Térébenthine
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l’avis des lecteurs
Les beaux-arts mènent à tout
En retraçant ses années d’études aux Beaux-Arts, Carole Fives fait bien plus que nous livrer une part de son autobiographie et la naissance de sa vocation. Térébenthine est aussi un traité sur l’art et un réquisitoire – féministe – contre son enseignement.
Carole Fives a choisi de faire les Beaux-Arts. Une période de sa vie qui sert de terreau – très fertile – à ce roman bien éloigné de son précédent opus Tenir jusqu’à l’aube, si on considère son combat féministe comme un invariant à toute son œuvre.
Bravant les mises en garde à l’égard d’une filière qui n’offre guère de débouchés, sauf pour une petite poignée d’artistes, la narratrice réussit son concours d’entrée et se retrouve très vite confrontée à un univers étrange où des concepts sont assénés de façon définitive par des enseignants qui semblent avoir compris que l’art avait désormais atteint ses limites, que la technologie allait transformer cet univers comme tant d’autres et que le spectacle, la «performance» allait prendre le pas sur l’œuvre elle-même.
Dans ce contexte, le trio qu’elle forme avec Luc et Lucie va très vite être marginalisé, non seulement parce qu’il se retrouve au sous-sol de l’école – le seul endroit où il est encore possible de peindre – mais parce qu’il est le seul à se confronter à cette «vieille» technique que plus personne n’enseigne: «À l’école, le professeur de peinture est en dépression depuis deux ans et, pour d’obscures raisons, il n’a pas été remplacé. C’est donc entre étudiants que vous allez vous former le plus efficacement, les autres enseignants ne se risquant que rarement jusqu’aux sous-sols, préférant éviter d’attraper la tuberculose et autres infections propres aux miséreux et aux artistes maudits.»
Le trio, reconnaissable à l’odeur qu’il traîne avec lui et qui lui vaudra le surnom de «Térébenthine», est victime de railleries, mais cet ostracisme aura aussi pour conséquence de les souder davantage. Ils sont pourtant loin de partager les mêmes idées sur l’art et sur la manière d’exprimer leurs idées. Mais ces débats font tout l’intérêt du livre. À chaque affirmation d’un professeur, à chaque confrontation aux œuvres des grands artistes, les questions sur le rôle de l’art, sur la façon de juger les œuvres, sur la définition du beau sont âprement discutées. Et très vite, au-delà des théories et de l’histoire de l’art, il est question d’émotions. Comme quand, à l’occasion d’un voyage à New York, la narratrice est saisie par la puissance d’un Rothko, par cette part inexplicable qui vous happe et vous transforme. Ou quand, devant l’œuvre que l’on imagine, «les pinceaux tombent, la distance s’abolit, et c’est le corps-à-corps, le peau-à-peau: la toile a tant à offrir.»
Carole Fives nous livre tous les aspects de ces années de formation qui, au-delà des études, s’étendent à la politique et aux questions de société, à l’amour et à la prise de conscience de la place de la femme dans un milieu très machiste. Elle s’imagine qu’en couchant avec Dimitri, elle pourra peut-être capter un peu de son savoir-faire, mais se rend vite compte que ce professeur accumule les aventures pour comble l’absence de sa femme Olga restée au Tatarstan. Elle va alors se détourner de lui et de ses enseignements. Et si durant une sorte de grand happening, elle pourra célébrer les artistes femmes, il faudra subir le machisme ambiant jusque dans sa chair. On notera du reste que la solidarité féminine est tout autant un leurre. Quand, par exemple, pour tout encouragement Véra Mornay lui explique qu’«un bon peintre est un peintre mort». Un tel «enseignement» conduisant à des drames.
Mais au-delà des obstacles et des attaques vécus dans cet «asile de fous» – pour reprendre la qualification utilisée par son père venu voir les travaux de fin d’année – viendra la révélation de l’écriture. Oui, les mots peuvent aussi transmettre les émotions.
En utilisant la seconde personne du singulier pour raconter cet épisode de sa vie, Carole Fives prend ses distances avec cette jeune artiste. Et si elle pose un regard attendri sur ce passé enfui, c’est d’abord pour souligner que c’est à ce moment-là, du côté de Lille, qu’est née une romancière. Pour notre plus grand plaisir !
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