Le carré des indigents
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l’avis des lecteurs
Chronique policière
Le pitch
1973, quelque-part en province, dans une ville moyenne de l’est de la France. Peu avant la mort de Pompidou et l’accession de Giscard au pouvoir. Une adolescente disparait. L’impavide inspecteur Schneider est sur l’affaire, parmi d’autres. Hugues Pagan signe une chronique policière amère, nimbée de romantisme noir, sur un ton d’une lucidité poétique dont il a le secret. Un roman noir comme un acte de résistance face à la vacherie du monde. Car comme dit l’un des personnages « Nous n’avons rien d’autre que des mots pour nous défendre. »
Pourquoi je vous le conseille ?
Parce que Hugues Pagan propose des polars atmosphériques, mélancoliques, parfaitement attachants, au ton immédiatement reconnaissable. Car on est toujours heureux de retrouver Schneider, le flic taiseux et solitaire, alter ego de l’auteur, inquiet et insaisissable. Pour le style exigeant, émotionnel, incisif. Pour saisir la misère quotidienne des petites gens à l’ère pompidolienne finissante. Car Pagan nourrit ses romans de sa longue expérience de flic, décrivant avec empathie une certaine misère humaine, pour beaucoup invisible. Tout simplement parce que c’est beau.
POUR L’AMBIANCE GRAVE ET MÉLANCOLIQUE. Les polars d’Hugues Pagan ne peuvent pas être qualifiés de « divertissants » ou de pure évasion. Ils se caractérisent par leur atmosphère singulière, loin des règles de suspense et d’efficacité que l’on accorde volontiers au genre. Ses héros sont solitaires, ambigus, à la limite de la rupture, fascinés par les marges, les lieux où le réel et l’imaginaire ne sont plus nettement séparés. Chez Pagan on prend son temps, on se penche sur chaque mouvement de l’âme. On en retient la force d’une amertume rageuse. Un humanisme désenchanté et las transmis par des personnages qui n’ont rien ou presque. Un carré d’indigents, d’oubliés, de laissés pour compte que Pagan se propose d’arracher à leur carré d’ombre. Il s’agit ici d’une chronique de plusieurs semaines que jalonnent des enquêtes liées à des crimes qui affligent des sans-grade, « ce grand et triste charroi de l’humanité silencieuse ».
POUR SCHNEIDER. « Je suis un sujet que je n’aime guère que l’on aborde en ma présence ». L’inspecteur divisionnaire Claude Schneider, apparu dans La Mort dans une voiture solitaire (Fleuve noir, 1982), est un taiseux, un loup solitaire. Un enquêteur méticuleux et talentueux. Un écorché vif hanté par des fantômes de la guerre d’Algérie et par une femme à jamais disparue. Un être désabusé jusqu’à l’os, aux yeux gris, incolores, « étrangement vides ». Pianiste de blues à ses heures (nocturnes) de désespérance, cet ex parachutiste doit cohabiter avec des policiers de la sûreté urbaine ayant sévi sous l’Occupation ou pratiqué la torture en Algérie. Il n’a plus aucune illusion, ni sur l’Institution ni sur lui-même. Personnage récurrent des romans de Pagan, Schneider est un être aussi fuyant que fascinant, nourri d’une colère inaltérable, que l’on affectionne de retrouver au fil des années. Il nous avait manqué.
POUR LE STYLE. « Il faut l’être, intransigeant, si on prend la littérature au sérieux, nous dit Hugues Pagan. Sur le choix des mots, des situations, des personnages. Ne faire aucun cadeau, ni au lecteur, ni à l’éditeur, ni à soi-même. Surtout pas à soi-même. » Noirs, mélancoliques, politiques aussi, les romans de Pagan ne recherchant pas tant le spectaculaire que l’évocation de la noire lucidité du monde. Dans un style rythmé jazzy qui rend sa lecture émouvante. Avec des descriptions très économes, sèches, porteuses d’une angoisse qui, pour le lecteur, confine au malaise. Cet auteur inquiet, anxieux, parvient décidément à toucher les esprits et les cœurs avec ses mots bien choisis, non sans un certain lyrisme.
Un retour dans les années 70 pour le premier roman de la rentrée 2022 : Le carré des indigents d’Hugues Pagan.
Nous sommes au début des années 70, la présidence de Pompidou sent la fin. Claude Schneider, passé par la guerre d’Algérie, quitte la police parisienne et revient dans sa ville de jeunesse, quelque part en France. Son indépendance et son détachement n’en font pas le favori de la hiérarchie, mais ses résultats parlent pour lui.
Rapidement il est confronté à une affaire douloureuse, la disparition de Betty, gamine de 15 ans, fille d’un ouvrier veuf, qui n’est jamais rentré de la bibliothèque où elle était allée rendre des livres.
C’est marrant comme fonctionne la lecture et comment chacun y réagit. Dès les premières pages j’ai imaginé Schneider sous les traits de Delon jeune, clope au bec, et c’est lui qui m’a accompagné durant tout le roman. Excellent roman au demeurant, dans lequel, pour moi, tout fonctionne à merveille :
Les images qu’il suscite, cette France des années 70 dans une petite ville de province, les comptoirs de bar enfumés, les restaus à notables, le racisme ambiant totalement décomplexé (voir Dupont Lajoie de la même époque). Les différentes enquêtes, a priori sans liens, qui vont venir se croiser et se mêler. Et surtout la galerie de personnages. Schneider en tête, samouraï mélancolique, mais aussi les flics, du carriériste ridicule à la brute en bleu en passant par les flics qui font consciencieusement leur boulot, et puis tout le carré des indigents, ceux qui n’ont pas voix au chapitre, ceux que les notables méprisent ou haïssent, ignorent ou font matraquer.
Magnifique portraits pleins d’empathie, de dignité et de tendresse jamais larmoyants ni misérabilistes, à l’image du regard que Schneider porte sur eux.
Un beau roman noir, dans la grande tradition, parfaitement maîtrisé, qui donne cette impression si rare que c’est facile d’écrire comme ça sans esbroufe. La marque des grands qui sont au sommet de leur art.
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