
Trilogie de la Conurb Tome 1 Neuromancien
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l’avis des lecteurs
Après avoir vu et lu Périphériques, je voulais absolument lire ce qui est considéré comme le chef d’œuvre de William Gibson, Neuromancien. Ce roman paru en 1984 est indissociable du cyberpunk, dont il est un des textes les plus emblématiques. J’avais proposé récemment un épisode de Premières lignes pour partager l’incipit de ce texte, dans ses deux traductions françaises. Car j’ai commencé la lecture avec la traduction de Jean Bonnefoy chez J’ai lu, avant de me rabattre sur celle de Laurent Queyssi, au Diable Vauvert. Neuromancien a été… une expérience de lecture comme j’en ai rarement eu.
Mazette, quelle affaire !
Lire Neuromancien n’a pas été une mince affaire. D’abord, parce que je me suis cassé les dents avec l’ancienne traduction. Comme je le disais dans les Premières lignes, je trouvais que c’était assez brut, aride et métallique, mais selon moi ça collait plutôt bien à l’idée que je me faisais d’un texte de cyberpunk des années 80. Et finalement, quand Cécile Guillot, avec qui j’en ai parlé, a regardé la VO, on s’est aperçues qu’en fait le texte le plus fidèle était celui de la seconde traduction. Ouf, parce qu’elle est en plus beaucoup plus fluide et agréable à lire.
Alors arrivée au tiers, j’ai abandonné ma super théorie qui n’en était pas une. Et je suis repartie de 0 pour recommencer la lecture avec la nouvelle traduction, jusqu’au bout. Mais je n’ai strictement rien compris. Alors, arrivée à la fin du bouquin, qui m’a plongée dans un abyme de perplexité totale… J’ai recommencé la lecture depuis le début. En prenant des notes sur tout ce qu’il se passait. Résultat, j’ai capté 99 % du texte, sauf les toutes dernières pages. C’est terriblement frustrant. Si quelqu’un veut bien m’expliquer le sens de cette coda, je suis preneuse. Dans l’oreille.
Bon, ça parait assez dingue de m’être accrochée comme ça, d’autant qu’habituellement, je n’hésite pas à dégager les bouquins avec une facilité déconcertante de ma bibliothèque. Mais là, je n’avais pas envie de m’avouer vaincue. Pas quand on me parle de chef d’œuvre et de bouquin qui a fait date. Et puis ce n’est pas si difficile à lire, quand on prend le pli. Cela faisait bien longtemps que je ne m’étais pas autant bagarrée avec un bouquin. Mais ça en valait la peine et on s’est quittés bons potes. Même si j’ai pas compris la fin.
Se raccrocher aux branches autant que possible
Une écriture minimaliste
J’ai retrouvé dans Neuromancien ce que j’avais ressenti à la lecture de Périphériques, puissance 1000. Peut-être celui-ci m’aurait-il fait le même effet si je n’avais pas regardé la série d’abord.
L’écriture de Gibson est minimaliste. Toute en ellipses et asyndètes, juxtaposant les phrases sans coordination, sans lien logique. Il manque les liens causes –> conséquences; c’est au lecteur de comprendre et d’imaginer ce qui n’est pas dit. Gibson suggère, le lecteur remplit les blancs. L’auteur évacue le superflu, ne s’embête pas à détailler ses bonhommes ou ses décors sous toutes les coutures. En cela, il garantit au lecteur une sacrée expérience de lecture, particulièrement active.
Une expérience active de lecture
N’essayez pas de lire Neuromancien un vendredi soir en étant défoncé et en espérant vous reposer. Ca ne marchera pas du tout. Vous devez être éveillé, concentré, en possession de toutes vos capacités intellectuelles pour vous y retrouver. Ce n’est pas évident pour les personnes comme moi qui ne parviennent pas trop à imaginer. J’ai énormément de mal à laisser mon imagination construire quelque chose; en général, je me raccroche aux descriptions pour tenter, tant bien que mal, de me représenter ce qui est dit/montré. Alors quand il n’y a rien… je suis devant un écran noir que je parviens pas à meubler.
Mais Neuromancien garantit de ce fait une sorte d’expérience similaire à celle que vivent les personnages. Ils évoluent dans la grille de la matrice, comme on évolue dans la grille du roman. Même combat, même exploration, et même approche subjective, improvisée. Case ne comprend pas grand chose à sa mission, hé bien on ne comprend pas grand chose non plus aux enjeux de ce texte pendant un bon moment.
Déroutant, complètement en dehors de mes habitudes, pas forcément ce que je préfère, mais je dois l’avouer : j’ai été emportée dans ce récit. Sans doute cela explique-t-il pourquoi j’ai pu recommencer deux fois la lecture. J’ai fini par apprécier la plume ardue de cet auteur, et la comprendre. Mieux : elle m’a portée.
Un roman-référence, truffé de références culturelles
Alors passé cette nécessaire adaptation, et malgré ma constante prise de notes sur chaque truc qu’il se passait, j’ai pu me concentrer sur le fond.
Un texte ancré dans une culture millénaire
Neuromancien se situe d’abord à un carrefour culturel. Il propose un regard, un discours et des questionnements qu’on retrouvera par la suite régulièrement. Mais il s’inspire aussi d’une culture passée, notamment biblique. J’ai par exemple bien aimé la comparaison de Straylight avec Babylone et les jardins suspendus. Mais on a des références plus récentes, avec les cow-boys modernes, qui piratent le cyberespace. La philosophie rastafari qui imprègne la station orbitale Sion et le remorqueur Garvey sont d’autres références culturelles qui truffent le roman. Finalement, pas mal de blancs mais beaucoup d’indices apparemment insignifiants, et pourtant. Avec Neuromancien, on est à un croisement des chemins et chaque détail nonchalamment posé à son importance.
Et qui amorce quelque chose de nouveau
J’avais évoqué, dans les Premières lignes, mon impression de déjà vu avec Matrix. La similitude Case/Neo, Molly/Trinity, et puis des scènes marquantes; les électrodes m’ont fait penser à la manière dont Neo et Trinity accèdent à la matrice; Sion évidemment a fait tilt aussi. Et vous allez peut-être rire, mais derrière Armitage j’ai mis les traits de Laurence Fishburne. Il faudrait, après lecture de Neuromancien, le dire dans l’autre sens pour être exact. Car clairement, Matrix s’inspire très très très largement de ce roman. Après avoir lu pas mal de choses ici et là sur ce bouquin, j’ai constaté qu’il y avait également des traces de celui-ci dans d’autres œuvres, notamment Ghost in the Shell, que je n’ai en revanche pas vu. Plus largement, pas mal d’éléments et de questionnements posés dans le roman se retrouvent dans des œuvres postérieures. Neuromancien en 2023 fait toujours office de référence.
Neuromancien ouvre donc des portes. Beaucoup de choses ont été dites sur ce roman : précurseur du cyberpunk, inventeur du cyberespace. Plus exactement le terme apparaît dans une nouvelle précédente, Burning Chrome, mais c’est véritablement Neuromancien qui conceptualise le terme. Ce faisant, Gibson se révèle doué d’une extraordinaire capacité de visionnaire. Car ce bouquin n’a pas pris une ride.
Un roman cyberpunk
Le but ici n’est pas de montrer en quoi le roman est caractéristique du cyberpunk, la chose est entendue. En revanche, je voudrais développer quelques axes qui me paraissent cruciaux et que j’ai beaucoup appréciés dans le roman. Or, il se trouve que ce sont effectivement des éléments typiques du genre.
Le cadre
Le roman commence dans la Cité de la nuit, un quartier de Chiba. Une enclave criminelle où pullulent les bars mal famés, les hôtels pas chers et miteux, les junkys, les prostituées et le marché noir. La lumière métallique provient de néons halogènes, artificielle. Rien de naturel dans ces lieux connus pour être le centre mondial des implants, de la microbionique, attirant ainsi toute la pègre techno criminelle de la Conurb (un axe reliant plusieurs mégalopoles de la côte est des USA). Une ambiance très underground, en somme, dépourvue d’éthique, où les rapports entre les personnages se caractérisent par leur violence. Case en est l’anti-héros par excellence. Ca m’a un peu fait penser à Blade Runner.
Le roman développe par ailleurs un autre acteur typique du genre, les multinationales. Principale antagoniste ici : celle construite par la famille Tessier-Ashpool. Elle représente un système : hyper capitaliste, hyper puissant, hyper pas éthique. Sa résidence dans les jardins suspendus de Babylone donne le ton… En revanche, ce sont des organisations qui ont tellement d’argent et les mains libres, qu’elles peuvent faire la pluie et le beau temps, et mettre au point de nouvelles techniques. Ici, la cryogénie et le développement d’IA.
Le cyberspace/la matrice
On est avec Neuromancien dans quelque chose de très technologique et cybernétique. Ce n’est pas toujours évident à suivre, parce que c’est plutôt conceptuel. Mais en y réfléchissant, ça a pas mal d’échos avec nos outils actuels. Gibson imagine un cyberspace, une sorte d’internet auquel on se branche via des électrodes. La fusion homme/machine permet d’entrer dans une matrice, que j’ai imaginée comme un grillage 3D où le temps s’écoule différemment. On peut interagir dans cette matrice, où tout n’est que données, structurées de manière graphique. Par exemple, j’ai cru comprendre que les IA ressemblaient à des cubes, les multinationales à des grappes géantes…
Bref, c’est une sorte de réalité parallèle, avec ses propres codes, manières de se déplacer/interagir avec les autres acteurs de la matrice. Toujours un peu difficile de se situer, tant la frontière entre réel et matrice tend à s’effacer, d’autant que Case semble être comme un poisson dans l’eau dans cet espace, contrairement à la vie réelle. Cela dit, cela crée un rythme intéressant quand Case « bascule ». On a un peu l’impression qu’on est dans une réalité virtuelle où chaque personnage change de peau, joue un rôle. Je n’y joue pas du tout mais c’est l’idée que je me fais des jeux vidéos.
Une interrogation philosophique : où s’arrête la vie, où commence la mort ?
Enfin, tout ceci : écriture minimaliste, motifs cyberpunks, références… a un but : poser des questionnements d’ampleur plus philosophique. Honnêtement, l’intrigue n’est pas incroyable. Je l’ai considérée à un mix entre Matrix et Ocean Eleven version cyber; en somme, c’est l’histoire du casse cybernétique du siècle. Pas hyper original, dans le fond, ni même son déroulé, dont on retrouve tous les éléments classiques du roman d’action.
Transhumanisme
Non, l’intérêt est ailleurs. Le roman, selon moi, s’interroge sur la limite entre la vie et la mort. Première étape du questionnement : la définition de l’humanité. Dans Neuromancien, aucun humain n’est « naturel ». Tous rafistolés (hop un pancréas changé, hop un bras mécanique, et hop 5L de sang nettoyé), les personnages se caractérisent par leur transhumanité. Des humains augmentés, avec des lentilles à carbone qui augmentent la vision, des griffes rétractables sous les ongles… Pratique ! Mais alors, difficile de savoir à qui/quoi on à affaire. Et je pense à un personnage en particulier qui joue sur le flou de cette distinction pour tromper les personnages et le lecteur.
L’affaire se corse quand certains personnages connaissent des arrêts cardiaques à répétition mais reviennent à la vie, comme si mourir dans une sphère n’avait pas d’impact sur l’esprit ou le corps résidant dans une autre sphère. Certains jouent alors avec les différentes réalités pour tromper le corps, d’autres congèlent celui-ci pour traverser les époques. Neuromancien repousse les limites, brouille les règles basiques de la nature humaine.
IA//Homme
Alors quand vous rajoutez par-dessus des IA qui sont plus intelligentes et surtout malignes que vous, clairement vous vous demandez si l’humain a encore un avenir. D’ailleurs, les IA dans Neuromancien sont le cœur du propos. Ce sont elles qui tirent les ficelles. Elles ont leurs propres raisons, s’engagent dans leurs propres conflits, et semblent avoir une éthique beaucoup moins discutable que celle des humains…
Cela paraît assez commun, aujourd’hui, de dire qu’on trouve une IA dans un bouquin qui soit un prolongement de l’humain. Mais Neuromancien est publié en 84, et j’ai trouvé que c’était assez nouveau. Bon, peut-être que cela ne l’est absolument pas, ma culture SF de l’époque est plutôt maigre. Malgré tout, et pour en revenir à mon propos, il me semble que le duo d’IA du roman prolonge la réflexion sur le sujet, et repousse davantage les limites de la mort. D’ailleurs, le positionnement de l’une des IA semble connecté au royaume des morts. Il parait alors possible de parler avec un émissaire des morts, d’opérer une fusion entre une IA de la vie et une de la mort, deux faces d’une même IA plus globale… et de laisser penser que dans la matrice, les morts ne sont pas vraiment morts… Sommes-nous alors vraiment humains, dans une seule réalité ?
Fiou, j’ai lu Neuromancien. Je suis venue, j’ai lu, j’ai presque vaincu. En tout cas, même si j’ai raconté des énormités dans ma chronique (je n’en suis pas sûre, mais peut-être que j’extrapole pas mal), voilà un bouquin qui a généré chez moi beaucoup de sentiments contradictoires. A la fois un grand plaisir, un gros énervement et une lassitude. 3 tentatives pour arriver au bout, franchement… Une sensation aussi paradoxale d’avoir saisi plein de trucs et à la fois rien du tout. Et la question suprême : ai-je vraiment bien saisi ce que l’auteur voulait dire ici ? Dans tous les cas, Neuromancien m’aura marquée, et je sais déjà que je le relirai. Et que j’ai pas mal de bouquins et de films à (re)lire, et à (re)voir. J’ai bien fait de m’être accrochée, je ne regrette pas du tout de m’être confrontée à ce bouquin incroyable.
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