La femme gelée

ce roman fait partie de la sélection du prix du meilleur livre audio. Je n’ai pas voté pour lui, il ne fait pas le poids face à Mamie Luger, même si je l’ai aussi beaucoup apprécié. La sélection comprend des romans très différents, ce qui rend le choix difficile, mais en général, s’il y a un polar, il a ma préférence.

L’auteure raconte son enfance, son adolescence et ses premières années de mariage. Elle est réputée pour son style « plat », mais il ne l’est pas tant que ça. Il est très agréable et fluide. La version audio est lue par Elsa Lepoivre, qui excelle à transmettre l’expérience d’Annie.

Elle est née dans une famille modeste, mais peu traditionnelle. Son père gère le café familial et sa mère l’épicerie. C’est lui qui cuisine, tandis que sa mère ne fait que le strict nécessaire pour le ménage. Les tantes et les grands-parents sont agriculteurs. Malgré des fins de mois difficiles, la famille est heureuse. La mère tient à ce que sa fille puisse s’épanouir, elle l’emmène en ville, lui fait découvrir la lecture et lui répète qu’elle doit étudier, avoir un métier et ne pas dépendre d’un homme, elle ne lui demande pas d’aide pour le ménage. A l’adolescence, Annie se rend compte à quel point sa famille est hors norme en fréquentant sa copine Brigitte, qui n’en revient pas de voir le père aux fourneaux. C’est le temps des rêves et des premiers émois amoureux. Annie désire devenir professeur, elle étudie les Lettres. Durant cette période, elle tombe amoureuse d’un futur juriste, ils ont de grands projets, mais surtout celui de s’épanouir tous les deux dans une relation égalitaire. Ils se marient avant la fin de leur formation, la vie continue à être belle. Puis vient le premier bébé, le premier poste du mari, la famille déménage à Annecy et en quelques mois tout change. Annie n’a pas fini ses études, son mari n’a plus le temps de s’occuper du bébé ou du ménage, il estime que ces tâches lui incombent naturellement, finie la belle relation égalitaire. Elle se sent coincée dans une fonction utilitaire, prise entre la maison à nettoyer et les besoins du petit.

C’est un roman militant, elle ne nous raconte pas son histoire pour le plaisir de s’épancher, mais bien pour dénoncer les conditions faites aux femmes par la société de son époque (la génération de ma mère). Elle avait tout pour réussir son pari, elle n’a pas été formatée par le modèle traditionnel, sa mère lui a répété des milliers de fois qu’il était indispensable de faire des études et d’avoir un métier, de ne pas dépendre d’un homme. Son mari avait aussi de bonnes intentions, il a des idées progressistes… jusqu’à ce qu’il soit happé par sa vie de jeune cadre. Il vient d’un modèle familial traditionnel et oublie vite ses beaux principes. Lors de leurs visites au jeune couple, les beaux-parents essaient d’inculquer leur vision à Annie. Elle se rend aussi compte qu’elle vient d’un milieu populaire et que la bourgeoisie a d’autres normes.

On est dans l’ordre du constat, l’auteure ne manifeste pas de ressentiment à l’égard de son mari, du moins dans le livre. Dans la réalité, ils ont divorcé au bout de dix-sept ans. Elle nous décrit un ordre qui s’impose à la jeune famille malgré toutes les bonnes intentions du début, il y a une sorte de fatalité dont elle peinera à s’extirper. Elle réalise son rêve de devenir enseignante, mais elle se rend compte que ce n’est pas une libération, plutôt une charge de plus.

La situation des femmes a beaucoup évolué depuis les années soixante, mais le travail domestique repose en majorité sur elles, encore maintenant. Ce sont elles qui travaillent à temps partiel pour s’occuper de leurs enfants, ce qui les handicapent dans leur carrière. Les salaires ne sont toujours pas égaux et la différence est encore amplifiée au moment de la retraite, du moins en Suisse (je ne connais pas la situation des autres pays sur ce sujet). Donc on a fait des progrès, mais on a encore du chemin pour arriver à l’égalité homme/femme, pourtant garantie par notre constitution (suisse en tout cas).