
L'arithmétique terrible de la misère
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l’avis des lecteurs
L’arithmétique terrible de la misère est un recueil de nouvelles de Catherine Dufour. C’est le second recueil de nouvelles que l’autrice publie aux éditions Le Bélial’ après l’excellent L’accroissement mathématique du plaisir en 2008 qui avait la particularité de mélanger fantastique, fantasy et science-fiction. Ce livre est composé de 17 textes relevant cette fois presque exclusivement de la SF (à 2 exceptions près). Les nouvelles ont été écrites par l’autrice entre 2008 et 2019 et publiées auparavant dans divers supports (Libé, en ligne, dans des anthologies) une seule est inédite : la dernière, Coucou les filles !. La préface est signée Alain Damasio et l’illustration de couverture est de Philippe Caza comme pour L’accroissement mathématique du plaisir.
Le recueil débute avec un texte intitulé Glamourrisime ! 20 mai 2040 où l’on retrouve la technologie mise au point dans L’homme qui mit fin à l’histoire de Ken Liu et qui permet de revivre les expériences passées d’autres personnes. Riche idée si il en est et qui pourrait intéresser beaucoup de monde et également les publicitaires pour l’argent que ça pourrait rapporter. Un texte bien tourné et tout à fait réaliste. La nouvelle se répand à l’intérieur du recueil en publicités entrecoupant les nouvelles.
Les thématiques du recueil sont nombreuses et d’actualité bien que les textes soient situés dans un futur proche. Dans Pâles mâles, c’est le monde du travail qui est examiné avec l’histoire d’une jeune femme enchainant les petits boulots pour vivre. Les travailleurs sont quasiment du bétail nourris à la précarité et à la flexibilité. Une nouvelle où l’on retrouve toute la verve de l’autrice et qui fait froid dans le dos. Dans La mer monte dans la gamelle du chat, il est question d’écologie avec l’histoire d’une famille dont la facture énergétique grimpe sans comprendre pourquoi. Dans L’arithmétique de la misère, on s’intéresse au problème des migrants vu par Bootz un vlogueur mode superficiel qu’une rencontre avec un artiste de rue va faire changer. La nouvelle met en scène le gouffre qu’il y a entre deux mondes, l’un fait de superficialité et l’autre de réfugiés et de ghettos. WeSip évoque les algorithmes des GAFA avec l’histoire d’un homme travaillant chez Amazon en tant que « Life Time Value Officer » et beaucoup trop obsédé par son travail. Bobbidi-Boo parle des intelligences artificielles sous fond de futur ultra pollué. Dans Une fatwa de mousse de tramway, on retrouve le thème du nucléaire et les dangers qui peuvent l’accompagner.
Deux nouvelles se font suite et reprennent le même personnage principal et univers, il s’agit de Un temps chaud et lourd comme une paire de seins et La tête raclant la lune. Elles se déroulent dans un monde où les rapports entre les hommes et les femmes sont inversés et où il y a de nombreux meurtres d’hommes par des femmes. On suit la vie de Ulalee enquêtrice de police confrontée à des meurtres sordides et qui essaye de comprendre pourquoi les femmes tuent autant les hommes. Le fait d’inverser les comportements que l’on retrouve dans nos sociétés entre hommes et femmes fait encore plus se rendre compte de l’horreur et de l’absurdité de la situation. Les deux textes invitent à réfléchir sur les comportements violents et ce qu’ils entrainent. Le second texte donne plus dans le trash et le gore mais est tout autant percutant que le premier dans le propos.
Les deux derniers textes du livre sont présentés en appendice car ce ne sont pas des textes de science-fiction. Le premier est une nouvelle plutôt décalée et très agréable à lire La vie sexuelle d’Alfred M qui nous offre une biographie humoristique de Musset. La plume de l’autrice est parfaite dans cette nouvelle surtout dans l’échange de courrier entre Musset et Sand.
Pour ce qui est de la dernière nouvelle, Coucou les filles !, je suis plus que partagée. L’autrice dit elle même en préambule de la nouvelle que l’écriture n’a pas été aisée (je veux bien la croire) et que la lecture du texte n’ait le moindre intérêt. Le but est d’écrire un texte pendant à American psycho et montrant inversement la haine des hommes. Je peux comprendre la nécessité de soulever ce problème et même dans faire un texte, mais à lire c’est vraiment difficile, même en sautant des passages. Ensuite, j’avoue surtout ne pas comprendre pourquoi placer ce texte à la fin du recueil, il laisse un trop mauvais gout à l’esprit qui nuit au livre. En gros ne le lisez pas à moins d’être très curieux ou adepte de torture-porn.
Si j’ai globalement préféré L’accroissement mathématique du plaisir à ce livre, c’est certainement pour sa richesse et sa grande diversité de genres qui montraient tout le talent de Catherine Dufour. Néanmoins, j’ai apprécié beaucoup de texte de ce livre, d’autres un peu moins. Cependant, il démontre s’il en est encore besoin à quel point Catherine Dufour est capable de créer des univers vivants et très réalistes en quelques phrases. La plume de l’autrice fait merveille avec un ton mordant, un humour grinçant et des trouvailles stylistiques. Par rapport à son précédent recueil, celui-ci donne plus une impression d’unité (exceptées les deux dernières nouvelles), on a presque l’impression que les textes se situent dans un monde futuriste commun mais à différents moments et endroits.
L’arithmétique terrible de la misère est ainsi un très bon recueil de science-fiction montrant une impression d’unité et explorant de nombreuses thématiques très actuelles comme la détérioration du monde du travail, l’écologie, les migrants, les violences féminines. Le tout passé sous une plume acerbe, et un humour noir caractéristique de Catherine Dufour.
J’en suis venu à détester le cynisme, avec le temps. Pas comme sentiment, qui peut parfois s’avérer ponctuellement salutaire, mais comme une posture systématique, artificielle, qui se voudrait intellectuelle alors qu’elle n’est que fainéante, voulant faire passer pour du détachement ce qui n’est finalement qu’une forme relativement perverse d’insensibilité, ou un flagrant manque d’empathie. Toujours envisager le pire, tout traiter à travers ce prisme et prétendre, ou pire, réellement s’en amuser, au bout d’un moment, je trouve que c’est trop facile, et que surtout, ça ne sert pas à grand chose. Je pourrais même dire que régulièrement, c’est contre-productif ; une sorte d’esprit de contradiction envers la vie et ses infinies nuances.
Et c’est la même chose en Littérature, en tant que lecteur. Lire un bouquin, de quelque genre que ce soit, rempli d’une attitude nihiliste, rejetant tout avec un même rire narquois, dénué de nuances, comme s’il n’était jamais possible d’espérer ou de voir la moindre lumière dans les ténèbres ; c’est aussi ennuyeux que stérile à mes yeux. Un constat ou un diagnostic triste, aussi désabusés soient-ils, autorisent le pessimisme mais n’excluent pas une analyse permettant de mettre en lumière les choses qui pourraient nous donner au moins un peu d’optimisme.
Et c’est bien pour ça que j’aime autant le travail de Catherine Dufour, depuis que je me suis enfin consacré à rattraper mon retard sur sa bibliographie. Car au delà de mon plaisir à la lire, j’ai été très marqué par son interview concluant L’accroissement mathématique du plaisir, et son idée selon laquelle l’Imaginaire pouvait servir à ricaner de la réalité, acquérant ainsi une sorte de qualité cathartique. Je ne peux plus la lire sans avoir sans cesse cette idée en tête, et cela m’a amené à me demander si cette autrice que je respecte tant, malgré toutes ses qualités, ne faisait pas quand même preuve de ce cynisme honni, à force de mauvais esprit.
Dans la chronique qui suit, je vais tâcher de vous expliquer pourquoi je suis convaincu du contraire, et pourquoi je continuerai à suivre Catherine Dufour dans ses œuvres avec une irréductible attention. Au boulot.
Recueil de nouvelles oblige, pas de résumé à proprement parler ; quoiqu’il faille saluer une authentique et agréable cohérence de genres et de thématiques au fil de l’ouvrage, entrecoupant notamment chaque nouvelle d’une sorte de transcription de publicités, issues de l’univers futuriste que nous dépeint Catherine Dufour. Pour l’immense majorité du recueil, c’est en effet la science-fiction qui domine, entre cyberpunk, dystopie et anticipation aux implications discrètes ; avec l’exception notable des deux dernières nouvelles du recueil, faisant tellement exception d’ailleurs que le choix a été fait de les signaler comme telles avant de les aborder, justifiant une césure éditoriale, et même une note de l’autrice avant la seconde, sur laquelle je reviendrai. Cohérence de genre, bien entendu, mais surtout cohérence de style. Car Catherine Dufour, comme à son habitude, adapte son discours et son niveau de langage aux différents contextes qu’elle construit afin de faire porter au maximum leurs enjeux ; avec comme dénominateur commun sa plume à nulle autre pareille, dont je me suis régulièrement dit qu’elle était si unique que j’en parviendrais sans doute à la reconnaître sans même savoir qu’elle était l’autrice que j’étais en train de lire. Un talent toujours extraordinairement singulier, sachant allier les pires crudités avec la plus grande élégance, sans jamais perdre en humour ni en gravité, surfant toujours sur la crête de la vague. Et le résultat reste, comme à chaque fois, le même : je finis soufflé.
Si j’ai effectivement fini par me demander si toutes ces nouvelles n’étaient pas taillées dans le bois du cynisme, c’est d’abord parce que ce volume, malgré les sourires et les pouffements, n’est pas joyeux, bien au contraire. J’ai ressenti les mêmes blessures que lors de ma lecture de Danse avec les Lutins. L’heure est grave, et il n’y a que peu de raisons de croire que le futur ne le sera pas plus. Mais si, très régulièrement, je me suis dit : « bordel qu’est ce qu’elle est balaise » (parce que franchement, Catherine Dufour, elle est vraiment balaise), est venu un moment où, tout de même, je me suis demandé si toutes ces horreurs et situations tristes, aussi fabuleusement écrites fussent-elles, n’étaient pas stériles ; si ce talent n’était pas, d’une certaine façon, trop beau pour être vrai. Je me suis encore rappelé cette fameuse interview, où l’autrice disait (en gros) que nous n’avions rien à apprendre des livres et de leurs récits ; et cela aurait été cohérent, finalement. Si Catherine Dufour estime toujours que la fiction ne transmet rien, alors ce cynisme quasi-nihiliste serait une position logique. Déplaisante à mes yeux, certes, mais avec l’immense mérite d’être absolument cohérente ; je n’aurais alors qu’à m’incliner et prendre plaisir à me tromper.
Seulement voilà, l’ironie frappe. Parce que je me suis demandé comment j’en venais à tant me méfier d’un incommensurable plaisir de lecture. Parce qu’il faut bien insister là-dessus : en dehors de la dernière nouvelle, j’ai pris un pied constant à lire ce volume, tant pour les délires conceptuels que pour leurs implications. Alors quoi, je me suis juste fait avoir ? Deviendrais-je si aigri qu’un tel cynisme présumé ne m’affecterait déjà plus ? Cela serait un bien triste constat, auquel j’ai beaucoup de mal à souscrire. Non, je crois plutôt, comme avant et comme toujours, que malgré son talent, son intelligence et sa damnée lucidité, Catherine Dufour se trompe sur le pouvoir des bonnes histoires, surtout lorsqu’elles sont bien racontées. Y compris les siennes donc. L’ironie est là : s’il m’arrive d’autant me méfier des histoires que je lis, c’est bien parce que j’ai lu ses bouquins (entre autres, bien sûr). Le cynisme, ici, n’est que de façade, un procédé comme les autres utilisés afin de ciseler le fond du propos. Si je me suis méfié, c’est bien qu’elle comme d’autres m’ont appris à me méfier du pouvoir des histoires.
Et si tout cet ouvrage est pessimiste, c’est qu’il est lucide. Un constat dur, grave, sur bon nombre de nos failles et nos déviances, individuelles comme collectives. Fait avec le sourire, parce qu’il faut bien adoucir le choc, et que la vie n’est pas que misérable, quand même. Un sourire souvent narquois donc, certes, mais pas dénué, malgré tout, d’une certaine douceur qui se niche dans les détails, entre les lignes. Une qualité d’écriture que Catherine Dufour partage avec Ken Liu, dont elle emprunte fugacement un aspect du travail dès la première nouvelle du recueil, ce qui, comme convergence de talents, se pose tout de même là. Cette convergence, d’ailleurs, qui m’a fait trouver la clé de compréhension de ma fascination pour ce recueil. À l’instar d’un L’homme qui mit fin à l’Histoire, nous sommes, je crois, dans une Littérature du constat et de la lucidité, mais surtout, d’abord, dans une Littérature de la vigilance.
Car ce qui m’a le plus frappé, le plus impressionné, peut être avec un peu de retard, c’est l’incroyable capacité de Catherine Dufour à faire en sorte que sa science-fiction n’oublie pas le quotidien. J’avais déjà salué sa tendance à faire les choses sobrement, à demeurer dans un réalisme direct malgré la distance de la fiction ; j’en ai été encore plus impressionné ici. Son talent principal, finalement, c’est peut-être de ne pas se laisser piéger par sa fiction. Malgré la distance qu’instaurent les progrès technologiques qu’elle narre, elle n’oublie jamais que la vie que nous menons demeure attachée à des contingences intemporelles et malheureusement incontournables. La force de ces récits, c’est avant tout de nous rappeler que malgré tout, nous ne nous éloignerons jamais de certains de nos problèmes ou obsessions, et qu’il nous faut demeurer prudent·e·s face aux déviances que nos prétendus progrès pourraient causer ou renforcer. La technologie n’est pas là pour combler notre ennui ou nous protéger de nous-mêmes, elle n’est qu’un outil dont nous devons apprendre à nous servir, comme les autres. Un constat qui n’est pas nouveau en soi, mais qu’il est bon de se faire rappeler de forte et belle manière de temps en temps, histoire d’être à jour de ses cotisations de lucidité. Et si ça doit être à coup de baffes conceptuelles, ainsi soit-il ; Catherine Dufour a l’amour vache.
Et s’il eût fallu que je m’arrête là pour cette chronique, je n’aurais plus eu qu’à vous enjoindre à foncer sur ce recueil pour le dévorer de bout en bout, car il me paraît aussi puissant qu »important. Du Catherine Dufour, en somme. J’aurais sans doute insisté pour que vous lisiez en priorité Sans retour et sans nous ou Un temps chaud et lourd comme une paire de seins, qui constituent les sommets de l’ensemble, rassemblant toutes les qualités que j’ai pu citer précédemment, les magnifiant avec un sens de la synthèse et de l’à-propos absolument renversant. Vous admirerez la préterition.
Seulement voilà, l’ouvrage ne s’arrête pas là, comme j’ai déjà pu vous le préciser. Il nous reste deux cas à traiter, de nouvelles qui ne sont pas de science-fiction, mises à part du recueil, à juste titre. La première est une sorte d’essai historique consacré à la vie sexuelle d’Alfred de Musset, petite douceur d’irrévérence et de remise en question d’une légende un peu trop figée par la poussière de l’adoration littéraire ; c’est pertinent, et avec le style merveilleux de Catherine Dufour, ce n’est rien d’autre qu’un plaisir. Apprendre des choses en rigolant et en intégrant des expressions telles que « en baver des morgenstern », on en a tou·te·s rêvé pendant notre scolarité.
J’aimerais plutôt m’arrêter sur le cas singulier de Coucou les filles !, qui a presque failli me gâcher le recueil tellement il m’a laissé un sale goût en bouche à sa conclusion. À noter l’honnêteté de Catherine Dufour qui le fait précéder d’un avertissement clair, admettant elle-même les potentielles limites d’un texte tel que celui-ci. La démarche semblant être de vouloir créer un pendant féminin à un ouvrage aussi problématique qu’American Psycho pour tenter de créer une sorte d’équilibre, la curiosité a eu raison de moi. Et comme elle pourrait avoir raison de vous aussi, je me dis qu’il vaut mieux prévenir que guérir. Trigger warning donc : Coucou les filles! est une nouvelle de torture porn qui se vautre dans les détails de la vie d’une tueuse en série aux cibles masculines, alternant les séances maquillages et les massacres d’hommes dans sa cave. Et si le contraste entre la vie quotidienne et les horreurs de ses séances de meurtres est efficace en terme humoristique d’un point de vue purement technique, il faut avoir l’estomac bien accroché, parce que Catherine Dufour (ou plutôt la tueuse, ne faisons pas d’amalgame malheureux) ne recule devant rien.
Je crois vraiment avoir compris la démarche, qui va dans le sens d’une inversion des clichés et des stéréotypes ou constructions sociales de notre civilisation, dont nous sommes autant victimes qu’architectes, mais pour autant, je n’ai pas, pour le coup, passé un bon moment de lecture, malgré l’occasion de se poser de très bonnes questions. L’autrice elle-même nous encourage à éventuellement finir notre lecture du recueil avant cette nouvelle, je salue l’initiative, parce qu’effectivement, si j’avais su, je l’aurais fait. Le texte n’est pas vain en lui-même, loin de là, mais il ne constitue pas à mes yeux un complément indispensable ; plutôt un angle d’attaque supplémentaire redondant et risqué pour qui n’apprécie pas la forme invoquée. Mais que cet avertissement demeure ce qu’il est : un simple conseil qui se veut bienveillant, à l’instar de celui que formule Catherine Dufour elle-même. J’ai la chance de pouvoir prendre instantanément du recul face à la fiction, je sais que ce n’est pas le cas de tout le monde.
Mais voilà, le constat est sans appel en dehors de ce texte si particulier en conclusion : L’arithmétique terrible de la misère est une lecture incroyable. Et je pourrais rajouter « comme d’habitude », mais le talent protéiforme de Catherine Dufour est tel que la formule me parait maladroite, car elle ne rend pas justice à sa capacité de changer la forme comme le fond à l’envi, avec toujours cette capacité à taper là où ça fait le plus mal, sans se dédire ni se trahir. Elle aura beau tout raconter, dans tous les genres, de toutes les façons, on la sentira toujours derrière, avec un sourire narquois, certes, mais le regard inquiet. Elle n’est pas cynique, elle est simplement lucide. Ou evri, comme un Vimaire. Mon sentiment, comme à chaque fois, c’est qu’elle a mieux compris le monde que moi, et qu’elle essaie à sa façon de me secouer de l’intérieur pour que je puisse partager ses yeux, pour mieux appréhender la réalité, même si elle n’y croit pas vraiment. Elle le fait en écrivant, et en écrivant foutrement bien. C’est un coup de chance pour moi, car alors je peux renouveler l’expérience, et ne jamais cesser d’apprendre au contact de ses mots. Ils sont précieux. Je ne peux pas garantir que l’expérience soit la même pour tout le monde, mais je ne peux que vous encourager à la tenter à votre tour ; il y a fort à parier que vous n’y perdrez pas grand chose. Voire même que vous ayez tout à y gagner.
En tout cas, je sais que je n’ai pas fini de la lire et de la relire.
Futuristes, les nouvelles du recueil de Catherine Dufour ?
Dans l’univers qui leur sert de contexte, le capitalisme -profit et rentabilité à court terme- règne en maître aux dépens de du bien-être et de la sécurité des populations, les villes occidentales voient s’affronter la misère de citoyens victimes d’une précarité grandissante à celle de migrants fuyant des territoires devenus inhabitables pendant que les services publics s'en déresponsabilisent en se renvoyant mutuellement la balle, les traces que laissent nos navigations sur internet sont exploitées à des fins commerciales, les relations virtuelles ont supplanté dans bien des domaines les interactions physiques avec autrui…
Vous l’aurez compris : certes, on y trouve des gamelles à chat intelligentes recyclant les déchets, le lac Léman y a verdi par manque d’oxygénation, les véhicules autonomes y sont devenus monnaie courante et l’art s’y pratique jusque sur la Lune, mais c’est un univers sinon complètement crédible, et surtout effroyablement ressemblant au nôtre, ou du moins à ce qu’il est en train de devenir. Et ça fait froid dans le dos…
Etes-vous prêt à louer vos organes ou à faire la table basse pour (à peine) boucler vos fins de mois ? A voir la surface de votre appartement rétrécir à mesure que votre capacité à payer votre loyer s’amenuise ? A procréer dans le seul but d’accéder, grâce aux organes de votre progéniture, à une deuxième jeunesse ?
Les personnages de Catherine Dufour le sont, parce qu’ils n’ont pas le choix, ou parce qu’ils vivent dans l’air de ce temps d’ultra-technologie, d’injustices sociales poussées jusqu’à l’absurdité et de dérèglement climatique. Clones, avatars ou puces porteuses de réalités virtuelles implantées sous la peau font partie de leur quotidien. Pour autant, ces héros nous ressemblent, et nous sont souvent proches, le regard humaniste que leur porte l’auteure révélant la détresse et la solitude que génèrent la déshumanisation, la superficialité et la cruauté de ce monde en perte de sens.
C’est avec lucidité mais aussi beaucoup d’humour -même si c’est jaune, que l’on rit- que Catherine Dufour lance ce que l’on peut considérer comme un cri d’alerte face aux aberrations et à la violence d’un système qui nous mène à notre perte. Sa plume claque, cingle et virevolte, déploie une énergie et une inventivité qui font de certains de ses textes des curiosités stylistiques, et j’ai grandement apprécié cette lecture.
Deux nouvelles différentes, placées en appendice, complètent le volume, dont je n’ai pas, à vrai dire, bien compris l’intérêt, d’autant plus qu’elles amoindrissent la cohérence de l’ensemble. La première dépeint la carrière de "serial fucker" d’Alfred de Musset et la seconde est une sorte de d’American Psycho inversé, "fiction misandre" selon les propres termes de l’auteure, dans laquelle le rôle de Patrick Bateman est tenu par une femme.
Pour avoir lu Danse avec les lutins (éditions L'Atalante), Entends La Nuit (éditions L'Atalante), Ada ou la magie des nombres (éditions Fayard) et Au bal des absents (éditions du Seuil), je peux dire sans me tromper que je connais bien maintenant la plume de Catherine Dufour.
Mon credo à moi c'est la fantasy, je ne vous apprends rien. Mais voilà qu'aujourd'hui je m'en vais vous parler de L’Arithmétique terrible de la misère qui vient de sortir au Bélial'. Vous allez donc me dire : que vient faire ici un recueil de nouvelles de science-fiction et d'anticipation ? Pourtant, depuis que vous suivez Fantasy à la Carte, il m'arrive, de temps en temps, de faire quelques exceptions en sortant de ma zone de confort. Alors c'est vrai quand Catherine Dufour en personne m'a demandé de lire son livre, je n'ai pas pu lui résister même si elle y traite d'un genre qui n'est pas franchement ma tasse de thé. Mais comme j'aime beaucoup l'impertinence de cette autrice, je peux vous dire que cela a été un vrai plaisir que de lire ses nouvelles. Je la remercie d'ailleurs ainsi que les éditions Le Bélial' pour l'envoi de ce service de presse.
L'Arithmétique terrible de la misère, c'est dix-sept nouvelles dont une inédite que les éditions Le Bélial' ont souhaité réunir en un seul ouvrage. La plupart d'entre elles nous projettent dans la société de demain. Le portrait que Catherine Dufour en fait n'a rien de réjouissant. Par exemple, dans "L'Arithmétique terrible de la misère", on suit un vlogueur qui cherche, en se promenant dans les quartiers populaires, de nouveaux contenus pour alimenter son blog. Au fil de ses rencontres, on goûte à la pauvreté des gens qui tentent chaotiquement de survivre alors que les instances publiques, elles-mêmes, ont démissionné. Elle met en lumière toute l'absurdité de cette surconsommation débordante dont on ne sait que faire, si ce n'est qu'elle donne naissance à un trafic tentaculaire tenu par des communautés émigrées rivales. Mais de cette misère, il en ressort une belle solidarité et un système d'entraide nécessaire à la survie de l'espèce humaine. Moralité, il faut apprendre à se sauver par soi-même. Finalement le futur rime davantage avec survie plutôt qu'avec progrès.
Justement dans "Pâles Mâles", Catherine Dufour décortique cette notion de survie. Ici, L'Europe n'est plus, les réfugiés climatiques sont partout et la concurrence pour obtenir un job est redoutable. Ce n'est pas Evette qui vous dira le contraire. Dans ce monde, la survie se calcule à longueur de journée. En effet, le monde du travail s'est bien dégradé, c'est le règne du Flexemploi. A chaque jour, un travail différent quand on a la chance d'en trouver un. Du plus dégradant au plus insolite, Evette n'a pas d'autre choix que de s'adapter au marché si elle ne veut pas être distancé.
Qui dit futur, dit préoccupations climatiques. Or, dans "La Mer monte dans la gamelle du chat", il y est justement question de recyclage et plus particulièrement d'une gamelle intelligente qui transforme les restes alimentaires en nourriture équilibrée pour animaux domestiques. Avec beaucoup d'humour, Catherine Dufour met en exergue ici un jeu d'enfants pour tester l'efficacité de cette intelligence artificielle et voir si elle est capable de trier le bon du poison car comme le dit le très jeune Benjamin : " Avec Avril, on fait des potions et après, on donne à goûter au sat pour voir si c'est poisonné". Résultat des courses, la famille se prend un malus sur leur empreinte carbone. Voici une belle touche de légèreté dans cette course à l'énergie verte. A contrario, dans "Une fatwa de mousse de tramway", l'autrice met en garde sur les dangers de l'énergie nucléaire à travers un entretien des centrales qui laisse à désirer surtout quand le commercial vend les mauvaises pièces détachées. Cela nous promet une belle catastrophe à venir.
Avec son esprit scientifique et critique, Catherine Dufour y analyse autant la société que l'âme humaine. Dans "Un temps chaud et lourd comme une paire de seins" et "La Tête raclant la lune", on y retrouve Ulalee Giampietro, devenue lieutenant de police qui enchaîne les enquêtes toujours plus sordides les unes que les autres. Voici de quoi nous éclairer sur l'horreur que recèle l'âme humaine. D'ailleurs, avec sa nouvelle "Coucou les filles", l'autrice nous fait tutoyer la folie meurtrière qui pousse à l’innommable. Elle clôt ainsi ce recueil sur une note effrayante en nous mettant dans la tête d'une tueuse en série, pratiquant le DIY avec des morceaux de ses victimes.
Mais je terminerai plutôt cette chronique sur une note nettement plus drôle en vous parlant de son hilarante nouvelle, "La Vie sexuelle d'Alfred de M.". Comme l'annonce clairement son intitulé, elle nous y parle de la vie trépidante d'Alfred de Musset qui a marqué son époque autant par sa production littéraire que par sa vie intime débridée. La plume de Catherine Dufour y est totalement désopilante. C'est savoureux !
L’Arithmétique terrible de la misère nous embarque dans une succession de courts récits qui tantôt nous éclairent, tantôt nous alarment. On y retrouve l'esprit brillant d'une Catherine Dufour magistrale !
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