Imaginaire des mondes parallèles - de Fringue à Dark Matter
De Fringe à Dark Matter
"Lorsque le pilote de Fringe apparaît sur les ondes en 2008, un léger déjà-vu s'installe : des enquêteurs fédéraux planchant sur des phénomènes étranges, liés aux sciences non conventionnelles ; une atmosphère de complot. L'ombre de X-Files planait mais, au-delà des tâtonnements propres à toute première saison, des qualités saillaient : une prédilection pour le body horror à la Cronenberg ; le personnage féminin principal, l'agent Olivia Dunham, récupérant les habituels traits masculins du genre et l'invention d'un savant fou mémorable, Dr. Walter Bishop, démiurge haut perché accro au LSD, aux sucreries et aux voyages interdimensionnels. Créée par J.J. Abrams, la série dévoile en saison 2 un twist majeur : l'existence d'un monde parallèle, où chaque personnage est confronté à son double. Fringe en exploitera toutes les possibilités, qu'elles soient ludiques (le casting invité à jouer plusieurs variations d'un rôle), existentielles (l'inné contre l'acquis) ou métaphoriques (après l'ennemi flou extraterrestre d'X-Files ou l'ennemi islamiste identifié post-11 Septembre, voici le pire : nous-mêmes). La série, achevée en 2013, arrive pile lorsque l'idée de monde parallèle se démocratise, bascule de la niche geek (la physique quantique, les comics et leurs « terres infinies » aux multiples déclinaisons de Superman, la série Sliders) vers le domaine public." Léo Soesanto - publié le 12 juin 2020 à 18h56 dans Libération
Source Code (2011) est un film palpitant et d'une efficacité rare, réalisé par Duncan Jones. Le capitaine Colter Stevens, pilote d'hélicoptère dans l'armée américaine, est enrôlé dans un programme gouvernemental qui lui permet de revivre les derniers huit minutes de la vie d'un autre homme afin de découvrir un terroriste. À chaque "replay", il conserve ses souvenirs des tentatives précédentes, ce qui affecte sa perception de la réalité et ses actions futures. Est-il dans une "projection" du passé, ou bien dans une réalité alternative ? C'est notre coup de cœur multiversel.
Counterpart (2017), drame d’espionnage mêlé de science-fiction, est une série fascinante sur le double je avec J.K. Simmons dans le rôle principal. Employé de bas-étage dans l'antenne berlinoise de l’ONU, Howard Silk se lamente sur sa vie. Il est bloqué à un poste absurde depuis trente ans et sa femme est dans le coma après avoir été renversée par un véhicule. Un jour, il découvre la vérité sur son poste : sous le bâtiment où il travaille se trouve un portail vers une réalité alternative, créée à la suite d'une expérience scientifique pendant la Guerre froide. En se retrouvant face à son double, un agent de terrain chevronné et sans pitié, Silk se met à reconsidérer ses choix passés et à s'interroger sur son identité. Il devra répondre à cette interrogation vertigineuse : pour survivre, le Howard de notre monde doit-il devenir l’autre Howard, qui veut lui-même prendre sa place ?
La comédie déjantée Everything Everywhere All At Once (2022) a été multi-primée au Oscar 2023. Une femme nommée Evelyn Wang et gérante bornée d’un lavomatique est soudainement recrutée par son mari qui lui donne pour mission de réguler la destinée des mondes parallèles, ceux-ci étant en péril. Il s’avère qu’Evelyn Wang peut accéder aux souvenirs et aux compétences de toutes les versions d’elle provenant d’autres univers parallèles. Ainsi, elle devient une super-héroïne, capable de tout ce qui est humainement possible. Dans le rôle d’Evelyn Wang, on retrouve la légendaire Michelle Yeoh, ainsi qu’un casting asiatique de premier plan. Une version rafraîchissante du sous-genre des multivers.
Dark Matter est d'abord un roman (2016) puis une série TV (2024). C'est un thriller qui nous plonge dans la physique quantique et nous invite à libérer notre imagination. L'histoire se déroule dans un Chicago bien réel, où vivent Jason, un professeur d'université, sa femme Daniela, et leur fils de quinze ans, Charlie. Leur vie, avec ses hauts et ses bas, est plutôt ordinaire, jusqu'à ce soir-là – en apparence comme tous les autres – où Jason, rentrant tard après une soirée entre amis, se fait soudainement kidnapper et droguer. À son réveil, il découvre un Chicago qui n’est plus tout à fait le sien.
"Si vous ouvrez la porte, entrez dans la boîte et fermez la porte, vous vous retrouvez en superposition. Ce que nous percevons devient alors une manifestation d'un espace de probabilité en cinq dimensions, issu de l'esprit des personnes qui y pénètrent." Extrait du livre dans une version du multivers.
Les pérégrinations quantiques de Jason l'emmènent à travers une multitude de versions de Chicago : de la ville ravagée par un virus à l'utopie écologiste, en passant par une ère glaciaire dévastatrice. Ce voyage, régi par des règles méticuleusement établies, se déroule dans un décor labyrinthique des plus fascinants. Le suspense, qui ne cesse de croître, maintient le lecteur ou le téléspectateur en haleine du début à la fin.
Conclusion
La quatrième (ou cinquième) dimension a longtemps permis aux récits de science-fiction de faire se croiser différents mondes. Durant l'Âge d'Or de la SF, l'idée d'univers parallèles et de dimensions supplémentaires était déjà captivante et novatrice.
"Il y a peu de concepts scientifiques qui aient été imaginés ou même préfigurés par la Science-Fiction avant la science. Des machines, voire des technologies, oui. Des concepts, non. Pourtant il en est un qui semble faire exception, c'est celui des mondes parallèles." Gérard Klein *
Aujourd'hui, la science a en quelque sorte rattrapé, voire dépassé, la fiction, et elle pourrait bientôt franchir la frontière de la métaphysique. L'idée que notre univers, ainsi que d'autres, existent sous forme de « bulles » d'espace-temps a récemment gagné en crédibilité. Des études récentes suggèrent que des indices de ces univers pourraient être détectables dans notre propre cosmos, renforçant ainsi l'hypothèse du "multivers". En analysant les données du fond diffus cosmologique (CMB), des chercheurs ont identifié des motifs qui pourraient être interprétés comme les traces de collisions entre notre univers et ces "univers-bulles". Ces résultats préliminaires nécessitent cependant d'être confirmés, notamment par les données plus précises du télescope Planck.
Nous pourrions bien être aux portes d'une nouvelle révolution cosmologique et mentale. Tout comme la Terre a perdu son statut de centre du monde, suivie par le Soleil, puis notre galaxie, notre Univers pourrait perdre son statut d'unicité pour devenir un parmi tant d'autres. Peut-être avons-nous quelque part, un double qui vit selon des règles étranges ?