
Chien 51
Résumé éditeur
livré en 5 jours
livré en 5 jours
l’avis des lecteurs
Période trouble, pas la joie, bla bla bla… Vous connaissez la perceuse.
Après deux ajouts à la série noire, un relou et l’autre pas trop, je me suis remotivé à coup de proverbial et métaphorique pied au derrière. Quelques hésitations et faux départs plus tard, mon choix s’est finalement porté sur le livre du jour, parce que j’aime beaucoup Laurent Gaudé, et qu’il me semblait mériter que je dépasse ma relative frayeur envers ledit ouvrage. Pourquoi frayeur si je l’aime tant que ça, me direz vous ? Pourquoi frayeur, alors qu’on parle de l’auteur de La Mort du roi Tsongor, un roman si proche de la perfection à mes yeux que je ne vais cesser de bassiner mon entourage avec jusqu’à ma mort ou la leur ? Pourquoi frayeur alors que ses autres bouquins passés sous mes yeux allaient du bon au très bon sans jamais me faire dédire de mon impression favorable envers la plume d’un auteur que je respecte clairement ?
Frayeur, parce que les échos m’étant parvenus concernant Chien 51 étaient pour le moins mitigés. Parce que même si la démarche d’écriture de ce roman de SF assumée par son auteur a semblé humble vis-à-vis de l’héritage du genre dont il se réclame, même s’il semble qu’il n’est pas venu dans le monde de l’Imaginaire en terrain conquis et avec condescendance comme d’autres auteurs ont pu le faire ; il demeure que c’est un auteur de littérature générale qui passe une frontière générique complexe à traverser, d’autant plus quand on considère qu’il fait le voyage en touriste plus qu’en expatrié, si vous voyez ce que je veux dire.
Pas pour préjuger de ses intentions ou du sérieux de sa démarche, de mon côté, mais pour dire que Laurent Gaudé vient d’un monde littéraire qui a sérieusement tendance à mépriser l’Imaginaire sous toutes ses formes, qui culturellement, existe presque en opposition frontale avec cette niche. Dès lors, lorsqu’il écrit et publie un roman de SF, ses ambitions étant plus ou moins camouflées par son éditeur, qu’il prenne des grands airs ou non, il a tendance à aller au devant de certaines difficultés, forcément. Quand, comme moi, on existe au sein de cette niche au point d’en concevoir une sorte de défiance, on attend des bouquins comme ceux-là, avec leur bagage implicite et involontaire, au tournant.
À noter que je n’avais, pour le coup, aucune envie de défoncer ce roman comme j’ai pu le faire avec d’autres ; j’étais circonspect, mais aucunement narquois par anticipation. Comme je l’ai dit et vais le répéter, j’ai beaucoup de respect pour l’écrivain qu’est Laurent Gaudé. Demeure que la SF, c’est quand même compliqué, et qu’il y a un héritage conceptuel et générique à maîtriser et respecter pour pouvoir convaincre le lectorat extrêmement exigeant et parfois un peu pénible que nous sommes, collectivement ; justifiant sans doute ces échos tièdes dont je parlais plus tôt.
Voilà, ça c’est pour le contexte : en clair, j’adore l’auteur, mais il s’attaque à un domaine qui n’est clairement pas le sien et qui me paraissait demander de lui d’aller piocher dans des domaines littéraires auxquels il ne m’a pas donné l’impression d’être vraiment familier jusque là. J’avais envie d’y croire, mais je n’étais pas convaincu qu’il arrive à me séduire à plein avant de commencer ma lecture.
Et le verdict est… Globalement à la hauteur de mes attentes. Franchement, c’était pas mal. Mais sans doute plus parce que Laurent Gaudé est un excellent écrivain en général que parce qu’il a écrit un bon roman de SF. Je m’explique.
Futur proche, la Grèce, en cessation de paiement, a été absorbée par GoldTex, une richissime multinationale, restructurant l’ensemble du pays et divisant sa capitale en zones d’habitations en fonction des différents statuts octroyés à ses « cilariés ». Zem Sparak est l’un d’entre eux, un « chien », un agent de police déployé en zone 3, la plus déshéritée de toutes, affecté à une affaire de meurtre en apparence classique. Sauf qu’il apparait que non ; il a été verrouillé, appairé de force avec une agente de la zone 2, dont la victime est apparemment originaire, agente avec qui il n’a aucune envie de travailler, mais à qui il devra pourtant obéir.
Crevons l’abcès direct : niveau SF, c’est pas fifou. C’est pas fifou ; pour qui est familier du genre. Génériquement, Laurent Gaudé nous propose ce que certain·e·s appellerons à raison un roman d’anticipation, d’autre, également à raisons, une dystopie, et moi, encore plus à raison, un roman cybergrunge. (C’est comme du cyberpunk, mais les néons, les augments et le glamour en moins, j’ai déjà théorisé la dessus en parlant de Té Mawon.) Sans jugement négatif aucun, mais avec un regard aussi clinique que possible, l’auteur de Chien 51 n’y invente pas grand chose de frappant pour qui a déjà mangé de la dystopie par paquets de 12 comme moi ; donc forcément, niveau vertige conceptuel, on ne peut pas dire que le compte y soit. C’est même assez convenu, si on doit être honnête, dans l’ensemble. On est plus dans la fonction primaire de l’anticipation dystopique, ici : l’exacerbation des données présentes dans une optique de prospective pessimiste. Un monde en très mauvais état, soumis aux diktats du marché et d’un climat complètement déréglé, ne survivant qu’à coup d’oppressions, de techno-solutionnisme court-termiste, et de transfuges de classe artificiels donnant un peu d’espoir à la plèbe malheureuse. Rien de nouveau sous le soleil. Ça fonctionne, c’est propre en terme de world-building, l’ambiance est soignée et laisse la part belle au poisseux et à l’angoisse existentielle, mais pour qui a l’appétit d’un peu de nouveauté conceptuelle, ça laisse le ventre gargouiller.
Mais ça ne m’embête pas trop de le dire, parce que je pense que Laurent Gaudé a su globalement compenser par d’autres efforts narratifs. Si de fait, avec un univers aussi attendu que celui-là, l’intrigue est à l’avenant, tenant plus du techno-thriller policier que de la complète et surprenante fable d’anticipation, je crois quand même que son ambition principale était ailleurs. Je pourrais à cet égard regretter que l’auteur n’en fasse pas plus sur ses efforts créatifs envers la partie SF de son récit, mais je préfère voir dans cette relative austérité une preuve d’humilité. Sachant sans doute l’ampleur de l’héritage auquel il se confrontait avec ce roman, plutôt que de prétendre réinventer la roue avec arrogance, Laurent Gaudé a préféré rester sobre et solide sur ses appuis, pour pouvoir déployer ses talents ailleurs. C’est sans doute mon biais de confirmation qui s’exprime ici, mais je préfèrerais toujours un roman qui sait ce qu’il fait et l’exprime clairement et efficacement, quitte à rester somme toute basique dans ses implications les plus complexes. Oui, je trouve que par moments, sans doute un peu effrayé par la possibilité de perdre son lectorat moins habitué à la SF au fil du texte, Laurent Gaudé tombe dans des travers de simplification et de familiarité au réel trop poussée ; mais je pense que c’est sage de sa part. Après tout, ce roman n’a pas été écrit pour moi, je comprend qu’il prenne des précautions, d’autant plus quand il ose quelques petites choses formelles un peu déroutantes. Entre les analepses glissées dans le bouquin comme autant de chapitres à part entière et quelques changements de perspectives sauvages venant ajouter à l’atmosphère étouffante de l’Athènes de GoldTex, il y a de quoi ponctuellement confuser.
Et à ce stade, vous pourriez me dire que ça manque de compliments sincères, quand même, pour un bouquin que je suis censé avoir bien aimé, et vous auriez raison. Le truc, c’est qu’en dépit du côté un peu naïf – ou circonspect – de la SF de Laurent Gaudé, je trouve quand même que ce roman fonctionne plutôt très bien. Parce que cet auteur a quand même un foutrement bon sens de la formule. Si j’ai pu régulièrement regretter le manque de profondeur technique de sa Magnapole, sa narration n’a cessé de me séduire, au long cours, à coup d’instants d’excellence et de scènes convaincantes. Quand je sors d’un roman avec l’envie d’en garder son « que les salauds tremblent » comme formule de toast, je ne peux pas considérer qu’il n’a pas réussi quelque chose. De la même manière, j’ai suivi le parcours de Zem Sparak avec une réelle curiosité et une forme d’empathie qui ne m’est pas coutumière ; parce que je trouve l’architecture du récit concocté par Laurent Gaudé super solide dans son classicisme, à l’instar du rythme de ses révélations. Le fait est que ça se lit très bien et qu’on y trouve quelques moments de bravoure purement littéraires.
C’est là, je pense, que ce que certain·e·s pourraient réellement reprocher au roman en termes de pusillanimité science-fictive vient finalement lui rendre service ; si on considère que la priorité de l’auteur était d’écrire l’histoire d’un personnage précis dans un contexte de SF, et non l’inverse, alors il serait de mauvaise foi de considérer que la mission est un échec. Comprenons nous bien, je comprends complètement qu’on puisse trouver ce roman assez faible dans le spectre de l’Imaginaire ; sa distanciation avec le réel est beaucoup trop fine pour convoquer le moindre sense of wonder pour qui le recherche dans toutes ses lectures. Le truc, c’est bien que ce n’est pas vraiment ce que je recherche, moi. Je suis plutôt client de la lecture de gens qui n’existent pas mais qui existent. Et je trouve que Zem Sparak était diablement crédible, dans ses qualités comme dans ses défauts, de la même manière que le fonds politique de ce que racontait Laurent Gaudé au travers de ses errements dans les rues de cette Athènes à peine fictive. J’aime bien ça aussi, cette volonté de pragmatisme et de matérialisme émaillant le texte ; ne pas partir trop loin dans le concept, ça permet ça également.
Alors voilà, non, c’était pas parfait. Pas grand chose ne l’est. Mais c’était honnête. Pas dans le sens condescendant du terme, en tout cas pas volontairement. C’était honnête dans le sens où je pense que Laurent Gaudé n’a pas écrit ce roman pour faire de la SF, mais parce que la SF était ce qui se prêtait le mieux au sens qu’il voulait donner à son récit ; et de fait, il l’a écrit avec ses tripes, ses connaissances, et la même exigence, je crois que le reste des textes signés de sa plume que j’ai eu le privilège de lire jusqu’ici. Sans doute pas mon préféré, non, parce que je crois que son style s’y prête un peu moins que pour des textes plus éthérés et moins ancrés dans un réel trop contemporain, et aussi parce que je suis trop baigné dans la SF pour ne pas faire la fine bouche, mais certainement pas un mauvais texte. Il a encore réussi à m’avoir, surtout dans son dernier tiers, révélateur plus cru et frontal de ses ambitions narratives, exprimant avec pas mal d’élégance une rage et une lassitude qui auraient pu justifier un tout autre niveau de crasse. C’est sans doute pour ça que je l’aime autant, Laurent Gaudé : ses colères comme ses plus belles valeurs s’expriment avec une délicatesse et une classe rares, entre les lignes.
Ouais. J’aime bien ce roman. Et j’aime toujours autant cet auteur.
Yippee.
Livraison soignée
Nos colis sont emballés avec soin pour des livres en excellent état
Conseil de libraires
et des sélections personnalisées pour les lecteurs du monde entier
1 millions de livres
romans, livres pour enfants, essais, BD, mangas, guides de voyages...
Paiement sécurisé
Les paiements sur notre site sont 100% sécurisés