Les Contemplées
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Derrière les murs de la Manouba
Pauline Hillier a fait partie des Femen. C’est lors d’une action de protestation en 2013 qu’elle a été arrêtée et incarcérée dans la prison de femmes de Tunis, la Manouba. Une expérience qu’elle relate dans ce roman bouleversant.
Quand on se retrouve isolée du monde, dans une cellule surpeuplée et proche de l’insalubrité, alors la moindre petite attention est bonne à prendre. Pour la narratrice, brutalement jetée dans cet univers carcéral, la possibilité de conserver un livre est une bénédiction. Cet exemplaire des Contemplations de Victor Hugo va très vite devenir un viatique lui permettant de ne pas sombrer. Mieux, c’est dans les marges et dans les espaces encore vierges qu’elle pourra prendre des notes, raconter son vécu et rassembler la matière de ce qui deviendra Les Contemplées en hommage à l’auteur des Misérables.
Si ce n’est qu’en toute fin de volume que Pauline Hillier expliquera ce qui l’a conduite dans cette cellule en 2013, on sent bien qu’elle n’a rien oublié de son séjour, des premières minutes à celles de sa libération. Il faut dire que cette expérience ne peut que marquer fortement ceux qui la subissent. La violence y est omniprésente, d’abord assénée par ceux qui sont censés faire respecter la loi, les gardiens et le personnel administratif jusqu’à la directrice qui n’a pas trouvée meilleur moyen pour se hisser au rang de ses collègues masculins que d’être encore plus sévère et plus tyrannique qu’eux. Elle fait de sa «machine carcérale» un concentré d’inhumanité et encourage les gardiennes à la sévérité, pour ne pas dire la brutalité. On comprend alors la détresse de la Française jetée dans une cellule qui répond à ses propres règles, avec des détenues plus ou moins dangereuses et dont elle ne comprend pas la langue. Les policiers l’avaient du reste prévenue, c’est bien l’enfer qui l’attend.
Mais la peur n’est pas la meilleure conseillère. Pour pouvoir tenir, elle se rend bien compte qu’elle doit faire profil bas et essayer de se fondre dans la masse, voire à se trouver des alliées.
Mais c’est presque par hasard qu’elle va trouver le moyen de gagner sa place et même de jouir d’un statut particulier. En prenant la main d’une codétenue et en lui expliquant ses lignes de vie, elle va s’improviser chiromancienne. Ce faisant, elle fait rentrer de l’humanité – voire de la sensualité – dans ce monde où le libre-arbitre et la force font loi. Prendre la main d’une prisonnière n’est alors plus un geste anodin, mais le début d’une histoire. De confidence en confidence, on va voir se déployer les histoires individuelles, découvrir Hafida, Samira, Fazia, Boutheina et les autres. Alors, il n’est plus question de crimes et délits, mais de solidarité et de sororité. Alors on soutient une femme enceinte, on compatit à la tragique histoire de cette femme violée que son père tout comme la police préfère ne pas croire et qui va finir incarcérée, accusée du meurtre de son agresseur. Ou encore de cette autre détenue, coupable de ne pas avoir été en mesure de donner un héritier mâle à son mari. Miroir inversé d’une société qui a érigé le patriarcat en système absolu que le dévoiement de la religion accentue encore, La Manouba devient alors le creuset d’un combat souterrain, d’une humanité qui défie la violence. Alors un carré de chocolat, un bout de savon, un pas de danse, quelques secondes passées sous la douche ou encore quelques pas en plein air deviennent les symboles de la résilience, du refus de l’obscurantisme.
Si le récit de Pauline Hillier est aussi bouleversant, c’est parce qu’il donne à cette tranche d’autobiographie une valeur universelle. En entrant avec elle dans cette prison et en partageant son quotidien, c’est bien contre l’injustice et l’absolu d’un pouvoir dévoyé que l’on s’élève. Avec la force d’un Midnight express féminin, l’ex-militante Femen trouve dans l’écriture le moyen de poursuivre un combat qui, s’il est loin d’être gagné, fera bouger les lignes ou, au moins soutenir ces femmes détenues qui retrouvent ici un visage. Car, comme l’écrivait justement Victor Hugo dans les Contemplations…
Rêveurs, tristes, joyeux, amers, sinistres, doux,
Sombre peuple, les mots vont et viennent en nous ;
Les mots sont les passants mystérieux de l’âme.
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