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La cour des abysses
Résumé éditeur
livré en 4 jours
l’avis des lecteurs
C’est assez marrant comme la question des genres fluctue dans mon esprit, de lectures en lectures, et de discussions autour de la question à d’autres discussions. D’un côté je trouve que ce sont des étiquettes bien pratiques dans une optique de conseil et de partage, assurant qu’on parle de la même chose entre gens de bonne volonté ; et de l’autre je peux aussi facilement considérer que la taxonomie à toute force confine un peu trop souvent à une forme de masturbation intellectuelle.
Dans le cadre de la chronique qui nous intéresse aujourd’hui, on est clairement dans le premier cadre, puisque bien au delà des noms sur la couverture, ceux de gens que j’apprécie personnellement et/ou professionnellement à divers degrés, c’est surtout pour son usage affiché du genre que j’ai été particulièrement content de recevoir ce roman en SP.
Vous le savez, Lovecraft, son héritage et moi, c’est compliqué : il y a là une tradition horrifique et un bestiaire singulier, qui, bien exploité·e·s, savent littérairement me séduire, mais que j’estime trop aisément enclin à tomber dans certains écueils pénibles. Quant à la romance, je ne suis pas contre, en soi, mais je sais aussi pertinemment que ce n’est pas ma came : je ne suis juste pas le bon public, me rendant peu apte à juger en connaissance de cause.
Par contre, quand on me dit qu’on va lier les deux, alors là je suis très curieux. Parce qu’il y a là une ambition claire et l’occasion de s’amuser un peu avec les tropes et les structures en mêlant deux univers qui en temps normal n’ont absolument rien à faire l’un avec l’autre, ou alors de façon tangentielle. Ou du moins une promesse de ce style : c’est ce que je me suis dit quand j’ai ouï-dire de l’existence du projet, en gestation et une fois terminé.
Ce qui nous amène donc à aujourd’hui, et à mon avis sur la tenue de cette promesse : c’était chouette. Je ne peux pas dire que j’ai été absolument renversé, mais c’était vraiment chouette. Plongeons donc dans La cour des Abysses.
Émilia était passagère à bord de L’Elseneur, navire de plaisance arrêté par les autorités d’une petite ville côtière pour des raisons obscures. Elle se retrouve très vite piégée dans une petite pièce, quelque part dans la municipalité, comme a priori le reste de l’équipage et des passagers, dont elle n’a aucune nouvelle. Par chance, elle trouve un vieux téléscripteur abandonné, avec lequel elle parvient à renouer contact avec le capitaine de l’Elseneur, avec qui elle a vécu une relation intense pendant leur séjour commun sur le bateau, lui aussi prisonnier, ailleurs. Ensemble, iels vont tenter de s’échapper et de comprendre ce qui leur arrive.
Alors, pourquoi c’est chouette, La cour des Abysses. Déjà parce que j’ai pas lu grand chose de similaire, à mon humble échelle. Mélange frontal des genres oblige, défi littéraire un peu fun aidant, écriture à quatre mains : ce bouquin est unique, de fait. Et, aussi bête que ça puisse sonner, je trouve simplement que la recette fonctionne complètement, Alex Nikolavitch et Camille Salomon ont trouvé une manière super maline d’écrire à deux leurs personnages et leur relation, ainsi que la progression dramatique de leurs péripéties. Alors forcément, spoils obligent, je ne peux pas trop en dire sur le sujet, mais je trouve que leurs décisions de variations formelles marchent super bien et permettent d’intriquer très intelligemment les enjeux narratifs et les contraintes scripturales allant avec. Tout comme iels ont superbement lissé le ton général du roman, comme son ambiance, ne créant pas une césure criante entre leurs deux manières d’écrire ; au contraire, l’ensemble file tout droit le long des chapitres et des changements de point de vue.
Ceci étant dit, je me dois de pinailler un peu : c’est plus fort que moi. Bien au delà de préférences purement personnelles dont le roman n’est absolument pas fautif, déjà citées en introduction, et en dépit de l’efficacité générale du roman, je me dois de préciser quelques zones d’inconfort. Faisons donc abstraction de la romance et de l’horreur chtonienne : je pense que le travail des auteurices est absolument honorable en lui-même, et si je n’ai pas été absolument emporté, c’est parce que l’amour comme l’horreur, au niveau littéraire, je ne les appréhende qu’avec une vague idée des sentiments qu’ils devraient m’inspirer. C’est comme qui dirait pour de faux, donc j’ai beaucoup de mal à ressentir quoi que ce soit à cet égard : analytique et clinique jusqu’au bout des ongles, affreux personnage que je suis.
Et donc mon plaisir de lecture se reporte plus souvent sur les structures, leurs mises en place, l’exécution des enjeux, ce genre de choses barbantes pour le commun des mortels. Précisément ce que j’ai aimé dans ce roman, comme je l’ai dit plus tôt. Non, ce que j’ai trouvé un peu dommage, c’est le registre de langue choisi par Alex Nikolavitch et Camille Salomon, ainsi que le rythme général du récit. Je trouve que pour un récit aussi poisseux et angoissant, du genre à vous faire vous demander tout le long ce qui va bien pouvoir arriver aux protagonistes, le registre clairement soutenu choisi par les deux auteurices manque un peu d’urgence et de familiarité dans l’expression. Même si je comprends le choix fait, d’autant qu’il aide clairement à caractériser passivement nos personnages, paradoxalement, je trouve qu’il leur soustrait aussi une part de leur chaleur, de leur organicité. Peut-être qu’à vouloir à tout prix lisser l’ensemble, finalement, ce dernier manque d’aspérités ; c’est un poil monotone dans l’enchaînement des séquences, mécanique. Alors c’est sans doute à mettre sur le compte de l’écriture à quatre mains, c’est peut-être le prix à payer pour ne pas avoir à se demander à chaque nouveau paragraphe « ah, alors qui l’a écrit, celui-là » ; mais il n’empêche que le récit ne m’a pas frappé par son rythme, là où la situation l’aurait peut-être exigé un peu plus.
Mais comme toujours avec moi, il ne faut pas prendre ma débauche d’efforts pour décrire les aspects négatifs du roman dont je parle comme un désaveu de ma part : c’est juste que ce que je considère comme potentiellement meilleur me frappe plus violemment que ce qui est déjà bon. La cour des Abysses était une bonne lecture faisant la part belle à un drame horrifique réussi, embarquant des personnages avec lesquels il est difficile de ne pas être en empathie, jouant habilement avec les formes romanesques pour nourrir un suspense qui reste complet jusqu’au bout, laissant d’ailleurs la place à une excellente conclusion validant complètement l’ensemble de la démarche jusque là.
Et pour un roman qui fondamentalement, n’était pas fait pour me parler, je trouve que c’est plutôt un très bon résultat. Oui, les contraintes génériques et d’écriture ne lui facilitaient pas la tâche, mais sincèrement, le pari est réussi. L’histoire est bonne, et sa réalisation aussi : l’essentiel est largement préservé. Comme une bonne saumure.
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