Jour de ressac
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l’avis des lecteurs
« Corps d’un homme, voie publique, Le Havre »
Maylis de Kerangal, entre Simenon et Modiano, nous entraîne au Havre dans cet éblouissant roman. La narratrice, convoquée par la police après la découverte de son numéro de téléphone sur un cadavre, retrouve la ville de sa jeunesse et ses souvenirs. Une quête intime davantage qu’une enquête et mon favori pour le Goncourt.
Le coup de téléphone est inattendu. La narratrice, dont on ne connaîtra jamais le nom, est appelée par un policier qui souhaite l’entendre au sujet d’un corps retrouvé aux abords de la digue nord du port du Havre. Si elle a bien vécu dans la cité portuaire jusqu’à son adolescence, elle n’y a plus remis les pieds depuis, faisant carrière comme doubleuse de films. Mais elle répond à la demande de l’enquêteur et quitte son domicile parisien, son mari et sa fille et se rend au commissariat où on lui explique qu’on a retrouvé sur le cadavre un billet de cinéma sur lequel son numéro de téléphone était griffonné. S’agissant vraisemblablement d’un règlement de compte lié au trafic de drogue, elle ne peut expliquer la chose et se pose mille questions. Aussi décide-t-elle de mener sa propre enquête, va interroger l’employé du cinéma où l’inconnu a vu le film, se rendre jusqu’à la digue nord où elle va rencontrer l’ouvrier municipal qui a découvert le corps, se prendre un paquet de mer sur le corps quand elle se perd dans ses réflexions, puis croiser une amie d’enfance qui aide les réfugiés ukrainiens.
On l’aura compris, sous couvert de polar, c’est à une quête plus qu’à une enquête que nous convie Maylis de Kerangal. Et si le mystère est bien levé dans les dernières pages du roman, l’essentiel est ailleurs.
Il se situe tout au long d’une promenade mélancolique dans une ville qui, bien plus qu’un simple décor, devient un personnage à part entière, complexe et énigmatique. Ville industrielle et maritime, elle est marquée par une histoire tumultueuse, par les cicatrices de la guerre – le récit des bombardements alliés qui ont détruit la ville à près de 90% est glaçant – et les transformations urbaines qui ont suivi avec la reconstruction en béton gris. Mais cette nouvelle architecture n’a pas éradiqué les fantômes du passé qui reviennent sans cesse hanter le présent. Confrontée à ses souvenirs d’enfance, à ses amours perdus, la narratrice va essayer de retrouver une cohérence à tout ce tumulte intérieur.
Maylis de Kerangal est tout entière au service de cette exploration intime. Son style, à la fois précis et poétique, nous plonge dans les sensations dans la texture des choses, dans le rythme de la ville. On y sent les odeurs de la mer, le bruit du vent, la dureté du béton. Chaque détail compte, chaque mot est pesé, pour créer une atmosphère dense et envoûtante. En nous invitant ainsi dans les méandres de la mémoire et de l’imaginaire, la romancière retrouve cette ville fascinante, ouverte sur le monde mais aussi sur les trafics, qui servait déjà de décor à Réparer les vivants.
Alors Le Havre devient notre ville à tous, avec nos joies, nos peines, nos espoirs et nos désillusions. Alors ce magnifique roman devient mon favori pour le prix Goncourt 2024 !
TTT - Très Bien "Se déployant sur fond de trafics interlopes et parsemé d’échos aux violences d’hier et d’aujourd’hui, si ce méditatif et entêtant Jour de ressac est une enquête, un roman noir, sa résolution est avant tout sensuelle et existentielle."
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