fort en faveur de la chose écrite.
Après le somptueux Rivage de la colère, on imaginait Caroline Laurent tracer son sillon de romancière à succès. Un parcours entamé avec Et soudain, la liberté, paru en 2017, un roman écrit «à quatre mains et deux âmes» avec Evelyne Pisier et qui connaîtra un très grand succès. Quand nous nous sommes rencontrés pour la dernière fois au printemps 2020, elle me parlait avec enthousiasme de ses projets, de son souhait d’indépendance avec la création de sa propre structure, mais aussi du manuscrit de son prochain roman auquel elle avait hâte de s’atteler après sa tournée des librairies et manifestations. Mais tout va basculer en début d’année 2021 quand le nom d’Evelyne Pisier va réapparaître. Cette femme libre avait un autre visage. Dans le livre-choc de Camille Kouchner, La Familia grande, on apprend qu’elle savait tout des violences sexuelles, de l’inceste dont se rendait coupable son mari Olivier Duhamel et qu’elle préférera garder le silence.
C’est précisément le 4 janvier 2021 que Caroline Laurent découvre cette autre vérité en lisant un article dans la presse. Une date qui restera à jamais gravée dans sa mémoire. La romancière aurait pu l’appeler «le jour de la déflagration», ce sera «le jour de la catastrophe». Le choc la laissera exsangue et emportera son don le plus précieux. Elle n’a plus les mots. Elle est incapable d’écrire. A-t-elle été trompée? Où se cache la vérité?
Durant toutes les conversations que les deux femmes ont partagées, jamais il n’a été question de ce lourd secret, même pas une allusion. Evelyne protégeait son mari. Cette Familia Grande, dont elle faisait désormais un peu partie, laissait derrière elle un champ de ruines. À la sidération, à la trahison, à l’incompréhension, il allait désormais falloir faire front. Essayer de comprendre, essayer de dire tout en ayant l’impression d’être dissociée de ce qu’elle avait écrit. Comment avait-t-elle pu ne rien voir, ne rien sentir. Ni victime, ni coupable, mais responsable. Mais comment peut-on être complice de ce qu’on ignore?
Elle comprend alors combien Deborah Levy a raison lorsqu’elle écrit dans Le coût de la vie que quand «La vie vole en éclats. On essaie de se ressaisir et de recoller les morceaux. Et puis on comprend que ce n’est pas possible.» Avec ces mots, ceux d’Annie Ernaux, de Joan Didion et de quelques autres, elle va forger cette conviction que ce n’est que par l’écriture qu’elle parviendra à trier le bon grain de l’ivraie, l’autrice va chercher sinon la vérité du moins sa vérité. Elle commence par re-explorer la relation qu’elle avait avec la vieille dame de 75 ans et finira par entendre de la bouche de son amie Zelda les mots qui la feront avancer: «Elle t’aimait. Elle t’aimait vraiment.»
Voilà son engagement d’alors qui prend tout son sens. Et si s’était à refaire…
Puis elle apprend la patience et l’éloignement, alors que la meute des journalistes la sollicite. Elle veut prendre de la distance, ce qui n’est guère aisé en période de confinement. Et comprend après un échange avec son ami comédien, combien Ariane Mnouchkine pouvait être de bon conseil. En voyant qu’il ne trouvait pas son personnage, elle lui a conseillé de «changer d’erreur».
Alors Caroline change d’erreur. Elle comprend que son livre ne doit pas chercher où et comment elle est fautive, car de toute manière, elle referait tout de la même manière, mais chercher à transcender le mal, à construire sur sa douleur.
Elle nous offre alors les plus belles phrases sur l’acte d’écrire: «Il y a de l’érotisme dans l’écriture, un érotisme naturel, onaniste. On cherche le mot juste, la caresse souveraine. Désirer est le mouvement subaquatique de l’écriture, c’est son anticipation et sa rétrospective – l’infini ressac du texte.»
En cherchant les lignes de fuite de son histoire familiale, en parcourant les chemins escarpés des îles Féroé – vivre à l’écart du monde est une joie – en trouvant dans la solitude une force insoupçonnée, elle nous propose une manière de panser ses blessures, de repartir de l’avant. Un témoignage bouleversant qui est aussi un chemin vers la lumière.
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