Le Travail du Furet
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l’avis des lecteurs
Double bénéfice de ce blog ; en plus de provoquer des rencontres et des discussions passionnantes, je me rends compte que plus j’y écris de ces chroniques, mieux je comprends comment je fonctionne en tant que lecteur et analyste (en toute humilité, évidemment). Car plus je dois réfléchir précisément à l’articulation adéquate des mots autour de mes sentiments parfois nébuleux, mieux je comprends ces derniers, et plus je suis à même de les évoquer avec exactitude. Je forge l’épée de mon esprit critique au feu de mes lectures, en quelque sorte.
Et c’est fort de cette idée que je me suis penché, avec attention, sur Le Travail du Furet, surtout sur son statut de classique, une appellation avec laquelle je me débat beaucoup depuis quelques temps ; autant par une certaine défiance envers le vieux système qui a consacré ces ouvrages que par pure curiosité, disons, professionnelle.
Dans le cas présent, je crois que ce statut s’est obtenu à la force d’une audace formelle intemporelle et d’un parti pris non moins osé, amenant ce roman vers une singularité complète. Bien qu’accusant tout à la fois le poids des années et les défauts de ses qualités (qui sont nombreuses), en plus de quelques griefs sans doute subjectifs ; il faut bien dire que je n’ai jamais rien lu de tel. Et je m’en vais tâcher de vous expliquer tout ça.
Au boulot.
Nous sommes plongés dès le début du roman dans l’univers de notre personnage principal, une dystopie cyberpunk sale et poisseuse, où il passe ses journées à tuer des gens dans l’indifférence générale, y compris celle des autorités; lui accordant même leur soutien passif sinon bienveillant. Ainsi va son sombre quotidien, à peine illuminé par sa passion pour le cinéma et sa relation avec sa bien-aimée Jos ; jusqu’à un événement qui va le bouleverser.
Je me vois un peu obligé de caler le rythme de cette chronique sur celui du roman dont je vous parle, car sa progression chronologique est à peu près parallèle à mon niveau d’appréciation ; même si j’éviterai, bien entendu, les spoilers. Et si mon avis final est plutôt globalement positif, il a pendant une très grande partie de ma lecture été franchement dubitatif. La faute d’abord a une introduction bien trop longue. Car si cette dernière établit beaucoup de choses sur notre personnage principal, le furet du titre, notamment au travers de son travail de fonctionnaire du massacre, elle ne nous raconte pas grand chose des enjeux du monde qui nous est présenté. Certes, nous découvrons par ses yeux bon nombre de ses composantes, mais pas vraiment les mécanismes qui les relient entre elles ; on flotte dans une expectative un peu vaine, bien que très évocatrice de la saleté dystopique dans laquelle notre protagoniste et ses victimes doivent nager.
Cette litanie d’horreurs aussi graphiques qu’inventives laisse à voir que la situation est terrible, mais pas dans quelles proportions exactement ; je n’ai tenu que par un mélange de curiosité malsaine et un goût pour la verve assez unique du personnage. En effet, une telle narration, très orale, a mes faveurs, encore plus lorsqu’elle a autant de sens à l’échelle de son récit et qu’elle nous aide autant à nous immerger dans ce qui est raconté : à hauteur d’homme, ou plutôt, en l’occurrence, à hauteur de furet. Mais ce dernier étant extrêmement froid et cynique, malgré son goût prononcé pour le septième art et son amitié assez touchante avec Jos, sa voisine ; passer tant de temps à juste le lire tuer des gens me rendait très difficile de m’y attacher. Il me fallait quelque chose d’autre pour réellement m’intéresser à son histoire. Alors je lisais, et j’attendais.
Puis est venu le premier pivot du récit, que je voyais venir gros comme une maison. Qui ne m’a donc ni étonné ni déçu, étant dans la droite lignée du genre. Sur lequel je ne m’étendrai pas en détails, mais que j’ai trouvé aussi malin qu’efficace, tant dans ses tenants que dans ses aboutissants, ou sa réalisation. Le manque d’empathie pour le personnage restait un problème, mais avec quelques teintes de compréhension qui cette fois-ci me rendaient nettement plus accroché ; je voulais savoir où tout cela allait. D’autant plus qu’à cette occasion, on en apprend nettement plus sur ces éléments de world-building qui me faisaient jusque là terriblement défaut. Un moment aussi satisfaisant que frustrant, puisque je n’ai pas réussi à m’expliquer pourquoi une grande partie de ces enjeux n’ont pas été distillés bien plus tôt dans le récit, créant un rythme très bâtard entre une longue et verbeuse – quoique efficace – narration, et des moments d’explication assez massifs. De là, le récit s’accélère tout de même, précipitant tous ses éléments dans un shaker avec une bonne dose d’action ; pour un cocktail pas désagréable, quoique subissant bien plus que tout le reste du roman le coup de vieux que j’évoquais plus tôt.
Très honnêtement, à ce moment-là, je m’attendais à finir ma lecture déçu. Encore plus honnêtement, d’ailleurs, si je n’avais pas pour politique de systématiquement aller au bout de mes lectures, je ne serais probablement pas arrivé jusque là, trop convaincu d’avoir compris où l’auteur voulait m’emmener, et surtout comment ; j’aurais sans doute laissé tomber un peu avant la moitié. Je pensais franchement avoir fait le tour du roman avant d’être arrivé à sa conclusion, en plein pêché d’hubris. Quelle erreur. Car si tout ou presque s’est déroulé comme je l’avais prévu, je fus surpris d’arriver à ce que j’avais anticipé comme le jalon final pour me manger en pleine face un dernier retournement de situation aussi habile que réellement surprenant, le temps de quelques pages supplémentaires, mais très, très loin d’être superflues. Et c’est sans doute dans ces dernières que le roman m’a eu. Car au delà du twist, sa réalisation a jeté sur tout ce qui précédait une lumière nouvelle, donnant un sens bien plus profond et intelligent à beaucoup d’éléments que je croyais jusque là complètement accessoires ; presque des lubies stylistiques ou du simple fluff.
Tout ce temps, je m’étais fait balader, projetant le message ou les intentions de Jean-Pierre Andrevon complètement à côté de sa cible réelle. Un sentiment de renversement tel que je n’ai, je crois, vécu que lors de mes lectures de La Conjuration des Imbéciles ou Peste, quoique mes souvenirs me jouent sans doute des tours. Et là je saisis la grandeur de l’œuvre, parce qu’elle met exactement la dose nécessaire de moyens au niveau de ses ambitions, dans le fond comme dans la forme ; et ça donne un excellent roman, malgré le poids des âges rendant certains de ses passages très difficiles. Parce que oui, quand même, malgré la volonté assez évidente de créer un personnage médiocre quoique humain, vecteur des volontés signifiantes de son auteur, et un contexte dystopique très brutal, certains termes utilisés, comme la fascination – un peu malsaine – pour la violence rendent le tout parfois assez indigeste.
Mais il me semble que ce qui permet d’éviter le basculement du parfois difficile à l’insupportable, c’est la différence que je fais entre L’Arithmétique Terrible de la Misère et Trois Oboles pour Charon qui s’opère dans le récit. Le Travail du Furet n’est pas à mes yeux un ouvrage cynique, désespéré ou nihiliste, c’est un roman certes désabusé, mais avant tout lucide. La focalisation interne qu’opère Jean-Pierre Andrevon n’est pas un outil spectaculaire, c’est un outil de précision subtil. Là où la dystopie a parfois tendance à tirer au bazooka, celle-ci, à mes yeux, se comporte comme un béret vert ; camouflé, frappant au corps à corps lorsque la cible s’y attend le moins, d’un coup précis et fatal. Je crois que le fait qu’on ne s’attache pas trop au personnage principal (qui n’est pas nommé, un détail important) joue finalement d’un effort complètement autre que celui de l’empathie ; et la distance qui de fait se crée prend un tout autre sens, autrement plus percutant, lorsque le roman se termine.
Alors non, Le Travail du Furet n’est pas un ouvrage facile à lire, et encore moins à recommander. C’est âpre, violent, volontiers putassier par moments, mais avec un sous-texte qui prend toute son ampleur si on accepte de prendre un certain recul sur ces défauts pour les considérer comme des outils au service de sa narration. Et même si je considère qu’une partie des écueils dans lesquels le roman se vautre par moment nuit à l’immersion et donc à la fluidité du récit, cette conclusion, cette damnée conclusion, est un tour de force tant narratif que conceptuel. Jean-Pierre Andrevon réussit dans ce roman à se jouer des codes habituels pour créer quelque chose de vraiment puissant, justifiant tous ses choix – y compris et surtout les plus osés – en quelques pages seulement pour donner un sens singulier à son œuvre. C’est quelque chose de rare, qui mérite le détour.
Et donc oui, je comprends mieux pourquoi ce roman est un classique. Car malgré certains de ses aspects compliqués selon les normes d’aujourd’hui, il se dégage quelque chose d’intemporel du tout, de puissant, quasiment transcendant, exprimant des vérités difficiles à appréhender, mais importantes, voire capitales. Selon mes principes, c’est un critère acceptable, bien qu’il faille malgré tout replacer le roman dans ses contextes diégétiques et d’écriture pour pouvoir le juger correctement, avec le recul nécessaire et une certaine prudence.
Alors non, cette lecture n’a pas été qu’une partie de plaisir, du moins pendant un temps, mais je suis très content d’être allé au bout, car j’en suis sorti satisfait, et avec un petit truc en plus que je crois pouvoir emmener avec moi pendant quelques temps. Je ne saurais jurer d’avoir retiré de cet ouvrage exactement ce que l’auteur voulait que j’en retire, ni d’être capable de partager ce petit quelque chose avec efficacité, mais j’aime bien l’idée de me confronter à cette épreuve, à l’occasion.
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