Imaginaire des mondes paralleles
Second volet du triptyque des Imaginaires dédié aux voyages dans le temps et aux mondes parallèles.
Parmi les thèmes traités par la science-fiction, celui des univers parallèles est sans doute l'un des plus riches, tant par ses possibilités spéculatives que par la manière dont il interroge notre rapport le plus intime à notre destin individuel.
Unique, l'Univers englobe tout ce qui existe, y compris l'espace-temps lui-même. Selon la théorie de l'inflation cosmique, il s'est déployé à une vitesse vertigineuse peu après le Big Bang. Pourtant, de nombreux cosmologistes suggèrent qu'il n'existe pas un seul univers, mais des nombreux univers parallèles en marge du notre. Le multivers pourrait être infini, avec des univers possédant diverses histoires et caractéristiques. L'idée la plus largement acceptée est celle du « multivers de niveau 1 », où l'Univers observable est simplement une région parmi d'autres dans un espace infini. D'autres hypothèses, comme le « multivers de niveau 2 », suggèrent des univers radicalement différents, aux lois physiques variées. Lors de la création de notre Univers, à partir de rien et dans des conditions presque surnaturelles, les règles étranges de la physique quantique régnaient en maître. Et si, dans ce monde quantique, les univers parallèles étaient déjà présents ?
"La plus courante exploitation du thème de la quatrième dimension en S-F est celle des mondes parallèles. Ceux-ci reposent sur l’idée qu’il y a des univers coexistants avec le nôtre, mais dont l’existence ne peut nous être révélée par les seuls perceptions de nos cinq sens. Ce motif fut esquissé par H. G. Wells (L’histoire de Plattner) et Rosny aîné (Autre monde), avant d’être largement exploité durant l’ère des pulps. Leur existence nous est alors dévoilée par l’irruption sur notre planète d’êtres venant de la quatrième ou de la cinquième dimension (The Incredible Invasion de Murray Leinster ou Wolves of Darkness de Jack Williamson). Mais ils peuvent aussi être la destination d’expéditions terriennes (The Fifht Dimension Catapult de Murray Leinster). Edmund Hamilton lui donna même un semblant d’explication scientifique (Locked World, 1929). John Russell Fearn expliqua dans Other Eyes Watching (1946) la disparition de bateaux, d’avions ou d’hommes par des perturbations spatio-temporelles qui les déposeraient sur un monde parallèle." Jacques Baudou, in : La Science-fiction, PUF, " Que sais-je ? ” no 1426, 2003
De nombreux auteurs ont utilisé l’idée qu’il existe des portes qui permettent de passer d’un monde dans l’autre : c’est le cas dans Les fleurs pourpres (1965) de Clifford D. Simak, qui manifesta une tendresse particulière pour ce thème comme le prouve Chaîne autour du soleil, Z comme zèbre ou La grande cour de devant. Bob Shaw avec L’autre présent (1968) et Frederick Pohl avec L’avènement des chats quantiques (1986) l’ont illustré eux aussi de façon notable, tandis qu'Isaac Asimov, avec Les Dieux eux-mêmes (1972), a imaginé un para-univers aux lois physiques différentes, peuplé de créatures intelligentes tout à fait singulières.
De L'Univers en folie au Cycle de l'Hexamone
Le sujet se prête à un traitement burlesque : c’est ce qu’a fort bien compris Fredric Brown, qui a signé ce qui est sans doute le chef-d’œuvre de la SF humoristique. "Avec L'Univers en folie (1949), l'auteur fait une entrée fracassante dans la science-fiction, en s'attaquant avec humour aux codes des pulps américains de l'Âge d'Or. Ce roman est une brillante parodie qui se moque joyeusement des extraterrestres kitsch de l'époque, tout en offrant une réflexion grinçante sur le maccarthysme qui sévissait alors. Sa manière très personnelle de traiter des univers parallèles précède le travail de Philip K. Dick, à une époque où ce dernier n’avait pas encore publié un roman. Tour de force narratif, rythmé comme un polar, genre dans lequel Brown excelle, l’influence de ce petit chef-d’œuvre sur la science-fiction moderne est indéniable, même si elle a parfois été sous-estimée. Et pour ceux qui ont goûté à cette œuvre, certaines scènes restent inoubliables, au point qu’on raconte que bien des années après, certains lecteurs sursautent encore en entendant le cliquetis d’une canne d’aveugle derrière eux..." Bruno DELLA CHIESA - Première parution : 1/4/2003 - dans Galaxies 28 - Mise en ligne le : 1/9/2005
"Publié en 1957, l'Œil dans le ciel est le septième roman de Philip K. Dick. L'idée originale est, du propre aveu de Dick, « volée à L'Univers en folie de Fredric Brown et adaptée ». Pourtant, le fossé semble grand entre ces deux œuvres : à la parodie de S-F déjantée, Dick va opposer un voyage à travers la psyché de plusieurs personnages et créer des mondes divergents à faire pleurer d'envie un scénariste de Sliders. Ce roman marque un tournant dans la carrière de Dick, car il est le premier où la question qui sous-tendra toute son œuvre future, « qu'est-ce qui est réel ? », se pose avec autant d'acuité. Sur le strict plan littéraire, ce texte est une pure merveille de composition et révèle un trait marquant du style de l'auteur. En effet, en faisant se suivre plusieurs mondes correspondants aux personnages qui les émettent, Dick fait figurer dans son texte, consciemment ou non, les relais de narration qui serviront de base à l'utilisation de la multifocalisation, trait caractéristique de l'œuvre à suivre. Chaque personnage dont l'univers est décrit devient ainsi le « narrateur » de sa propre histoire. L'intrigue romanesque suit donc pas à pas l'écriture d'un texte telle que la pratique l'auteur. L'importance de ce roman n'est donc peut-être pas là où on la cherche. Sans doute se situe-t-elle dans l'élaboration d'un style, d'une méthode de travail, et ce même si, à 28 ans, Dick est déjà un grand écrivain." Laurent QUEYSSI - Première parution : 1/5/2000 dans Bifrost 18 - Mise en ligne le : 6/10/2003
D'autres auteurs ont été particulièrement inspirés par les mondes parallèles. C’est le cas de Keith Laumer avec Les mondes de l'Imperium (1962), où l'on voit s'affronter l'Imperium, une sorte d'empire britannique géré par des chevaliers sans peur et sans reproche, et un monde post apocalyptique nettement moins glamour. Entre les deux ne reste que la désolation, une série d'univers où l'humanité s'est suicidée lors d'une guerre nucléaire et où demeurent quelques formes de vie plutôt curieuses.
Entre 1965 et 1993, Philip José Farmer a apporté une contribution originale avec la Saga des Hommes-Dieux (Le faiseur d’univers, Les portes de la création, Cosmos privé, etc.), dont l'univers parallèle est constitué d’une suite de plateaux étagés, chacun soumis à la fantaisie d’un dieu différent. Robert Wolff, dont les plans de retraite sont bouleversés après avoir découvert une corne mystérieuse, est transporté dans cet univers parallèle peuplé de figures mythologiques. Rajeuni, Wolff se lance dans une quête périlleuse pour retrouver le créateur de ce monde.
En 1966, Philip José Farmer écrit également La porte du temps, un roman d'histoire alternative dans lequel un aviateur américain traverse une porte temporelle et se retrouve sur un monde sans chevaux, sans caoutchouc et sans avions, au milieu d'une guerre impérialiste menée par un état dont la capitale est Berlin. Bien que le roman puisse sembler mineur, il propose une réflexion sur la différence entre les peuples, les individus, les langages et les Terres.
Les deux personnages principaux de L'homme à rebours (1975), Felice Giarre et Balthazar N'Kuma vivent dans des Terres parallèles. "Felice Giarre s'ennuie ferme, prisonnier d'un monde aseptisé où les arts sont prohibés et remplacés par les drogues. Il ne lui en fallait pas plus pour accepter de jouer le cobaye humain pour l'inventeur du « voyage analogique » et se trouver ainsi projeté dans des mondes parallèles. C'est sur l'un de ces mondes (Terre X) que Giarre, au contact de l'Ordinateur Central, va découvrir qu'il est peut-être leur Créateur..." Olivier NOËL - Première parution : 1/6/2004 dans Galaxies 33 - Mise en ligne le : 22/12/2008
"Un roman donc qui ne doit rien — mais ce qui s'appelle rien — à la science-fiction américaine, qui est en fin de compte presque trop français. L'homme à rebours : le grand tournant de Philippe Curval et peut-être de la science-fiction française." Michel JEURY - Première parution : 1/3/1975 - dans Fiction 255 - Mise en ligne le : 1/5/2015
Il est toujours difficile d'amorcer une série de SF : l'auteur doit créer un univers à la fois cohérent et complet, comme s'il s'agissait d'un roman autonome, tout en laissant suffisamment de zones d'ombre à défricher dans les romans suivants. Cet équilibre est d'autant plus difficile à atteindre que l'univers doit être vaste et complexe. Michel Jeury relève ce défi avec brio dans Les Colmateurs (1981), en situant l'action dans un para-univers constitué d'une multitude de mondes parallèles. Il combine passé, présent et futur grâce à un procédé narratif ingénieux, alternant entre l'aventure vécue par Rob Seidon et les souvenirs de son moi futur. Un des plus beaux romans d'univers parallèles, qui se passe en partie dans un Périgord où les Anglais ont gagné la Guerre de Cent Ans.
"De l'autre côté de notre réalité, prétend Robert Reed, s'enchaîne un interminable cortège de mondes parallèles. L'auteur de La voie terrestre (1991) reprend à son compte un vieux refrain de science-fiction : notre planète n'est pas un modèle unique, mais une des multiples Terres existant dans des plans de réalité contigus. Dans l'imagination de Robert Reed, la plupart de ces mondes parallèles sont habités par une espèce d'apparence humaine. Mais l'Histoire, selon lui, y suit des cours divergents. Certains en sont encore à l'âge de la pierre, alors que d'autres voient s'épanouir des civilisations au faîte du développement technologique. Les pacifiques Vagabonds appartiennent à cette élite. Leur science a ouvert une enfilade de portes entre les différents univers, qu'ils visitent l'un après l'autre au fil des millénaires. Au passage, ils éduquent les peuples inférieurs rencontrés dans leur périple et accélèrent en douceur leur évolution. Mais ces philanthropes errants ne se contentent pas d'ajouter de nouvelles perles au collier de la fraternité cosmique. Leur quête a un autre objectif : parvenir au bout de la route qui relie les mondes et où, dit-on, les attendent les mystérieux Créateurs." François ROUILLER - Mise en ligne le : 5/11/2000 - NooSFere
Greg Bear n'a jamais fait deux romans semblables. Avec Eon, il s'agit d'un retour magistral à une SF éprouvée, celle qui joue avec les immensités du temps et de l'espace. "En l'an 2000, un astéroïde apparaît soudainement dans le système solaire et se met en orbite autour de la Terre. Une expédition internationale (mais dominée par l'OTAN) est envoyée là-haut pour l'explorer. On s'aperçoit vite que l'objet (surnommé le Caillou), qui mesure 300 km de long et 100 km de large, est en effet un énorme vaisseau spatial abandonné, avec sept vastes chambres creusées à l'intérieur contenant des villes, des parcs, et de la machinerie dont on comprend mal le fonctionnement. Plus bizarre encore, les habitants étaient visiblement des êtres humains, originaires d'un avenir lointain. Mais s'agit-il de notre avenir, ou celui d'un univers parallèle ? Car le mystère le plus étourdissant se trouve dans la septième chambre." Tom CLEGG - Première parution : 1/12/1999 dans Galaxies 15 - Mise en ligne le : 1/8/2001
L'ensemble constitué d'Eon (1985) et de sa suite, Éternité (1988), se hisse au niveau des inventions technologiques et métaphysiques les plus audacieuses d'Arthur C. Clarke, d'A.E. van Vogt, ou d'Olaf Stapledon. Tous les fans devraient faire leurs délices de ces livres riches en rebondissements. Héritage (1995) est le dernier tome à se rattacher au Cycle de l'Hexamone.